«Est-il si difficile de dialoguer ? », nous disent certains de nos amis, perplexes, face à la tournure prise par l’affaire du Centre pastoral Saint-Merry, fermé sans concertation aucune. Est-il si difficile d’écouter les raisons des uns et des autres, les souffrances, les cris de révolte, les demandes de pardon ? 
Trois mois après le décret de l’archevêque, nous n’avons pas de réponse, mais nous croyons encore et toujours à la nécessité du dialogue, car une Église qui ne dialogue pas se renie elle-même, en niant à l’intérieur ce qu’elle proclame à l’extérieur.

Dialogue. Souvenez-vous. C’était il y a longtemps, à l’époque bénie des années… 60, quand tous les rêves étaient permis. Le Concile avait ouvert les portes et les fenêtres de l’Église au vent de l’Esprit. Aux oubliettes les prophètes de malheur ! L’aggiornamento était enfin là. Et ce n’était pas qu’une affaire de soutanes, de dentelles et de surplis. L’Église regardait sans crainte vers l’avenir, en revenant aux sources, en se redécouvrant comme peuple de Dieu, le corps du Christ, non pas comme société parfaite, pyramidale, le Souverain Pontife au sommet, les ouailles à la base. Elle redécouvrait en même temps le monde et l’histoire, ce monde honni par les gendarmes de la foi et de la morale, car intrinsèquement mauvais. Et elle essayait de ne pas se laisser séduire par ceux qui « ne voient, dans les conditions actuelles de l’humanité, que ruines et désastres »[1]Jean XXIII, Discours pour l’ouverture du Concile Vatican II, 11 octobre 1962.. Le maître mot était « dialogue », avec le monde, certes, mais aussi à l’intérieur de l’Église elle-même et avec ceux que l’on appelait « frères séparés », les représentants des autres confessions chrétiennes. Et Paul VI allait jusqu’à dire que « l’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation »[2]Paul VI, Ecclesiam Suam (lettre encyclique), Rome, 6 août 1964, § 67..

Histoire ancienne, dira-t-on. L’enthousiasme des débuts a cédé la place à la désillusion. Le Concile a été considéré par certains comme la cause de tous les maux. Et l’héritage conciliaire vite liquidé comme trop optimiste, voire irréaliste et encombrant. Passé le temps de l’enfouissement, du levain dans la pâte, c’était le tour de la réaffirmation identitaire, du christianisme de l’émotion, des nouveaux mouvements et des manifs pour tous ou pour certains, jusqu’au traumatisme des scandales financiers et sexuels.

Le dialogue, la coresponsabilité entre prêtres et laïcs ? Un luxe ?
Non. Pas partout et pas toujours. Car comment oublier les multiples expériences de renouvellement, la créativité évangélique qui s’exprime dans l’accueil de l’autre, des plus pauvres, des migrants, des sans-papiers de toutes sortes, sans certificats ecclésiastiques dûment estampillés, et dans l’écoute des trublions, des mauvais élèves, de ceux qui ne sont pas dans les rangs ?
« La maison de Dieu », écrivait Georges Bernanos, « est une maison dhommes et pas de surhommes. Les chrétiens ne sont pas des surhommes. Les saints pas davantage, ou moins encore, puisquils sont les plus humains des humains ». Alors, oui, nous osons croire au dialogue. Car sans dialogue cette « maison d’hommes » se condamne au confinement, sans y être obligée par le virus. Et elle serait en opposition flagrante avec l’Église « en sortie », « accidentée », mais vivante, dont nous parle le pape François.

Pietro Pisarra

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Notes

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1 Jean XXIII, Discours pour l’ouverture du Concile Vatican II, 11 octobre 1962.
2 Paul VI, Ecclesiam Suam (lettre encyclique), Rome, 6 août 1964, § 67.
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Pietro Pisarra

Journaliste et sociologue, il a été correspondant de la télévision italienne à Paris et enseigné pendant presque vingt ans à l’Institut Catholique.
En français, il a publié « L’évangile et le web. Quel discours chrétien dans les médias », éditions de l’Atelier, 2000. En italien, il vient de publier « La mosca nel quadro. L’arte svelata », Ave, Roma, 2021.

