La thérapie est un voyage non maîtrisé dont nous ne savons ni le par où,
ni le pourquoi. On s’y perd, on s’y égare, c’est un des derniers lieux de l’aventure, et si l’on s’y risque, c’est avec l’espoir que nos symptômes, notre mal-être nous auront lâchés. Un chemin vers la paix.
C’est une aventure dont nous faisons nous-mêmes le récit, nous en sommes le narrateur, et c’est parce que nous racontons avec nos propres mots que nous parvenons à dire peu à peu qui nous sommes et ce qui nous traverse. À ce langage, la tâche de représenter notre monde intérieur, soutenu par les images, les métaphores et tout un éventail de représentations devenues nécessaires. Par ce récit, nous nous mettons en mouvement dans un processus de symbolisation.
Une cure analytique exige le détour, elle n’est jamais linéaire, et celui qui s’y engage le fait sans indication de durée. Il est probable qu’il faille aller à la recherche de son enfance, risquer de perdre tout repère après plusieurs mois de travail. Les mouvements en-effet qui nous amènent en arrière vers les vieilles figures de notre passé achèvent de nous faire quitter les pistes toutes tracées que l’on s’était données et la trajectoire sur laquelle nous pensions être. Il faut avancer plus ou moins en aveugle.
Seul contrepoint à la nébuleuse dans laquelle on se trouve : la confiance que nous avons dans la démarche entreprise, dans les compétences professionnelles et les qualités d’humanité du thérapeute vers lequel nous nous sommes tournés. Son cabinet devient vite refuge dans notre vie, une halte que l’on attend, et le thérapeute, une présence à nos côtés a priori empathique dans son écoute, devient celui sur lequel nous nous adossons. Ce cadre thérapeutique est contenant de nos peurs d’avancer, de nos angoisses, mais aussi des angoisses collectives.
C’est dans ce contexte de fragilité qu’un travail de construction opère, il va lentement mettre en lumière les doutes, les manques de confiance, mais aussi les certitudes trop figées, les rigidités qu’il va falloir peu à peu lâcher. Reconnaître nos ambivalences, nos répétitions mortifères, découvrir des obstacles sur notre route qui nous ont fait beaucoup souffrir et dont nous nous apercevons, en fin de compte, que c’est nous-même qui les avions posés là. Un nouveau regard éclaire alors la fragile frontière tracée entre notre inconscient et le monde de nos activités intentionnelles et conscientes. C’est un parcours thérapeutique qui ne nous ménage pas et qui réclame une bonne dose d’humilité et d’humour. Ce voyage intérieur nous offre aussi des moments de grande joie lorsqu’une vérité sur soi-même apparaît.
Cette quête de soi est un combat pour une transformation personnelle. Notre détermination à la poursuivre malgré la lenteur du parcours, les obstacles qui surgissent au fur et à mesure que nous avançons s’ancre dans l’intuition que la vérité pour soi réside bien là, sur cette voie, nous offrant paradoxalement un fondement paisible au cours d’une traversée houleuse : savoir intimement que l’on est sur sa voie apporte la paix.
Qu’est-ce qui permet à une thérapie d’être cause de transformation ?
Dans un travail thérapeutique, le patient associe et l’analyste associe sur les associations du patient. C’est dire le travail de co-construction qui se fait là, dans une grande proximité de nos psychismes, l’analyste un pied sur la rive et l’autre dans le récit et les éprouvés de son patient. Position à toujours réajuster selon le transfert de celui que l’on accompagne.
Intervient ici le terme de transfert qui désigne le report sur une autre personne, ici sur l’analyste, de nos sentiments, de nos ambivalences, de nos désirs, de la colère qui nous habite. Cette relation transférentielle est nécessaire, fondamentale, elle peut se faire à partir du moment où le patient quitte une réflexion rationnelle pour entrer dans le registre de ses affects où se réactualisent émotionnellement à travers ses difficultés du moment, les souffrances et les traumatismes passés. Le transfert est le nœud de la thérapie, le terrain où se joue inconsciemment la problématique du patient. Au thérapeute la tâche de l’orienter vers ses racines infantiles. De son côté, l’analyste est habité par un contre-transfert qui recouvre l’ensemble de ses réactions conscientes et inconscientes à l’égard de son patient. L’analyse de ses propres réactions émotionnelles face au récit, aux affects de son patient est son premier outil de travail. C’est pourquoi, le plus souvent, une supervision est nécessaire. C’est le lieu d’où le thérapeute peut analyser grâce à l’écoute d’un autre, les mouvements projectifs du sujet, mais c’est aussi le lieu où le thérapeute prend conscience de ses points aveugles, de ce à côté de quoi il est passé, d’une interprétation malheureuse, d’un déni possible sur un point précis. La supervision est un instrument d’ajustement de notre écoute, un instrument de plus grande objectivité.
Pour quel gain ?
Un parcours thérapeutique est parsemé de multiples petites résurrections. Toucher tangiblement son mieux-être, voir soudain des éclaircies dans le ciel trop bas et trop gris de sa vie, découvrir à nouveau la légèreté de vivre, retrouver de nouvelles potentialités oubliées, se relier à nouveau à ses propres désirs, retrouver aussi une relation plus ajustée, plus fraternelle avec ses proches. C’est se réconcilier avec soi-même, avec la vie et peut-être avec les autres.
