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L’occupation illégale des territoires palestiniens

Créée en 1945 par l’Organisation des Nations-Unies (ONU, successeur de la Société des Nations) dont elle est l’organe judiciaire, la Cour internationale de Justice (CIJ) a pour double mission de régler les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les États membres de l’ONU ; et de donner aux organes principaux de l’ONU des avis consultatifs d’ordre juridique.

Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale de l’ONU a demandé à la CIJ un Avis consultatif sur les « conséquences juridiques découlant des politiques et des pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, y compris à Jérusalem-Est ». L’Avis, rendu à une très forte majorité des 15 juges, est un « tremblement de terre juridique » selon la plupart des juristes. Il sera difficile à ignorer.

Résumé de l’Avis consultatif du 19 juillet 2024[1]

La présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite et Israël doit :
– mettre fin à cette présence dans les plus brefs délais ;
– cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation et évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé ;
– réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales palestiniennes concernées.

La communauté internationale a elle aussi des obligations :
– les organisations internationales, dont l’ONU, doivent ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de cette présence illicite de l’État d’Israël ;
– les États membres de l’ONU ont la même obligation ; ils ne doivent pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ;
– les organes exécutifs de l’ONU doivent prendre les mesures nécessaires pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.

Un avis plus étendu que prévu

Si l’annonce de l’illégalité de la colonisation israélienne était attendue, la Cour est allée plus loin en jugeant qu’Israël devait évacuer tous ses colons, restituer les biens illégalement acquis par la force ou, si c’est techniquement impossible, indemniser les personnes civiles ou morales spoliées.

La Cour a précisé plusieurs points de droit qui opposent depuis des années Israël et ses alliés aux défenseurs de la cause palestinienne.

Elle estime d’abord que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza forment « une seule et même entité territoriale dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées »[2]. En conséquence, Israël ne peut pas invoquer l’article 51 de la Charte de l’ONU relatif à la légitime défense, « qui ne s’applique pas aux territoires occupés ».

Rappelant le principe de non-acquisition de territoire par la force, la Cour précise qu’une occupation ne peut être que temporaire. Elle juge qu’Israël se livre à « l’utilisation abusive persistante de sa position » et à des pratiques qui « équivalent à une annexion ». Or le caractère prolongé de l’occupation (57 ans) « ne peut donner lieu à un transfert de souveraineté à la puissance occupante ».

Les accords d’Oslo (1993) ne limitent pas les obligations d‘Israël, dont celle de gérer le territoire occupé « dans l’intérêt de la population locale ». Or Israël « détourne des ressources naturelles », « ne respecte pas le droit local » et commet des violences injustifiées sur les Palestiniens. En exerçant « un contrôle effectif et durable sur le Territoire palestinien occupé », Israël viole le droit « inaliénable » du peuple palestinien à l’autodétermination et à « poursuivre librement son développement ».

De plus, la colonisation contrevient à l’interdiction du transfert de population d’un territoire vers l’autre, que ce transfert soit forcé (prisonniers) ou volontaire (colons) ; la Cour considère en outre qu’il y a « transfert ”forcé” lorsque les populations concernées n’ont d’autre choix que de s’en aller. »

Enfin, la Cour affirme qu’Israël viole les droits humains par une « discrimination systémique fondée notamment sur la race, la religion ou l’origine ethnique. »

Chaumont, octobre 2023
Manifestation à Paris, mars 2024

Des droits non négociables

Pour former son Avis, la Cour s’est appuyée sur les textes de base (conventions de La Haye et de Genève, multiples résolutions de l’ONU), et sur l’opinion de 52 États (sauf Israël, hostile à la procédure) et d’organisations internationales. Dans son mémoire pour l’Organisation de la coopération islamique, Monique Chemillier-Gendreau,professeur émérite de droit public à l’Université Paris-Diderot, estime que « les Palestiniens ne recouvreront pas leurs droits légitimes à travers une négociation bilatérale directe avec Israël », du fait de « l’inégalité écrasante entre les deux parties » et des tentatives récurrentes d’Israël de « faire admettre par les Palestiniens des entorses aux droits fondamentaux qu’ils détiennent du droit international ». Or « les violations massives du droit international ne peuvent pas être un objet de négociations »[3]. Quant au mémoire de la France, il estime qu’Israël est coupable de « violations continues du droit international », que « le statut de puissance occupante ne confère rigoureusement aucun titre juridique justifiant une annexion », que la puissance occupante ne doit pratiquer aucune discrimination (« Or les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les Israéliens. Ils font l’objet, dans ces territoires, d’un statut séparé »)[4].

Ayant ainsi dit le droit, la CIJ enjoint les organes exécutifs de l’ONU de prendre les mesures nécessaires « pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé »[5]. Parallèlement, les États membres de l’ONU « sont tenus » de ne pas valider les illégalités constatées. Ils doivent notamment « faire une distinction, dans leurs échanges avec Israël, entre le territoire israélien et les territoires occupés depuis 1967 » et « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire ».

Outre le renforcement des obligations pesant sur les États, cet avis fournit des arguments au mouvement BDS (Boycott, Désinvestissements, Sanctions), qui pourra saisir plus efficacement les tribunaux nationaux, notamment pour infraction à l’article 2 (relatif au respect des droits humains) de l’Accord d’association Union européenne/Israël. Plus généralement, il accroît la pression internationale sur Israël, déjà visé par une autre procédure dans le cadre de la guerre à Gaza depuis octobre 2023[6].

Laurent Baudoin
Atelier « Israël-Palestine » du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC)

Des fiches explicatives à consulter pour resituer le contexte historique :
La déclaration Balfour de 1917
La loi Etat-Nation de 2018
Les avancées juridiques de BDS (boycott/désinvestissements/sanctions) 2019-2024


[1] https://aurdip.org/avis-consultatif-de-la-cour-internationale-de-justice-du-19-juillet-2024

[2] Bien qu’évacuée en 2005, la bande de Gaza reste juridiquement un territoire occupé car Israël y conserve « la faculté d’exercer certaines prérogatives essentielles […] Cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023 ».

[3] Plaidoirie sur https://www.youtube.com/watch?v=UlXY2ibTRIw.

[4] La plaidoirie du Quai d’Orsay tranche avec la pratique ambiguë des gouvernements français successifs, notamment leur hésitation à reconnaître l’État de Palestine (dans ses frontières d’avant juin 1967). Pour obtenir ce texte, écrire à : baudoin-laurent@wanadoo.fr.

[5] Dès septembre 2024, l’Assemblée générale prend deux décisions majeures (à une écrasante majorité dont la France) : le 10, elle admet l’État de Palestine (reconnu par 147 États mais pas par la France) comme membre à part entière ; le 18, elle décide que l’occupation illicite de la Palestine par Israël doit cesser au plus tard dans un an.

[6] Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud saisit la CIJ contre Israël pour violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza. Avant de statuer sur le fond, la Cour prend deux mesures d’urgence : le 26 janvier 2024, elle reconnaît un « risque sérieux de génocide » et exige qu’Israël fasse tout pour l’éviter ; le 24 mai, elle exige qu’Israël mette fin immédiatement à son offensive militaire (en vain jusqu’à présent).

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