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Rencontre Grands Témoins du RCI sur le monde hospitalier et les soins aux migrants

Le RCI a reçu en tant que Grands Témoins les docteurs Céline et Marc-Antoine Labeyrie, qui exercent, la première comme neurologue spécialiste des nerfs périphériques (urgence ou maladie chronique) au Kremlin-Bicêtre, le second en neurochirurgie à Lariboisière.

Bien que non spécialisés dans la prise en charge des migrants, ils ont par leur présence d’une vingtaine d’années à l’APHP l’expérience de l’accueil de personnes exilées, en situation de précarité, en lien avec la question de la couverture sociale dont elles peuvent bénéficier ou non.

Vous trouverez ICI leur présentation, particulièrement complète et concrète.

La littérature scientifique

(pages 1 à 6 de la présentation)

S’appuyant entre autres sur des travaux de Didier Fassin, Marc-Antoine Labeyrie a rappelé les différents prismes au travers desquels la santé des migrants a été successivement abordée : hygiéniste (tri des bons et mauvais travailleurs, cf. Ellis Island), tropicaliste (risques de maladies infectieuses), différentialiste (explication sociologique et ethnologique), épidémiologique (données statistiques).

Paradoxe révélé par la littérature scientifique : d’une étude menée sur 40 000 patients aux États-Unis, publiée dans The Lancet en 2018, il ressortait que les migrants étaient en meilleure santé que les non-migrants, idem dans une étude espagnole sur les risques de décès par cancer. En revanche, à la génération suivante, la tendance s’inverse.

Mais ce qui est retenu par la littérature scientifique ne correspond pas à la réalité où sont observées des maladies liées au trajet migratoire (violences, stress post-traumatique, à des conditions de vie dégradées, à un accès aux soins limité).

Prise en charge par les hôpitaux

(pages 7 à 13 de la présentation)

  • Personnes en situation irrégulière : PASS (Permanence d’accès au soin de santé), SUV (Soins urgents et vitaux) si moins de trois mois en France ou refus de l’AME, Aide médicale d’État, après trois mois en France et revenus annuels inférieurs à 10 000 euros. C’est une obligation de service public, les hôpitaux ne doivent (devraient) pas refuser bien qu’ils soient perdants car n’auront qu’un remboursement partiel par la CPAM. Les dispositifs médicaux (ex. prothèse de hanche) ne sont pas inclus dans les soins. Cela concerne environ 600 000 personnes.
  • Demandeurs d’asile, en procédure Dublin, Ukrainiens, mineurs isolés, regroupement familial : PUMA (protection universelle maladie), CSS (a remplacé la CMU). Sur 150 000 demandes annuelles, 30 000 acceptées
  • Titulaires titre de séjour : PUMA, CSS. Sur 300 000 titres accordés, 10 % le sont pour raisons de santé

Examen de quatre cas

(pages 14 à 27 de la présentation)

Les situations exposées montrent que l’obtention d’une couverture des soins est loin de signifier l’absence de problèmes et de questionnements éthiques pour l’équipe médicale.

À ce propos, Céline Labeyrie détaille les quatre principes qui sous-tendent la réflexion éthique avec des incidences particulières s’agissant de personnes en précarité :

  • bienfaisance : améliorer la qualité de vie du patient
  • non-malfaisance : ne pas ruiner la famille par le coût d’un traitement
  • équité (justice) : pour le patient, sa famille, la collectivité
  • autonomie : prise en compte de la décision du patient, décision du médecin.

Au-delà des impératifs médicaux, les problèmes rencontrés sont très fréquemment liés :

  • aux difficultés de communication sur place avec le patient (cas n° 1, après traitement d’un AVC hémorragique d’une femme enceinte de 6 mois) ou dans son pays d’origine avec sa famille (cas n° 2, échec d’une opération, décision à prendre suite à coma)
  • à l’isolement, l’absence de connaissances en France (cas n° 1 et 2) ;
  • au coût prohibitif et non supportable par le patient d’un traitement à vie (cas n° 3, 250 000 € annuels) ;
  • à la difficulté voire l’impossibilité de mettre en place des soins de support coûteux (cas n° 4).

Bien que très différentes, ces situations montrent que la prise en charge hospitalière est satisfaisante en médecine d’urgence, mais moins bonne pour les pathologies chroniques car la précarité et la vulnérabilité des patients mettent en jeu la poursuite des traitements. L’isolement (langue, entourage affectif) compromet leur rétablissement dans la durée. Une comparaison peut être faite avec le rétablissement après un AVC dans la population générale, meilleur chez les patients jeunes que chez les patients âgés. Alors qu’on serait tenté de le corréler à une meilleure forme physique, ce rétablissement est lié à l’existence ou non d’un entourage solide.

Des améliorations pourraient être apportées en luttant contre les lourdeurs administratives, en mettant en place une prise en charge globale (ex. un service de traduction ne se limitant pas au rendez-vous avec le médecin).

Dans leur majorité, les soignants défendent le maintien de l’AME, outre le fait qu’il est difficile de refuser des soins à une personne que l’on a sous ses yeux, la suppression de l’AME conduirait inévitablement à une paralysie de l’hôpital…

Françoise Josse

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