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Vérité, justice et paix en Palestine-Israël

Le mercredi 18 décembre 2024, l’église Notre-Dame-des-Anges (Paris 6e) était comble. Deux cent personnes environ, chrétiens, croyants d’autres confessions ou sans confession, à l’appel du collectif Anastasis en partenariat avec le CCFD-Terre-Solidaire, les Amis de Sabeel France, Chrétiens de la Méditerranée, le Groupe d’amitié islamo-chrétien (GAIC) et Pax Christi, s’étaient rassemblés pour un temps de prière pour la vérité, la justice et la paix en Palestine-Israël.

Au programme : témoignages, moments de recueillement, chants, lectures bibliques harmonieusement répartis en « trois temps forts : un temps autour de la nécessité de la vérité, un autre autour de celle de l’exigence de justice, un dernier autour du désir de paix. » Certaines personnes en sortiront très émues, ébranlées et, avec d’autres, plus convaincues qu’un combat est possible, que le droit doit être appliqué partout, que la ténacité dans des actions citoyennes est un puissant levier pour faire cesser les morts physiques et/ou spirituelles des victimes comme des bourreaux. 

>> Pour lire les contenus de la prière in extenso : cliquer ici[1]Ce lien permet d’accéder aussi à d’autres informations sur le collectif Anastasis

Trois temps hiérarchisés avec justesse

Après l’introduction de Foucauld Giuliani, animateur du collectif Anastasis, des extraits de textes de Théologie palestinienne de la libération de Naïm Ateek et un extrait de l’appel de Pâques 2024 par l’association Kairos Palestine par le patriarche émérite de Jérusalem Michel Sabbah :
– le premier temps est celui de la « nécessité de la vérité « avec un témoignage de Omar Hamary (président de Sabeel en Palestine)[2]Sabeel (lire Sabîl) : créé en 1994, centre oecuménique de Théologie de la Libération (le chemin, le chenal, ou la source, en arabe) établi à Jérusalem et Nazareth. Il réunit des chrétiens … Continue reading suivi de celui d’une religieuse chrétienne de Bethléem.
– Après une respiration musicale, le second autour de « l’exigence de justice » commence par la lecture de Jérémie (33, 12-16) suivie d’une méditation du frère franciscain Frédéric Le Méhauté que nous commenterons.
– Accompagné de chants, le dernier temps autour du « désir de paix » fut consacré, d’une part, à la lecture de la prière pour la paix de Etty Hillesum dont nous extrairons quelques perles et, d’autre part, à la prière de l’Avent composée par l’association Kairos Palestine.

Introduction de Foucauld Giuliani

« Depuis un an, nous, chrétiens de France, sommes sidérés face à la situation à Gaza et dans les territoires palestiniens. Alors que les Palestiniens connaissent déjà depuis 75 ans une situation d’occupation et de violence, les massacres atroces commis par le Hamas le 7 octobre 2023 – qui ont causé la mort de 1 200 personnes – ont été suivis par un déchaînement de violence d’une intensité inédite de la part du gouvernement israélien : au moins 45 000 personnes tuées à Gaza, sans doute plus. Ces morts sont à peine des chiffres, encore moins des noms. » 

Foucauld Giuliani poursuit en interpellant les chrétiens en France qui se sentent ébranlés devant tant de massacres de civils innocents, ébranlés en tant que citoyens devant l’absence de réaction du gouvernement, mutiques presque devant la difficulté du débat public, « sidérés par le pur triomphe de la force, qui méconnaît les principes élémentaires du droit… Nous, chrétiens en France, nous sommes aussi envahis d’une culpabilité, nécessaire, face à l’antijudaïsme chrétien, qui a fait tant de ravages dans l’histoire… et aussi face à l’histoire coloniale qui se répète aujourd’hui en Israël – Palestine. Oui, nous sommes envahis par un sentiment de tristesse, de culpabilité et d’impuissance. »

Que faire alors ? F. Giuliani propose « d’écouter le cri des chrétiens palestiniens qui nous appellent
à regarder en vérité ce qui se passe là-bas » et d’entendre « ce que nous disait le pasteur de Bethléem, Munther Isaac, il y a un an : 

« Si nous, en tant que chrétiens, ne sommes pas révoltés par ce génocide, 
par l’instrumentalisation de la Bible pour le justifier, 
quelque chose ne va pas dans notre témoignage chrétien 
et nous compromettons la crédibilité de notre message d’Évangile. » 

Foucauld Giuliani exhorte les nombreux présents à :
« prier pour un cessez le feu en Israël-Palestine, 
pour toutes les victimes, 
pour le salut de ceux qui commettent des crimes, 
pour que les otages israéliens soient libérés, 
pour que les prisonniers palestiniens injustement incarcérés soient libérés, 
pour que notre gouvernement cesse de soutenir des politiques criminelles, 
pour la fin de l’occupation 
et pour que les Palestiniens aient droit à une vie libre
et recouvrent au plus vite leur droit à l’autodétermination. »

Soirée de prière à Notre-Dame-des-Anges, photo Claire S.

