Au sein de notre communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs, une douzaine de groupes se sont réunis durant ce Carême 2024, pour partager autour de la question : « Être artisans de paix dans un monde de violence ». En voici quelques échos, à partir de textes remontés de ces échanges.
Riche et beau cadeau que ce partage entre plus de cent personnes réunies à l’occasion du Carême 2024 ! Impossible à résumer ni même à synthétiser. Tentons d’en souligner quelques pépites, au service de l’avenir de la mission de Saint-Merry Hors-les-Murs.
Partons, d’abord, avec quelques messages de vie. « Vous n’aurez pas ma haine », après les attentats à Paris. « Le plus étonnant est que je n’ai pas de haine », Ziad Medoukh, Palestinien demeuré à Gaza. « Le vol patient et obstiné du colibri », au cœur des tourmentes. Les exemples de Navalny (Russie) et Nagès Mohammadi (Iran).
Par quelles violences sommes-nous concernés ?
Un effort de lucidité s’impose face à toutes les violences. Nombre de visages meurtris jaillissent de nos échanges. Tout spécialement les enfants, les femmes, les personnes harcelées ou humiliées par les « puissants », autour de nous et dans le monde ; les peuples blessés par tant de guerre, les « accrocs », victimes du Numérique et de ses excès, Caïn et Abel, Jésus de Nazareth qui déclara ne pas être venu apporter la paix et qui subit la passion et la mort.
Violences vécues dans le cercle familial, professionnel, social, ecclésial. La fermeture violente du Centre Pastoral Saint-Merry est souvent évoquée comme un envoi « au désert », une sortie de « l’entre-nous », ou une invitation à en analyser les causes.
Sans oublier la violence que provoque toute mort, la nôtre, celle de nos proches.
Le cycle humiliation-colère-violence est dénoncé, qui aboutit à la négation de l’autre jusqu’à sa destruction. Le défaut d’écoute dont nous sommes responsables ou que nous subissons. Violences ponctuelles ou produits de systèmes économiques, politiques, idéologiques, religieux, ou d’un pouvoir sans limite, et ce dans plusieurs domaines.
Entre découragement et espoir
Affamer les enfants de Gaza, est pire que de bombarder le pays.
Sans oublier la violence que cause ma lâcheté lorsque j’ignore volontairement ce qui se passe autour de moi.
Face à des êtres de violence (Poutine…), comment ne pas souhaiter leur disparition ?
Faut-il écarter l’usage de la violence pour dénoncer les scandales ou des dangers mortels ?
Que penser du refrain souvent entendu actuellement : « Qui veut la paix prépare la guerre » ?
Oui, lors des échanges, le découragement, voire la peur, ne furent pas absents mais ils n’étouffaient pas les cœurs ni les esprits ; ils évoquaient les violences et citaient, en même temps, des exemples de résistances. Non par optimisme de commande mais par conviction et en raison d’un certain constat réaliste de la vie du monde, qui sait aussi espérer.
Nos « réponses » face à la violence ?
Elles s’expriment tant à travers des phrases générales que des petites histoires à interpréter. Ainsi : que faire face à un ours énorme venant à votre rencontre ? Développer l’art de la diplomatie et ne pas se brancher sur une violence réactive, vouée à l’échec. Ou l’humour pour désarmer le violent (c’est plus facile avec une personne qu’avec un ours !). Plus sérieusement, opposer au geste de violence l’écoute de l’autre, et même sa valorisation. D’une manière générale, l’on insiste sur la tentative de rétablir la relation par divers moyens. Sortir du jugement ou de la culpabilité. Faire appel à une médiation et prendre du recul. Prendre conscience de ce qui, dans mon attitude peut générer la violence de l’autre.
Face aux systèmes sources de violence, l’action politique, l’engagement associatif (l’ACAT et les Cercles du silence, …) sont souvent cités ainsi que le fait de se rassembler pour agir méthodiquement. Se mettre en disposition de devenir « artisans » de paix sans vouloir tout faire. Aider ceux-celles que l’on qualifie faussement de « sans-voix » à la faire entendre.
Gestes de vie et Relèvement ?
Ne pas confondre violence destructrice et exercice formateur d’une certaine autorité, vis-à-vis des jeunes et des moins jeunes. Ou dans la vie sociale.
Positivement, célébrer régulièrement les gestes de vie posés autour de nous, sans laisser certains médias nous écraser par le négatif. Accueillir nos capacités à faire le bien comme une puissance de vie qui reprend à la violence tout ce qu’elle confisquait. Et si la vie l’emportait sur la mort ? Que signifie pour nous, la résurrection du Christ ?
Et pourquoi pas la prière ? Elle est souvent citée. Soit pour en dénoncer le caractère magique, l’hypocrisie ou l’inefficacité, soit pour en souligner les vertus : se mettre en disposition de devenir artisans de paix, en accueillant l’autre, le Tout Autre, en rendant grâce, ou simplement en vivant ensemble un moment d’apaisement, de communion, de confiance. « Désarme les violents ; désarme-nous ; désarme-moi » demandait Christian de Chergé, avec les psaumes. Voir en l’autre, fut-il ennemi, « l’image de Dieu ».
Développer, dans la célébration, le « geste de paix ».
Et pourquoi pas la perspective, parfois longue, du pardon lorsqu’il est possible, sans écarter le besoin de justice ?
Et pourquoi ne pas valoriser les réactions de non-violence active dont certains font preuve ?
Et pourquoi ne pas poursuivre un échange aussi fructueux ?
« Combien de vérités peut supporter la fragile âme humaine ? », se demandait Jean Rostand.
C’est la question, certes, d’un cœur compatissant. Et pourtant (comme on le dit d’un malade atteint d’un mal incurable: « Il a le droit de savoir sur lui-même la vérité »), il m’apparaît que toute transformation ne se fera qu’au prix de cette vérité.
Quelle vérité ? Une vérité qui n’est aussi terrible que parce qu’elle ne laisse rien à sa place lorsqu’elle nous atteint, et que nous aimons tous, fragiles que nous sommes, garder les choses à leur place. Alors, cette vérité ? Et bien la voici : le monde du dehors ne reflète que l’état du monde intérieur.
Devant toute souffrance, toute violence, toute dégradation monte la question harcelante : qu’y a-t-il en moi qui souffre, qui mord, qui frappe, qui tue, qui dégrade ? Quelle part en moi acquiesce à l’humiliation, à la mort d’autres humains ?
Et dès que la question est là – dans sa terrifiante clarté -, alors quelque choses d’infiniment mystérieux se met en place dont je ne saurais dire, après l’avoir observé tant de fois, que ceci : cette force agit dans un espace où ni le regard ni la volonté ni l’intention ne pénètrent. Seul la certitude se met en place, ardente, irrécusable : de chacun de nous dépend en toute dernière instance l’état du monde.
Il ne s’agit de rien d’autre que de « réparer le monde en nous » (François Cervantès). Non pas de nous réparer nous-mêmes pour notre bien-être ou même notre salut (tâche d’ailleurs impossible vu l’irréparable, l’irrémédiable, l’absolue porosité de notre être), mais de « réparer le monde en nous ».
Quelle aventure!
© Christiane SINGER | babelio.com
LE MASSACRE DES INNOCENTS
https://andreeboulay.com/2021/05/20/christiane-singer-le-massacre-des-innocents/