Lorsque Moïse Maïmonide, à la fin du 12° siècle, écrit son œuvre majeure, connue sous le nom de « Guide des égarés », beaucoup attendent de lui une clarification globale des Écritures, des explications simples qui mettent tout à plat et évitent aux autres de réfléchir en leur livrant une interprétation globale. Certes il vise à sortir de son embarras celui qui éprouve des difficultés devant certains énoncés bibliques, surtout lorsqu’ils sont pris au sens littéral. Certes
il élucide de très nombreux passages, d’abord obscurs, des Écritures.
Mais, comme l’indique son véritable titre, littéralement « Guide des perplexes », c’est d’abord un éloge de la perplexité. Et c’est à ce titre qu’il a tant influencé la recherche philosophique et théologique postérieure, jusqu’à saint Thomas d’Aquin, Maître Eckhart et au-delà. Et prioritairement la tradition juive, toujours à la recherche, comme le dit Marc-Alain Ouaknin, de « l’interprétation manquante ». Car c’est en interprétant que l’homme peut restituer l’infini du sens et quelque chose de l’Infini de Dieu. « Une prodigieuse rhapsodie de lectures et d’interprétations ».
Je ne sais trop pourquoi, mais c’est cet exemple et ce mot qui me viennent à l’esprit quand je considère la situation où nous nous trouvons : « perplexité ».
Perplexité devant la montée de l’extrême droite, cette fermeture à l’autre et cette recherche du bouc-émissaire. On a beau avoir lu René Girard,
ça nous prend à contre-pied. Et toutes les interprétations laissent un doute.
Perplexité devant les alliances à gauche comme à droite et devant la disparition des grands enjeux,
à commencer par l’avenir de la planète et de l’humanité.
Perplexité devant le silence d’une Église qui semble hors-sol et plus préoccupée par la restauration de Notre-Dame et les Jeux Olympiques que par ce qui se passe dans le pays.
Perplexité devant les choix à faire. Car cela n’entame pas l’envie de se battre mais rend compliqué de savoir où aller.
Les prophètes, dans la Bible, nous donnent l’exemple :
la perplexité peut être exigeante.
L’accueil de l’étranger n’est pas une option.
Gouverner en apportant des réponses effectives
à ceux et celles que nos « systèmes » humilient rejoint l’art de la vraie politique. L’évocation du passé ne doit pas être source de repli frileux,
mais ouverture vers l’imprévu du lendemain.
Je crois que l’Esprit Saint ne chôme jamais. Nous avons vraiment besoin de lui.
Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme et de l’Allemagne, professeur d’histoire contemporaine à Paris-Sorbonne. Johann est l’auteur, entre autres, de «Le Meurtre de Weimar» (PUF, 2010), «La Loi du sang. Penser et agir en nazi» (Editions Gallimard, 2014), «Le Grand récit» (PUF, 2021). Son travail sur le management nazi, antichambre du management capitaliste moderne, est l’un des plus notables.
Johann Chapoutot m’aide, aujourd’hui, à sortir de la perplexité.
https://www.youtube.com/watch?v=vf8FdyRoaNo
Oui, l’Esprit Saint n’est pas de trop. Merci Jean-Claude.
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