Quelques citations de la prière pour la paix de Etty Hillesum

« Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour son prochain… ou bien domine cette haine et la change en autre chose, qui n’est plus de la haine, peut-être même à la longue en amour – ou est-ce trop demander ? C’est pourtant la seule solution. » 

Le 12 juillet 1942, E. Hillesum écrit :
« Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas T’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance.
Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas Toi qui peux nous aider,
mais nous qui pouvons T’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes… C’est aussi la seule chose qui compte : un peu de Toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à Te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. »

Lumineuse méditation du frère franciscain Frédéric Le Méhauté

Texte de feu aux paroles abrasives, dérangeantes, d’une lucidité désarmante aux accents révolutionnaires. Texte pionnier par les récits de chemins d’espérance et de libération.
Le résumer serait le mutiler ; en voici quelques perles. 

À partir des deux premiers versets du psaume 93, « Dieu qui fais justice, Seigneur, Dieu qui fais justice, parais. Lève-toi, juge de la terre », F. Le Méhauté invite ceux qui souffrent à prendre un sentier décalé, déstabilisant et libérateur, un chemin tracé pour nous par un Dieu de la rencontre, d’un Dieu d’amour, de pardon, de vérité, de justice, de paix et de joie. 
« Comment oser parler de la justice de Dieu, s’interroge-t-il, alors que les cadavres s’entassent ? Nous sommes comme les amis de Job, venus le visiter dans son malheur. Et, comme eux, le plus souvent, nous cherchons d’abord des excuses à Dieu plutôt que de percevoir la profondeur du malheur humain. Job ne lui cherche pas d’excuse. Il combat. Il accuse. (…) Alors qu’il proteste en vain contre la violence dont il est l’objet (Jb 6,17), Job ne connaît plus qu’un seul “témoin” capable de porter après sa mort sa cause devant Dieu (Jb 6,19-21), c’est le cri de son sang. » 
Et quand le sang sèche, son cri se tait, mais demeurent la souffrance et l’insoutenable silence de Dieu. « Dieu qui venges, lève-toi. Dieu qui venges, parais », poursuit F. Le Méhauté, « étrange détour que d’aborder la justice de Dieu en parlant de la vengeance, de notre soif de vengeance, parfois si difficilement discernable de notre désir de justice. Comment sortir de cette ambivalence ? On dit souvent qu’on sort de la violence par le langage… Nous ne sommes pas à court de mots, mais ceux-ci sont comme usés à force d’être brandis, leur signification elle-même se délite parce qu’ils ne font plus sens dans la réalité de nos expériences partagées. Génocidaires ? Criminels de guerre ? Antisémites ? Non ! C’est un truc trop lourd à porter. Nous sommes des citoyens lambda, des pères de familles, des travailleurs ; nous aussi, nous avons souffert et nous aussi, nous faisons parfois du bien. Ni saints, ni démons, simplement humains. C’est là que se loge la banalité du mal, dans sa quotidienneté, dans son humanité. » Le franciscain cite ensuite Jean-Marie Müller : 

« La violence c’est la défiguration du visage de l’homme. 
Cette défiguration représente le drame de l’humanité ; 
elle prive l’existence d’un sens et brise l’espérance. 
La violence est véritablement désespérante. 
Le tragique de l’existence n’est pas que l’homme soit mortel, 
mais qu’il puisse être meurtrier. » 

Il poursuit : « violence qui tue l’humanité des victimes, mais violence qui détruit l’humanité des auteurs de crimes… Les conséquences dramatiques des massacres du 7 octobre ne se comptent pas seulement en tués, en otages, en mutilés, en atrocités en miroir. Partout elles se traduisent aussi par une anesthésie de nos capacités d’empathie et de compassion. Ces crimes semblent tellement inhumains que nous les avons relégués dans une forme d’abstraction… Il est préférable que leurs auteurs soient des monstres plutôt que de me découvrir complice en humanité, voire coupable d’une telle inhumanité : viols, génocides, crimes de guerre pogroms, nettoyages ethniques… La difficulté n’est pas seulement de les énoncer, de les prouver ou de les dénoncer, mais de les accepter comme nôtres. Qu’il est difficile de dire mon crime, notre crime, surtout quand ceux d’en face ne sont déjà plus humains, réduits au rang de “cloportes”, d’“unités”, d’“insectes”, de “vermines”, de “cancer” ? Alors de tous bords, faire justice se confond avec éradiquer,massacrerexterminer, solutionner un problème. Illusion du défouloir de la violence… L’enjeu profond se dévoile dans un propos énoncé dans le Talmud de Babylone : “Si je ne réponds pas de moi, qui répondra de moi ? Mais si je ne réponds que de moi, suis-je encore moi ?” Dostoïevski le disait un peu différemment dans Les frères Karamazov : “Nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres.” … Face à un tel enchevêtrement d’humanité blessée, de responsabilité croisée, de complicité aveugle, de culpabilité silencieuse, nous ne pouvons pas avoir de réponses toutes faites… Mais nous sommes piégés de tous côtés. Le silence est complice. La parole est biaisée. La sidération ne peut conduire qu’à l’indifférence ou à la violence. Et la plaie toujours à vif purule encore, car pendant que nous prions, pendant que nous dissertons, des gens meurent. » 