  1. Jean Verrier
    Jean Verrier says:

    Merci Pietro. Ce que tu écris là est “juste et nécessaire”. Il faut le faire entendre autour de nous. En quelques phrases tu resitues l’histoire notre Centre pastoral dans l’histoire d’une Église qui vit au souffle de l’Esprit. Qui peut l’arrêter?

  2. Djevelekova
    Djevelekova says:

    Nous sommes tous des humains avec nos fragilités et nos forces. Et nos idées sont multiples. Raison de plus pour les partager et ouvrir les dialogues. On peut ne pas être d’accord avec son frère mais qu’est-ce-qui doit nous empêcher de vivre en frères et de dialoguer, de nous réconcilier, de trouver un chemin sur lequel faires de pas main dans la main, malgré nos différences. La différence de nos église est une richesse. François nous dit d’aller aux périphéries et c’est ce que fait Saint Merry. Nous trouverons ce chemin je veux le croire où nous marcherons tous ensemble dans le pas de notre Dieu.
    Anne

  3. Catherine de Bretagne
    Catherine de Bretagne says:

    Cet article me réconforte et précise ce que je pense depuis un certain temps. Mais je ne vois pas de lieu ni d’instance où ce dialogue peut naître, venant de quitter l’engagement que j’avais pris dans ma paroisse pour cette raison même du manque de dialogue .

  4. François Mahieux
    François Mahieux says:

    Entre l’Eglise Institution et la foi, je choisis la foi.
    Entre le droit canon et le Saint Esprit, je choisis le Saint Esprit.
    Cela n’enlève rien à la désolation qu’on peut éprouver devant le temps présent…

    1. Martine Rigaudière-Real

      Merci François que je ne connais pas. Ou peut-être de visage. Merci d’affirmer cette profession de foi qui est aussi la mienne. Et sans doute celle de bien d’autres.
      Mais où tu vois désolation, je ne vois que chemin. Difficile à emprunter et sans garantie de ce qu’on trouvera au bout. La vie est comme ça. On l’accepte ou on y renonce.
      “Aime ton prochain comme toi-même”. Alors oui, il faut tenter le dialogue. Toujours. Et encore. Mais comment parler avec quelqu’un qui s’y refuse. Pourquoi ? En quoi le CPHB gêne-t-il ? Pourquoi l’Archevêque ne veut-Il pas dialoguer ? Aurait-il peur ?
      Peur de quoi ? Que nous fassions du mal à l’Eglise ? L’Eglise ? Qu’est-ce que c’est ? Sinon des femmes et des hommes qui se réunissent au nom de Jésus. Si c’est autre chose, une “institution”, elle n’a pas attendu, au long des siècles, le CPHB pour se discréditer toute seule ! L’Eglise qu’aime Monseigneur est sourde et aveugle. N’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre dit-on.
      Alors. Qu’attend-on ? Que l’Eglise, celle que dénonce même, à sa façon, le Pape François, guérisse de sa surdité et de sa cécité ?
      “Lève-toi et marche” ! Ayant décidé de vivre, j’ai fait de cette phrase, mon bâton de pélerin”. Et je souffre immensément du renoncement d’une grande partie de la Communauté à habiter St Merry-dans-les-murs. Pourquoi ? Quand nos frères-car ils le sont ou bien nous ne sommes pas du Christ- nos frères de St Nicolas-du-Chardonnet dont je honnis les idées, ont eux gardé leur église ? Nous, nous ne pouvons plus -hormis en paroisse- recevoir la communion à St Merry mais, eux, ont tout supporté jusqu’à l’Excommunion, un temps, pour la reconnaissance de leurs valeurs-que je réprouve encore une fois, de tout mon être-. Pourquoi n’y parviendrions-nous pas ?
      Ce qui n’empêcherait pas St Merry de s’exercer Hors-les-Murs. Il y a là une mission qu’on avait, bien au chaud entre nous, pu oublier. Et c’est probablement notre plus grande faute. Or, “Hors-les-Murs”, il y a à bcp à faire.
      Mais n’abandonnons pas une de nos maison qui nous est chère et a été pour énormément de monde, voire de passants, d’accueillis, si précieuse.

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