Face aux premières et brutales décisions erratiques du locataire de la Maison-Blanche, les réactions épiscopales ont concerné la vaste politique d’expulsion des migrants, surtout sud-américains.

Mgr Mark J. Seitz évêque d’El Paso s’oppose aux
déportations massives d’immigrants – Dom. Public

Ainsi, le 24 mars dernier, Mgr Mark J. Seitz, évêque catholique d’El Paso, au Texas, a appelé à une marche et à une veillée de prière pour protester contre les projets de l’administration Trump de déportations massives de sans-papiers. Elles rassemblèrent des clercs et des évêques américains, canadiens et mexicains ainsi que la participation du cardinal Fabio Baggio de la Curie marquant le soutien du Vatican. Une manifestation courageuse et évangélique qui, évidemment, n’a modifié en rien, pour le moment, les décisions de Washington qui peut aussi compter sur la frange réactionnaire du catholicisme étasunien.

J. Strickland, destitué de ses fonctions par
le pape François en nov. 2023 – Wikimédia Commons

Si, dès février, Joseph Naumann, archevêque de Kansas City, soutenait les mesures d’expulsion une semaine avant la marche frontalière, soit le 19 mars, à l’initiative de la Catholics for Catholics, s’est tenue à Mar-a-Lago la résidence de Trump, une journée de prière rassemblant une centaine de prêtres entourant l’ex-évêque de Tyler (Texas) Joseph Strickland. Lequel a demandé au Ciel que « le président embrasse la plénitude de la foi catholique afin qu’il puisse recevoir les grâces puissantes des sacrements ». Gros, gros boulot en perspective.
D’autant que si l’ancien animateur télé estime avoir été sauvé par Dieu, lors de l’attentat de juillet 2024, on a du mal à saisir son inclinaison spirituelle plutôt tournée vers les évangélistes. En outre, si 55 %  des catholiques ont voté pour Trump en 2024, (contre 52 % pour Biden en 2020) ce ne fut pas en raison de motifs « spécifiquement religieux » comme la question de l’avortement par exemple. Autant d’obstacles à la réalisation de la sainte requête de Strickland.

Par ailleurs, les États-Unis ne sont pas majoritairement catholiques loin de là. Représentant aujourd’hui environ 25 %  de la population, le christianisme romain s’est pourtant implanté dès le XVIe siècle dans le sud et l’ouest du pays grâce aux missions espagnoles (Floride, Texas, Californie) puis française (Louisiane). Sur la côte est, c’est seulement en 1634 que de petites communautés anglaises s’établirent dans le Maryland. Et au lendemain de l’Indépendance, les catholiques représentaient 0,9 % des habitants. La croissance sensible observée à partir de la première moitié du XIXe siècle (7 % de la population des Américains) en 1850 résulta surtout de l’arrivée massive des Irlandais et des Allemands fuyant leurs mauvaises conditions de vie et attirés par l’expansion économique du pays qui se lance dans de grands travaux nécessitant une main d’œuvre nombreuse et peu qualifiée. Cette immigration confessionnelle se confirma après 1850 avec la venue de Polonais, d’Italiens (après 1900), puis au cours du XXe siècle, surtout celle de sud-Américains et de Philippins.

Forces de l’ordre s’opposant aux émeutiers le 7 juillet 1844 à Southwark (Philadelphie)

Mais ces vagues successives de catholiques ont soulevé bien des difficultés. En particulier, la venue massive d’Irlandais (soit 4,3 millions de personnes entre 1820 et 1920) a d’abord bouleversé les catholiques de souche. Ces migrants apportaient avec eux des formes de religiosité démonstrative avec force processions et autres vénérations appuyées pour Marie et saint Patrick, et une conception des rapports hiérarchiques à l’endroit du clergé très différente de « l’esprit démocratique » du diocèse de Baltimore (érigé en 1789). De plus, nourris par l’anti-catholicisme anglais, les protestants et sa frange WASP tenaient ces arrivées massives de pauvres comme un danger social et politique pour la république. D’où, après 1830, l’essor de ligues et de groupes comme le Know Nothing Party qui voyaient des complots papistes partout, répandaient des rumeurs sordides et n’hésitaient pas à défiler au nom de l’antique slogan britannique : No Popery.

Alfred Smith
Wikimedia Commons

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Ce n’est qu’à la toute fin du XIXe siècle que l’assimilation progressive des catholiques à la nation américaine se réalisa. Politiquement, elle bénéficia d’abord au parti démocrate et permit en 1928 à Al Smith, gouverneur de l’état de New-York d’être le premier candidat catholique à une élection présidentielle. Il faudra attendre J.F. Kennedy puis Joe Biden pour qu’un président de confession romaine accède au pouvoir suprême.

J. D. Vance
Wikimédia Commons

Toutefois, entre les années 1960 et 2020, le catholicisme américain, comme ailleurs, s’est fracturé. L’arrivée de nouveaux migrants, les nominations d’évêques ultra-conservateurs, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, l’effacement des prêtres progressistes, l’influence grandissante et mimétique des évangélistes ont conduit, ici aussi, jusqu’à une instrumentalisation ouvertement droitière de l’Évangile. Dernier exemple en date : l’interprétation autant viciée, idéologique que clanique de « l’amour du prochain » déclinée par le vice-président J. Vance, sérieusement recadré par François à cette occasion. C’est bien à ce néo-catholicisme réactionnaire, fasciné par le culte de l’homme fort, si possible providentiel, que Strickland appelle de son vœu pieux.

Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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