Immigrations vers l’Europe. Quelles propositions pour relever le défi ? Ce fut le thème du débat organisé le 31 mai par Saint-Merry Hors-les-Murs. Guy Aurenche nous propose quelques pistes et propositions développées par Michel Antoine du RCI, Dominique Potier, député et François Thomas, président de SOS Méditerranée.
À la rencontre des personnes
Avec François Thomas, marin de profession et président de SOS Méditerranée, découvrons des visages et entendons des appels. « Tout capitaine doit se porter au secours dès qu’il a reçu un appel ». Cela n’est-il pas vrai pour tout être humain ? Créée en 2015, SOS Méditerranée affréta l’Aquarius pour le sauvetage en Méditerranée centrale. Depuis cette date, plus de 37 000 personnes ont été sauvées ; plusieurs bébés sont nés à bord. L’association humanitaire est la cible de critiques injustifiées, tandis que la xénophobie gagne du terrain. Des partis (souvent) situés à l’extrême droite, manipulent le mécontentement des citoyens. « Il faut déconnecter le sauvetage en mer des différentes politiques migratoires » et appliquer les principes fondamentaux du secours maritime.
En 2022, l’Ocean Viking dut attendre trois semaines, avec à son bord plusieurs centaines de femmes, hommes et bébés, avant de pouvoir débarquer à Toulon. Passagers et équipage étaient au bord de l’épuisement. Le gouvernement italien, avec beaucoup d’hypocrisie, a récemment imposé aux navires de secours de débarquer leurs passagers dans des ports très éloignés de la zone de Méditerranée centrale. Conséquences : les naufragés attendront ! Les frais de secours augmenteront ! Le retour dans l’enfer libyen sera assuré !
L’Europe doit s’engager dans une politique de partage de la charge avec les pays géographiquement plus exposés. La convention de Dublin sur le droit d’asile ainsi que les règles de protection des frontières doivent s’adapter. Notre responsabilité citoyenne et notre générosité sont interpellées.
Contre le déni
Blandine Ayoub, membre de Saint-Merry Hors-les-Murs détaille les réflexions que développe François Héran, sociologue, membre du Collège de France, dans son livre : Immigration ! Le grand déni, Ed. Seuil.
« Nous n’avons pas à être pour ou contre. Il faut faire avec. »
Oui les mouvements migratoires augmentent fortement et cela est vrai pour la France même si celle-ci n’est pas un pays « attractif ». Elle accueille beaucoup moins que d’autres pays européens. Elle accueille principalement des étudiants francophones, des migrants « qualifiés » utiles à son économie, des demandeurs du statut de réfugiés (droit d’asile) et enfin des personnes au titre du regroupement familial, plutôt en baisse.
Non les passeurs ne sont pas la cause des migrations, mais bien la conséquence de la fermeture totale des frontières et de l’opacité des procédures administratives, une « véritable loterie ». Il n’est ni humain ni opérationnel d’opposer les « gentils étrangers aux méchants tricheurs ».
Près d’un tiers des Français ont au moins un grand parent immigré dans leur généalogie. L’opinion publique française est d’ailleurs plutôt contradictoire : 49 % trouvent qu’il y a trop d’étrangers, tandis que 80 % estiment que ceux-ci doivent pouvoir « vivre en France, comme chez eux puisqu’ils contribuent à son économie ». Notre pays, loin de connaître le « grand remplacement » est invité à vivre un « grand renouvellement ».
Et le politique dans tout cela ?
Les responsables politiques ont-ils peur de la peur de leurs électeurs au sujet des migrants ? Le député Dominique Potier précise, avant de répondre : « Il faut contribuer à construire une mondialisation moins barbare » tout en détaillant les actions ponctuelles qu’il a suscitées dans son département. Il ne veut pas confondre son engagement humanitaire avec sa fonction de député de la République. Celui-ci doit être attentif aux craintes de ses concitoyens. Certes il regrette vivement « le glissement actuel » vers un certain rejet de l’étranger, mais sa responsabilité politique lui impose de ne pas « nier ces craintes ». « Je n’ai pas peur des peurs des électeurs, mais je me dois de les entendre ».
Le député partage un constat : « ne pas faire la leçon ». Le rappel enflammé des valeurs de la République, de la solidarité programme de la Résistance, la mention de la « France Terre d’asile », tous ces arguments ne « fonctionnent plus » pour contredire les discours extrémistes. Tout en rappelant son attachement auxdites valeurs.
« La question de l’accueil des migrants nous renvoie à l’élaboration commune du nouveau contrat social… à la recherche d’un idéal humaniste et républicain ». Cela suppose l’approfondissement de notre propre identité et la restauration d’une certaine estime de soi. Sans oublier le ressenti d’une injustice sociale par certains Français : « J’ai trimé pour survivre et eux, les étrangers, ont tout sans rien faire ». L’accueil des étrangers passe aussi par une réflexion et une action de justice sociale envers les Français les plus démunis. « Oui, en politique comme dans d’autres domaines, “tout est lié“. Attention à ne pas nourrir involontairement certains courants politiques très dangereux pour notre pays ». Dominique Potier confie aussi de nombreuses raisons d’espérer en ce moment : l’inventivité des pédagogues français au cœur de l’interculturel ; la générosité de nombreuses personnes. Au sein de l’Assemblée nationale il souhaite développer une dynamique transpartisane pour partager de fortes convictions citoyennes communes au service de ce nouveau contrat social qui reste à écrire.
L’aurore d’une rencontre
Il rejoint l’expérience de Michel Antoine, vice-président du Réseau Chrétiens – Immigrés et président de Solidarités Saint-Bernard de la Chapelle à Paris. Célébrer le dévouement créatif de nombreux bénévoles à travers le pays. Ne pas opposer dans l’action, la satisfaction des besoins urgents (nourriture, logement, alphabétisation, papiers …) et les actions politiques qui exigent une approche globale tant des personnes que du phénomène migratoire. Approche globale de la personne étrangère dans son désir de vivre, sa souffrance de la séparation, sa reconnaissance pour ceux–celles qui l’accompagnent dans le maquis des procédures administratives, son appétit de connaître la richesse culturelle française et de partager la sienne, sa capacité à devenir à son tour « accueillant bénévole » de personnes plus pauvres que lui. Ne pas oublier le primat de la dignité des personnes qualifiées de « ni-ni », ni expulsables, ni régularisables. Que les groupes et associations accentuent leur travail inter-associatif afin d’interpeller les pouvoirs publics et de leur suggérer des solutions.
À notre tour, accueillir les cadeaux de courage et d’inventivité, que nous font les personnes accueillies. Plus qu’un débat : une véritable rencontre. Au cœur de certaines des nuits que traverse notre société, accueillir des visages, des larmes et des sourires. Non pour réaliser un miracle… sauf peut-être celui de l’aurore que provoque toute vraie rencontre.