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Comme une vigne bruissante de vie et de joie

La mosaïque de l’abside de la basilique Saint-Clément à Rome, vers 1120

Pourquoi la contemplation de la mosaïque absidiale de Saint-Clément de Rome met-elle les yeux et le cœur en joie ? Est-ce l’omniprésence des tesselles d’or qui scintillent dans la pénombre ? Est-ce le dynamisme des pampres de la vigne – ou des branches de l’arbre – dont on voit les volutes envahir tout le cul-de-four ? Est-ce la profusion des fleurs de toute sorte, grandes ou minuscules, réelles ou imaginées, qui bourgeonnent sur chaque rameau ou le chant coloré des oiseaux qui sautent de branche en branche ? Même sur la croix au centre, on remarque moins le Crucifié que les colombes éclatantes et prêtes à partir diffuser sa Bonne Parole. Au pied de la croix, une luxuriante touffe de feuilles d’acanthe, d’où surgissent les branches vigoureuses de la vigne ou de l’arbre, donne naissance à une source où s’abreuvent deux cerfs, mais aussi des paons, des canards…

La croix, mosaïque Saint-Clément, détail

Il faut prendre son temps pour remarquer et lire tous ces détails gorgés de vie et c’est ainsi que progressivement, le « regardant » se sent envahi par la joie. Sans doute est-il aussi surpris par le déploiement de ce rare thème iconographique alors que, faisant le tour des mosaïques paléochrétiennes et médiévales de Rome, il a vu essentiellement de grandes figures en majesté facilement et rapidement identifiables, depuis le couronnement de la Vierge à Sainte-Marie-du-Trastevere, un peu postérieur à Saint-Clément, jusqu’au Christ trônant et enseignant au milieu de ses apôtres, une des toutes premières mosaïques chrétiennes au Ve siècle à Sainte-Pudentienne.

Une vigne bruissante de vie et de joie : une image de l’Église mise au point vraisemblablement avec l’accord du pape Pascal II (1099-1118) qui avait été nommé cardinal au titre de Saint-Clément en 1073 par Grégoire VII (1073-1083). La mosaïque de Saint-Clément est donc réalisée en pleine réforme grégorienne, alors que la papauté s’efforçait de purifier le clergé de ses turpitudes et d’arracher l’Église des mains des princes qui contrôlaient l’investiture des évêques. La lutte était acharnée, notamment entre le pape et l’empereur. Chacun se souvient de la pénitence de Henri IV à Canossa en 1077. Mais à la fin de son règne, en 1084, Grégoire VII fut humilié à son tour, assiégé dans le château Saint-Ange à Rome et contraint d’appeler à l’aide les Normands qui en profitèrent pour mettre à sac la Ville Éternelle et ravager nombre de ses églises, notamment Saint-Clément. La bataille ne fut pas moins rude entre Pascal II et Henri V, le nouvel empereur. Néanmoins au début du XIIe siècle, Rome entra dans une ère de renouveau dont la reconstruction de Saint-Clément fut le signe majeur, de même sa grande mosaïque absidiale marque-t-elle le renouveau de cette technique.

Saint-Clément Rome
Basilique Saint-Clément-du-Latran, Rome

À quoi se conjugue le souci de montrer une nouvelle image de l’Église

Mais il s’agit moins d’afficher les prétentions papales – finalement fragiles – au pouvoir universel que de revenir à l’Église des origines, en faisant référence à l’iconographie paléochrétienne. Ainsi la mosaïque de Saint-Clément place-t-elle en son cœur trois images du Christ : le Crucifié au centre, en bas l’Agneau au milieu des apôtres sous la forme de brebis venues des Églises des Juifs et des Gentils, et au sommet de l’arc triomphal un « bouclier » portant l’image du Christ en majesté bénissant et enseignant, entouré par les symboles des quatre évangélistes, les figures assises des saints Pierre et Clément à droite et des saints Paul et Laurent à gauche et en dessous Jérémie et Isaïe, principaux prophètes de l’annonce de la venue du Messie.

Quant à « l’Église militante », elle est représentée dans la vigne elle-même. Chacun y trouve sa place avec les fleurs et les oiseaux. Les plus modestes, comme les bergers gardant leurs troupeaux et la ménagère nourrissant sa basse-cour, sont tout en bas. Les plus chevronnés sont installés non pas en haut mais parmi les rinceaux : on identifie en quatre endroits quatre clercs vêtus de noir et blanc qui dialoguent avec des laïcs isolés ou en groupe.

Mosaïque Saint-Clément, détails

C’est à ces clercs que les chanoines qui célébraient dans le chœur dont la disposition et la clôture du XIIe siècle
sont toujours conservés, pouvaient s’identifier en suivant les préceptes de Pierre Damien (v. 1007-1072), autre défenseur de la réforme de l’Église et qui considérait l’image comme un parcours de méditation.

Ils pouvaient lire les nombreuses inscriptions réparties dans la mosaïque, notamment celle inscrite au bas du cul-de-four : ECCLESIAM CHRISTI VITI SIMILABIMUS ISTI // QUAM LEX ARENTEM SET CRUX FACIT ESSE VIRENTEM, « Nous rendrons l’Église semblable à cette vigne que la loi dessèche mais que la croix fait verdir ». À présent que tous les chrétiens savent lire, c’est à eux tous que s’adresse cette maxime.

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