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Anne et Patrick Poirier, « In Abundantia »

Brillante exposition d’été à la galerie Saint-Séverin de deux grands artistes français, une composition qui confirme le sens religieux donné par le titre. La chronique de Jean Deuzèmes

« L’installation colorée d’Anne et Patrick Poirier lance un hymne à la vie, la vie en abondance. Ces deux fenêtres en verre antique argenté, Éros et Gaïa, s’inscrivent dans la suite des miroirs créés pour le Palazzo Butera à Palerme (2018). Elles ont été montrées pour la première fois par Jean-Gabriel Mitterrand dans l’exposition Errances (2021) au Domaine du Muy. Ces miroirs en ogive, écho contemporain des baies de Saint-Séverin qui leur fait face, renvoient l’image du monde dans tous ses éclats. » Marc Chauveau,O.P. commissaire invité.
On connait les deux artistes, nés en 1941 et 1942, essentiellement pour des œuvres sur les ruines . Mais ils ont aussi développé récemment tout un travail sur les vitraux, notamment à Ivry-sur-Seine.

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Le commissaire, qui les a fait travailler au couvent de la Tourette, a tenu à faire référence à leur inspiration initiale, en leur demandant de déposer un crucifix entre les deux vitraux, comme une sorte de trait d’union :  cette œuvre avait été réalisée en 1988 à l’aide de fragments venant de Syrie, en référence aux ruines dans ce pays.

Avec cette composition, le commissaire suggère une interprétation chrétienne à l’ensemble.

Pour la galerie Saint-Séverin, les artistes ont choisi des copies de taille réduite des deux fenêtres en verre antique argenté, Éros et Gaïa,du Palazzo Butera toujours réalisées par le même verrier.
La technique est étonnante. Les deux vitraux éclatent de couleurs, comme si les rayons du soleil venant de l’arrière les traversaient.  Or, ce sont des verres soufflés enserrant une feuille d’argent faisant fonction de miroir qui reflètent les rayons venant de l’avant. Avec le soufflage, les dessins déposés ondulent légèrement.

Les titres choisis, Gaïa / Éros, sont des références aux grands récits mythologiques, l’un est utilisé fréquemment au XXIe, l’autre a été largement utilisé à partir du XIXe. La croix est formée de tessons d’argile et s’intitule « Reliques du Temps ». On peut lire de haut en bas les mots : Ruins, Soul, World, Silence, Memory, Anima.

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Les deux œuvres ont des points communs : elles font référence au temps et reviennent sur un thème cher aux deux artistes, la fragilité.
Les deux vitraux évoquent des pulsions de vie dont le titre « In Abundantia » témoigne.

On ne peut séparer l’homme de la nature, le discours chrétien sert de référence, le titre général fait subtilement écho à la Genèse (1, 27-31) et à la place de chacun pour accroitre l’abondance.

Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.
Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture.
À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.
Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

Biographie

« Enfants de la guerre, marqués par la fragilité de la vie, Anne et Patrick Poirier travaillent en couple depuis 1968.
Sculpteurs, architectes, et archéologues, ils portent leur regard sur les ruines laissées par les civilisations antiques et s’interrogent sur les vestiges dont hériteront les générations à venir. Ils nous invitent à méditer sur la réinvention du passé, les ruines imaginaires. Pendant leur séjour à la Villa Médicis à Rome, après leurs études à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris, ils réalisent un relevé du site d’Ostia Antica et le présentent sous la forme d’une reconstitution miniaturisée. En 2013, ils sont invités à exposer au couvent de La Tourette des maquettes, des reliefs, des photographies. Dix ans plus tard, ils présentent leur projet de 13 vitraux pour la chapelle haute du Palais du Tau à Reims. Comme en miroir de la Galerie Saint-Séverin, ils donnent une teinte dominante à chaque fenêtre, formant un arc en ciel de lumière. » (présentation par le commissaire invité)

Lire les autres articles de la chronique « Interroger l’art contemporain »

Galerie Saint-Séverin, 4 rue des prêtres Saint-Séverin, 75005 Paris. Du 30 mai 2024 au 8 septembre 2024

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