S

Souffle de vie : hommage à Mariano Puga

Mariano Puga, prêtre ouvrier chilien, avait ouvert les portes d’une autre forme d’Eglise. Il était lié à notre communauté de Saint-Merry. Mariano est décédé en 2020 ; un hommage lui a été rendu cet été 2022 et Catherine G. témoigne de ce moment fort. À la suite de ce témoignage, une interview à deux voix de J.C. Thomas et Mariano Puga, sur l’expérience des laïcs à Chiloé, donne corps à ce que Mariano avait entrepris dans son pays. Une expérience qui, bien qu’ancienne, peut être inspirante pour nous, en temps de synode sur la synodalité.

Hommage à Mariano Puga

Souffle de vie … venu du Chili

Il était bon que la communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs s’associe à l’hommage qui a été rendu à Mariano Puga, à Paris, au creux de l’été, le 30 juillet dernier.
Mariano, refusant toute récupération de sa personnalité populaire à Santiago du Chili, où il est décédé le 14 mars 2020, a souhaité être incinéré et a demandé que ses cendres soient dispersées dans plusieurs lieux importants de sa vie et de son sacerdoce, au Chili et dans le monde.

Le « tour » de Paris étant arrivé, nous nous sommes retrouvés sous les arbres de la Cité Universitaire – où Mariano avait longtemps séjourné et œuvré – quelques membres de la communauté avec ses amis, de tous âges, et d’horizons divers, dont plusieurs jeunes qui avaient séjourné à Villa Francia ou la Lega, à Santiago. Tout s’est organisé en douceur : des tissus bariolés à même le sol, une Bible, une bougie rouge, quelques photos de Mariano et un petit récipient en bois, qui contenait ses cendres.

Célébration à l’image de Mariano

Nous nous sommes présentés à tour de rôle, avec chacun un souvenir de Mariano à évoquer. Beaucoup d’émotion dans ce partage, occasion de retrouver des liens anciens, toujours vifs, des Chiliens avec Saint-Merry. Des lectures dures, aussi, rappelant les tortures du temps de la dictature. Partage, en petits groupes, sur un passage d’Évangile de Matthieu, comme Mariano aimait le faire : comment s’engager, partager concrètement et vivre des paroles de l’Évangile ? Quels choix essentiels ? Chants, guitare, prière ont accompagné cet hommage. Puis Paulo Alvarez, prêtre et ami de Mariano, cheveux attachés en chignon, tee-shirt et tongs, aidé d’un petit garçon, a répandu les cendres de Mariano au vent.



Catherine G.

Les laïcs à Chiloé

Jusqu’au 18e siècle, Chiloé ne dépendait pas du gouvernement du Chili, mais des rois de Lima. A Chiloé, depuis 1620, il y avait trois missionnaires jésuites. Ils demandaient à la communauté de proposer trois candidats, et parmi ces trois candidats, le missionnaire ou le prêtre en choisissait un. C’était les « fiscales » (responsables laïcs).
Ils sont restés deux siècles sans évêque : car des évêques nommés par le roi d’Espagne, au 18è siècle, aucun n’est arrivé à Chiloé, ils sont tous morts sur la route en venant d’Espagne.

Jusqu’ici, il ne reste des « fiscales » que chez les indiens du Mexique, les Guaranis de Paraguay, et à Chiloé. Maintenant encore, il y a une équipe de « fiscales », dont une dizaine de jeunes ….
Ces « fiscales », les prêtres d’aujourd’hui les méprisent un peu…  Les gens nous disent : « les curés sont venus, ils nous ont dit que la seule prière valable devant Dieu, c’était la messe, que tous nos célébrations ne valaient rien. » Ce sont les mêmes débats que j’ai eus avec le clergé local : « si Mariano continue à renforcer les « fiscales », qu’est-ce qu’on va devenir, nous, les prêtres ? »

