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Deuxième marche de l’hospitalité réciproque

« Je m’inscris pour l’an prochain » : dit le premier. « Je suis encore sur mon nuage » : dit la deuxième, une semaine après le retour. « Cette marche-pèlerinage vaut largement une retraite ! » dit un troisième. « J’ai reçu avec vous et grâce à nous une pluie de grâces » : dit un autre. « Je suis parti avec des personnes que je connaissais à peine, je reviens avec une sœur et trois frères ! » dit un dernier.
Du 18 au 24 juillet 2022, ils étaient cinq – une jeune musulmane et quatre chrétiens d’un âge certain dont trois saint-merriens hors-les-murs – à péleriner sur le chemin des douaniers du Mont-Saint-Michel aux Sept-Saints Vieux-Marché, lieu d’un vieux « pardon » breton auquel, depuis 1954 et grâce à Louis Massignon, s’est greffé un pèlerinage islamo-chrétien.

S’émerveiller, s’écouter, s’apprivoiser

Nous avons marché ; nous avons prié ; nous avons vécu l’hospitalité réciproque … et beaucoup ri. « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître… » dit le renard dans Le Petit Princede Saint-Exupéry. Dans nos sociétés pressées, la marche est un bon moyen pour « prendre » du temps pour vivre la rencontre en vérité, vivre la fraternité, l’hospitalité réciproque, car « cela n’est offert qu’à ceux qui sont patients » (Sourate 41, 35). Nos pas ont goûté le GR 34, sableux, boueux ou rocailleux, toujours généreux en « merveilles », en commençant par le Mont-Saint-Michel puis Saint-Malo et Saint-Jacut de la mer, avec les grands espaces fleuris… et la mer toujours en vue, accueillante et inspirante. 

Devant le Mont-St-Michel. Dominique, Jean-Marc, Siimab et Jean-Louis. Photo Alain

« Vous vous êtes rencontrés comment ? » nous demandait-on souvent. Réponse : « Par le Forum 104, rue de Vaugirard et les ateliers inter convictionnels d’un ami commun, Khaled Roumo, poète musulman, français et syrien. » D’horizons et de tempéraments divers, nous avons vécu dans une bienveillance réciproque, aidés par un camping-car aux moult avantages pratiques…et financiers : port des sacs, liaison pour étapes longues, possibilité de manger et dormir. Sur ce dernier point et avec une promiscuité certaine, les interrogations, surtout de l’élément féminin, s’évaporèrent dès la première nuit. Les échanges entre nous et autour de nous furent nombreux, riches, profonds. La liste des personnes amies et des nouvelles connaissances est aussi longue que difficile à établir. 

Parmi les temps les plus marquants qui ne masquent pas l’accueil de Sébastien à Sougéal, de Jacqueline à Dol-de-Bretagne, de Magalie à Saint-Jacut et de Manoël, Laurence, Tintin et Marie-Françoise aux Sept-Saints Vieux-Marché… Une messe à Saint-Malo dans un camping où une aumônerie de la Somme séjournait : en fin d’eucharistie, les jeunes très curieux, certains même très admiratifs de notre démarche, ont posé moult questions en vérité, Siimab étant la plus sollicitée. L’arrivée aux Sept-Saints et la vivante et magistrale conférence de l’anthropologue Manoël Pénicaud sur la vie de Louis Massignon, le “catholique musulman”, savant précurseur et visionnaire, mystique de l’hospitalité et citoyen fou de Dieu et de l’autre[1]Manoël Pénicaud, Louis Massignon, le “catholique musulman”, Bayard, 2020. Voir aussi l’article de J.M. Noirot sur le site de … Continue reading ; la messe du soir où une foule dense chantait avec grande ferveur le récit en breton, la Gwerz, des sept dormants. Le feu traditionnel, le « tandad », interdit cette année par la préfecture, fut remplacé par un temps de prière et méditation.
Il sera suivi par l’incontournable festnoz. 

