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Baisse des fidèles avant Vatican II et questions neuves pour aujourd’hui

Le Concile Vatican II a-t-il causé ou précipité la chute du nombre des fidèles en France ? On entend souvent dire l’un ou l’autre, et cela influe sur les orientations à prendre.

Concernant le nombre de prêtres, nous avons pu montrer que le déclin de l’Église a commencé bien avant le Concile qui a tenté de réagir avec un succès évident au début [1]Pour le même type d’article concernant les prêtres et Vatican II : « Vatican II. Un concile motivé par le déclin qui le précédait… (et non l’inverse !) »  … Continue reading
Aujourd’hui, même travail sur une question un peu similaire, mais concernant les fidèles.
Ce terme fidèles comprend prêtres, religieux/religieuses et laïcs/laïques, qui ont tous et chacun leur vocation, (pas seulement les éventuels futurs prêtres et religieux) : chacun se sent appelé selon son charisme et ses compétences : cela concerne tous les baptisés.
Ici nous traiterons spécifiquement de l’Église catholique de France.
Et nous concernent le départ de ces fidèles, leur démission, bref l’abandon au sens le plus large, de leur vocation.
C’est de cet abandon qu’on va parler ici – question qui m’interpelle encore plus directement dans mes faiblesses et aussi dans mes souhaits. 

Quelques chiffres baliseront les pistes de réflexion pour notre aujourd’hui. Ils nous saisissent : cette chute de la pratique religieuse, est-ce uniquement la société qui en est la cause ?
Nous, Église, moi, petite pierre, ne refusons-nous pas de regarder si nous y avons une part de responsabilité ?
C’est le début d’un diagnostic : peut-être le début d’un aller mieux.

Quelques chiffres pour Paris et pour la France entière, de 1954 à 2006

Il n’est pas facile d’avoir des chiffres sur une réalité d’ordre peu mesurable, quasiment individuelle, spirituelle et couvrant toute la gamme du retrait à la défection.
Pour me concentrer sur la période concernant la situation autour de Vatican II, je me suis occupée de la période à partir de l’après-guerre en m’aidant de l’article d’Alain Chenu, « Les enquêteurs du dimanche » [2]Alain Chenu, « Les enquêteurs du dimanche », Histoire mesure, XXVI-2 | 2011, 177-221

Diocèse de Paris intra-muros

  • 1954 : presque 3 millions de Parisiens et 654 000 personnes présentes à la messe du 14 mars 1954, soit 21%.
  • 1962 : presque 3 millions de Parisiens et 364 261 présents aux messes, soit 12% à la veille de Vatican II (1962-1965). Entre 1954 et 1962, la chute a donc été de presque 50%.
  • 1975 : environ 2, 5 millions de Parisiens et 191 420 pratiquants, soit 7,6%.

Les chiffres sont clairs, même s’ils ne sont pas précis au baptisé près. Cela ne reflète qu’une chose : qui se trouvait physiquement à Paris et à la messe dominicale de ce jour, – un baptisé ne se limite pas à cela et personne ne se mesure ainsi.

France entière 

  • 1945-1950 : un tiers des Français dit aller à la messe au moins une fois par semaine
  • 1986 : 11% des Français disent aller à la messe au moins une fois par semaine
  • 2006 : 7% des catholiques déclarent aller à la messe tous les dimanches (selon un sondage de l’Ifop en août). La province a rattrapé Paris avec un certain retard.

Qu’est-ce qui a changé et qui a refusé de changer ? 

Oui, la société en France comme dans le monde a changé depuis la fin de la guerre et cela s’accélère même, en raison de différents facteurs modifiant modes de vie, perceptions et réflexions :

  • l’urbanisation et la mondialisation qui brisent les transmissions et les structures traditionnelles et familiales
  • l’éducation qui augmente la capacité de rationalité et de recul critique
  • l’industrialisation qui donne envie de consommer et accentue les différences sociales et les injustices
  • le développement de la science qui permet de guérir certaines fatalités et manques, et révèle la nature mythique et symbolique de certaines affirmations
  • le désir de sécurité/santé/confort, et finalement de superflu qui rend « matérialiste sans fin »
  • la conscience politique menant au besoin de démocratie et aux valeurs républicaines, et  au rejet de qui ne les pratique pas
  • l’abandon des terreurs irrationnelles, et la contestation des obligations et abus injustes
  • une meilleure connaissance des violences économiques et écologiques
  • les prises de conscience et les actions autour de la décolonisation
  • la révélation des violences sur des groupes (« minorités » quantitatives et groupes dépréciés) et l’action pour faire cesser les discriminations non évangéliques
  • les prises de conscience et luttes sociales pour des valeurs, des droits et la justice qu’on trouve théorisées et mises en place autant que possible.

Toutes ces évolutions ont (eu) des conséquences sur les pratiques et les croyances des fidèles.
Elles les ont certes tous impactés, mais elles ne sont ni la cause principale de tous ces abandons ni même leur cause primitive.
La plupart des abandons sont dus à des causes internes à l’Église et non au monde extérieur : l’Église, trop souvent, n’a pas su voir ces réalités ni s’y adapter, ni en saluer certaines ou prendre parti de façon cohérente avec l’Évangile.

Dans la même ligne de discernement, notre Église qui ne peut seulement s’estimer victime de ces évolutions, ne devrait-elle pas reconnaître que ses propres positions face à ces évolutions sont largement à l’origine de la désaffection de ses fidèles ?
N’a-t-elle pas involontairement accéléré ces départs en faisant désespérer des gens qui avaient adopté une valeur (la Bonne Nouvelle), que sont venues contredire une morale, des affirmations, des lois et des normes, édictées par l’Église mais, selon eux, sans appui sur l’Évangile ?
Certains sont restés proches du Christ, beaucoup vivent son message hors Église catholique dans la société, mais combien ont tout rejeté en bloc ?

D’autres questions douloureuses mais salutaires 

Quelles ont été, quelles sont encore, sur toute la société les conséquences du départ discret ou ostensible de tant de catholiques ?
Quelle a été leur influence ?
Et comment serait la société et l’Église s’ils avaient pu ne pas abandonner ?
Comment auraient-ils chacun évolué spirituellement s’ils s’étaient sentis acceptés ou accompagnés dans cette Église ?
Comment l’Église envisage-t-elle sa responsabilité dans ces domaines peu explorés ?
Nous pouvons nous poser les mêmes questions pour notre aujourd’hui, sachant que l’objectif n’est évidemment pas une question de chiffres en bas d’une colonne puisque de fait nous sommes tous frères et enfants de Dieu.
Au nom de quoi des catholiques ont-ils décidé de ne plus changer – et quoi ? – dans un monde qui continue à changer ?
Du nouveau : le Synode 2023 est dans l’esprit de Vatican II qui est dans l’esprit de l’Église des premiers temps, et dans l’esprit de l’Évangile où Jésus  nous montre tant d’exemples de changements…

Espérons que ce Synode libère la Bonne nouvelle qui va nous aider tous à prendre un cap juste et ajusté, sans abandons de passagers, avec un esprit d’ouverture et de communion qui gonfle les voiles.

CategoriesActualité
mi.rousselot
Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

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