Iles de Chiloé – Chili – Photo Jaume Galofre sur Unsplash

On a fait, à 600 km au nord, une semaine de formation biblique avec 40 personnes. La plupart n’avait jamais quitté l’île, et une semaine de formation pour eux, c’est comme si vous partiez à un institut universitaire pour deux ans. « Mais mon petit père qu’est-ce qui va se passer avec la vache ? » « Et les clôtures, si les cochons s’échappent ? … »
A la ville, l’évêque – parce qu’ils sont connus ceux de Chiloé – les reçoit à la cathédrale. Alors, on fait le tour de la grand’ place avec des accordéons, guitares, tambours et leur croix, leur symbole, comme celle des orthodoxes, avec deux bois. Et ils chantent l’hymne des « fiscales » pour porter au peuple la parole de vie.

Quand je vois tout l’effort qu’on faisait, dans les bidonvilles de Santiago, pour découvrir des responsables laïcs de communautés, ces missionnaires jésuites du 16e-17è siècle faisaient comme ce que vous faites ici, aujourd’hui, pour désigner des responsables, et c’est ça que détruit le maudit cléricalisme !
C’est faux que l’on dise qu’il n’y a pas de vocation dans l’Église. Ce que l’Esprit Saint appelle des vocations, il y en a…
Dans les centaines d’îles qui sont autour de Chiloé, les « fiscales » responsables de plusieurs îles passent du temps pour visiter les îles, en bateau. Qui sont-ils ? Des paysans, presque tous ; ils pratiquent l’assolement, une année la culture, l’année suivante ils brûlent, la troisième année, des plantes qui vont nourrir la terre. Des paysans marins, ils passent une partie de leur temps sur la terre, une partie sur la mer, depuis des siècles.

Pour une fois que dans le monde, il y a une Église qui repose entièrement sur les laïcs, ce serait très intéressant d’écrire cette histoire, d’en tirer des conséquences théologiques. C’est aussi l’expérience de la Corée au 18è siècle : les laïcs intéressés par le christianisme sont allés, dans les pays voisins, chercher des gens pour les instruire…

Mariano à Saint-Merry en 2012


L’espérance de l’Amérique latine

Je suis frappé de l’évolution de l’Amérique Latine, qui marque des pays comme le Brésil, la Bolivie, l’Équateur, le Paraguay etc. Des transformations profondes se sont passées au cours de ces trente dernières années, qui sont sources d’espérance. En fait, il se passe des choses étonnantes. On peut être enthousiaste pour Lula ou Dilma Roussef ou pas ; mais on ne peut pas ne pas percevoir que les 100 000 communautés de base du Brésil avec leur force évangélique ont été une force extraordinaire dans l’histoire politique des pays.

Une petite anecdote m’a profondément frappé, dans les années passées, en allant à la rencontre de petites communautés « Oscar Romero ». En 1984, Frei Betto, frère dominicain qui avait beaucoup souffert de la dictature et en même temps plein d’espérance, a voulu me faire rencontrer Lula, c’était important. Lula, syndicaliste, m’a reçu chez lui en short et en t-shirt, m’a emmené dans son quartier. Comment aurais-je imaginé, en 1984, que Lula deviendrait président de la République ? L’espérance, c’est ça : c’est franchir l’énorme fossé qui sépare ce que tu vois, de ce qui est espérable.
Pour Betto, il n’y a que l’Évangile qui donne cette ampleur d’espérance autrement que de façon idéologique. Et ça continue à travailler l’histoire.
Lula, Dilma Roussef, Evo Morales… ne sont pas les témoins de l’Évangile, (Lula oui, je pense, fondamentalement) mais ce sont des gens porteurs de l’espérance des peuples ; il y a aussi une espérance possible pour le peuple. Je le crois.

Interview à deux voix de Mariano Puga et Jean-Claude Thomas recueillie et mise en forme par Anne RB (2012)

CategoriesSolidarité

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.