Le lendemain, après l’eucharistie toujours présidée par le « Pardonneur » Jean-François Bour, la foule de chrétiens, de musulmans et de personnes d’autres convictions, déambule vers la fontaine des « sept sources ». À mi-chemin, devant une stèle en granit où est gravée en breton, arabe et français, le mot « paix », une personne agnostique fait un discours sur… la paix. En référence à la guerre en Ukraine, l’un d’entre nous y chante un Notre Père en slavon. Enfin, à la Source des Sept Dormants, la sourate 18, les Gens de la Caverne, priée chaque vendredi dans toutes les mosquées, comprenant le récit des résurrections miraculeuses, sera psalmodiée par Abderrahman et sa magnifique voix, sourate commentée et actualisée par Mehand Iheddadene, imam de la communauté de Lannion.
À 14h30, un dernier rendez-vous à la chapelle était proposé pour entendre des témoignages de pèlerins. La parole fut donnée, entre autres, aux deux groupes, l’un venu de Tours et l’autre de Nantes, où le dialogue islamo-chrétien est vécu depuis plusieurs années.

« La rencontre comme expérience de conversion » [2]Titre de l’excellent article de Jean-Paul Vesco questionné par Marion Muller-Colard dans Études n° 4295, juillet-août 2022. 

Durant cette semaine, nous nous sommes apprivoisés ; nous avons vécu au quotidien, au rythme des prières des heures et des lectures d’extraits du Coran. Des temps plus importants pour commentaires et méditations sur les textes sont souhaités pour les prochaines éditions. Nous avons goûté la beauté de la nature et des rencontres, savouré l’ouverture du cœur et la paix intérieure ; nous nous sommes sentis capables de vivre la diversité dans l’unité, sentis comme « un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit » (1 Cor 3,9), convaincus que « la joie de notre cœur vient de Lui » (Ps 32) et que l’agape vécue est un signe de l’Esprit. L’hospitalité réciproque est par essence respect de la dignité de la personne, chemin d’humilité, d’écoute de ce que l’autre dit de lui-même. Elle est à mille lieues de tout prosélytisme. La connaissance des ressemblances et des différences entre confessions ne conduit pas nécessairement au relativisme mais devient nourriture et sculpture de sa propre foi. 

Quant au désir – même inconscient – de convertir l’autre ou à la peur d’être converti !? Précédée de l’amitié vécue et de la confiance donnée et reçue, c’est d’une autre conversion qu’il s’agit : celle de son propre rapport à la liberté – la sienne et celle des autres -, celle de son rapport à la vérité. L’attitude juste – ajustée – est celle que formulait déjà Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné avec son chauffeur Mohamed Bouchikhi le 1er août 1996 :

« Je suis croyant, je crois qu’il y a un Dieu, mais je n’ai pas la prétention
de posséder ce Dieu-là, ni par Jésus qui me le révèle, ni par les dogmes de la foi. On ne possède pas Dieu.
On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. »

Pierre Claverie

La rencontre œcuménique, interreligieuse, inter convictionnelle est bien une expérience de conversion. Nous avons pris modestement cette année les pas d’Abdel-Kader, Charles de Foucauld, Louis Massignon, Tierno Bokar, Christian de Chergé… Ils nous ouvrent à une plus grande prise de conscience de notre responsabilité dans la construction, ici et maintenant, du “Royaume” et/ou de “l’Oumma universelle”. Pour un authentique dialogue islamo-chrétien, pour chasser les préjugés, inquiétudes, peurs démesurées, Mgr Cristobal Lopez Romero, évêque de Rabat, invitait dernièrement « à moins parler de l’islam et des musulmans et à plus parler avec les musulmans. » L’apôtre Paul, il y a 2000 ans, ne disait-il pas la même chose ? « N’oubliez pas l’hospitalité ; elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges » (He 13, 2). Comment ne pas penser, aussi et d’abord, à Abraham – Ibrahim, au père des croyants juifs, chrétiens, musulmans, et à l’accueil qu’il fit à Dieu au chêne de Mambré (Genèse 18, 1-15 et Coran 51, 24-36).

Alain, Dominique, Jean-Louis, Jean-Marc et Siimab
contact : marche.hospitalite.reciproque@gmail.com

Pour la première Marche de l’Hospitalité Réciproque, voir : article paru dans La Croix le 28/07/2022

CategoriesInterreligieux

Notes

Notes
1 Manoël Pénicaud, Louis Massignon, le “catholique musulman”, Bayard, 2020.
Voir aussi l’article de J.M. Noirot sur le site de Saint-Merry : Louis-massignon-pionnier-du-dialogue-islamo-chretien 
Voir également le site https://louismassignon.fr ouvert en 2021.
2 Titre de l’excellent article de Jean-Paul Vesco questionné par Marion Muller-Colard dans Études n° 4295, juillet-août 2022. 

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