photo Anastasis

Face à l’immensité de telles questions, Frédéric Le Méhauté confie :
« j’ai personnellement fait le pari de revenir aux victimes… pour sortir de l’impuissance, de la malédiction du savoir sans le pouvoir agir ; pour continuer de combattre à ma mesure et ainsi ne pas perdre le fil de la raison ; peut-être pour exposer la flamme de l’espérance aux tragédies depuis l’envers du monde, comme ultime provocation adressée à toutes les promesses de bonheur facile, mais surtout peut-être comme tout-dernier acte de foi en ce Dieu qui nous promet qu’ “Il essuiera toute larme” (Ap 21,4)… mais une voix hurle en nous : quand ? ». 

Le frère franciscain présente ensuite des itinéraires spirituels non-violents et libérateurs de personnes comme le père Joseph Wresinski, Paul Ricoeur…
« S’il s’avère nécessaire de reconstruire l’espoir, poursuit-il, ce sera à partir de celles et ceux qui devraient l’avoir perdu avant nous ; s’il s’avère nécessaire de travailler à la justice, ce sera toujours à partir de celles et ceux qui savent plus douloureusement que moi ce que signifie son absence…Il s’agit de nous mettre à hauteur de la vie d’en-bas, de cette vie empêchée, mais de cette vie malgré tout… Dans les décombres de Gaza, des gens luttent pour vivre, célèbrent des anniversaires, des personnes s’aiment, des bébés naissent, des enfants jouent… Les oiseaux chantent et les fleurs fleurissent, même à Gaza. C’est à ces frémissements, à la vie dans ces interstices, à ces réalités de rien du tout et à ce qu’elles nous révèlent qu’il nous faut être attentifs ; à ces gestes où germent déjà le monde d’après. »

F. Le Méhauté se fait pédagogue, poète et prophète : « Recommencer donc… mais choisir son lieu, ce lieu de l’interstice, ce lieu de la ruine, ce lieu de la brisure des rochers où la pousse fragile peut encore trouver un peu de protection et un lieu d’où s’élancer vers l’incertitude du lendemain. »
Et de citer des anecdotes de personnes retournées, passées de la haine au pardon par des chemins éclairés de mystère. F. Le Méhauté confesse ce « choix étrange de parler de la justice de Dieu à partir de la vengeance et de la haine. Mais choix nécessaire si nous voulons nous mettre à l’écoute de celles et ceux qui, maintenant l’ont vu, si nous voulons parler avec droiture de ce Dieu qui est notre justice et de la possibilité fragile d’un pardon… »
Il nous invite à ne jamais désespérer « de la bonté d’aucun être humain, que Dieu aime et pour lequel Jésus est mort… comme tant d’autres. Voilà peut-être le premier acte de sa justice. » 
Il conclut sa méditation par une antienne de ces derniers jours de l’Avent qui proclame : 

« Ô Orient, splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice : 
viens, Seigneur, illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres
et à l’ombre de la mort. 
Et pour nous, apprends-nous à nous tenir à leur côté, 
pour ne pas désespérer avec eux, 
pour lutter avec eux, pour nous libérer avec eux 
et avec eux pour espérer encore être témoins des premières lueurs de l’aube. »


En écho à ce rassemblement chrétien pour la paix en Palestine-Israël, parmi les nombreuses actions de solidarité concrètes, nous nous permettons d’en citer deux : 

> d’une part, un don à l’Œuvre d’Orient qui, depuis 1856, est engagée dans le domaine de l’éducation, de la santé et l’aide aux plus démunis auprès les chrétiens et non-chrétiens ;

> d’autre part, une participation aux Cercles de Silence pour un cessez-le-feu immédiat et durable en Israël-Palestine. [3]Celui de Paris se tient tous les samedis depuis le 11 novembre 2023 de 12 h à 13 h
devant le musée Beaubourg, à l’angle des rues Saint-Martin et Aubry Le Boucher.
Voir le flyer

Jean-Marc Noirot

CategoriesActualité

Notes

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1 Ce lien permet d’accéder aussi à d’autres informations sur le collectif Anastasis
2 Sabeel (lire Sabîl) : créé en 1994, centre oecuménique de Théologie de la Libération
(le chemin, le chenal, ou la source, en arabe) établi à Jérusalem et Nazareth.
Il réunit des chrétiens palestiniens soucieux d’aider leurs Églises respectives à témoigner
du message de l’évangile, en apportant une parole d’espérance, de droit et de réconciliation,
dans la situation d’occupation et d’oppression que vit la population palestinienne. 
Ils invitent aussi tous les chrétiens du monde à retrouver, dans l’Écriture sainte,
le message de libération, de justice, de pardon et de paix, qu’elle a toujours été.
3 Celui de Paris se tient tous les samedis depuis le 11 novembre 2023 de 12 h à 13 h
devant le musée Beaubourg, à l’angle des rues Saint-Martin et Aubry Le Boucher.
Voir le flyer

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