La réconciliation apporte la paix, c’est son fruit.
Faire la paix avec soi-même peut passer par une paix à accomplir avec ceux qui nous ont précédés, nos parents, grands-parents, parfois même nos aïeux. Cette découverte transgénérationnelle, douloureuse dans un premier temps car nous nous apercevons que nos parents ont pu souffrir par les leurs bien avant nous, peut modifier, voire transformer nos ressentiments, nos jugements, notre colère, parfois notre haine à l’égard de la famille. À force de travailler sur ces relations familiales, vont se produire des déplacements de nos représentations et de nos pensées. Une certaine prise de distance se produit par rapport aux discours entendus depuis l’enfance, aux critiques ressassées, aux logiques binaires, peut naître en nous une liberté qui nous fait voir avec d’autres prismes la problématique dans laquelle la famille et nous-mêmes sommes engoncés. Certains, après discernement préféreront la quitter, s’éloigner d’un milieu manipulateur et trop névrotique, mesurant le coût trop élevé pour sa liberté intérieure. Pour d’autres, le travail analytique leur apportera un besoin d’équité, une certaine indulgence, un plus grand sens des nuances, une plus grande liberté à l’égard des leurs.
Faire la paix avec elle-même, pour une personne dont l’enfance a été marquée par de grandes ruptures, des traumatismes graves, va nécessiter une traversée longue et douloureuse. Cette nécessaire mise en lumière, l’accouchement de ses propres malheurs à l’aide vaille que vaille de ses propres mots est un chemin obligé. Il arrive que le langage défaille parallèlement aux souvenirs douloureux qui tardent à se révéler. Dans ces moments paroxystiques, les mots perdent leur pouvoir de symbolisation, reste le langage de l’enfance, si maladroit pour dire la réalité trop crue, l’inexpérience totale pour tenter de comprendre et de témoigner de ce qui arrivé. Pourtant, coûte que coûte, il va falloir retraverser l’horreur, à la recherche des traces retrouvées par bribes, des souvenirs, des rêves, des sensations corporelles. Cet accouchement mérite une écoute intense, une immense patience, une compassion profonde. Il y a nécessité pour le patient de reprendre contact avec l’enfant qu’il ou elle a été, de traverser ces douleurs vives, de les revivre dans la même intensité qu’au moment où elles ont été vécues, avec l’aide, plus nécessaire que jamais, de celui ou celle qui l’accompagne.
Mais le travail ne s’arrête pas là, il va falloir, coûte que coûte, dépasser un positionnement victimaire dont découlent des bénéfices secondaires sur lesquels il a été possible de se reconstruire, maladroitement, certes, dans un essai de restauration narcissique dans l’après-traumatisme. Une nouvelle phase du travail thérapeutique commence précisément là, dans un nouveau contact avec soi-même ouvrant à de nouvelles manières de s’éprouver et de se penser, permettant de quitter les anciennes images de soi erronées et peu ajustées. Au-delà des faits réels exhumés, une nouvelle représentation d’eux-mêmes va pouvoir émerger et se retravailler en s’attaquant aux inévitables effets de clivages ayant cours lors d’expériences douloureuses voire trop insupportables, ceci dans le but de recouvrer une unité perdue. Cette traversée leur aura révélé simultanément les ténèbres infinies de l’humanité et les forces invisibles de l’âme humaine lorsqu’elle lutte pour sa survie.
Un chemin vers la paix
La trajectoire qu’est une thérapie dépend de la capacité à comprendre les expériences qui ont jalonné sa vie et à laisser des liens se tisser entre elles et son devenir… Dans une fin de thérapie, une sensibilité nouvelle est à l’œuvre, ouverte à ce qui peut s’approcher, s’ouvrir, commencer, ouverte aussi au travail de l’Esprit, aux nouvelles aspirations spirituelles qui vont stimuler notre créativité et auxquelles il devient urgent de collaborer et d’y travailler. On ne sait pas trop le chemin qui se dessinera, l’important, c’est d’oser commencer, dans une confiance qui peut se reposer sur les transformations intérieures que nous avons vécues. Une nouvelle manière de s’appuyer sur soi apparaît qui insuffle une nouvelle forme d’audace. Peut-être qu’une ouverture se fera vers de nouvelles formes de vie ? Pourrait-t-on discerner, dans l’accueil de ces frémissements, dans notre disponibilité au renouveau dans notre vie, l’accueil du Royaume ?
Un signe éloquent d’une fin de thérapie se reconnaît à la parole libre que nous nous découvrons et qui dit ce lieu bien à soi et qui devient assez vite bien aux autres. Une thérapie, même quand elle se termine, n’est jamais finie, car ce chemin vers une paix personnelle est toujours à remettre sur le métier. Il y aura de nouvelles remises en question, de nouveau combats, mais cela se fera sans doute avec de nouvelles forces puisées dans l’analyse, puisées aussi dans les nouvelles expériences qui nous attendent et dans lesquelles nous déploierons indéfiniment de nouvelles aptitudes.
Une épreuve qui nous remet en question, je pense ici aux désaccords, aux compromis vécus si fréquemment dans nos vies, peut devenir l’aune à partir de laquelle nous mesurons notre rapport aux autres, notre capacité d’altérité, notre potentialité à faire la paix. L’hebdo La Croix (15 mai) sur le compromis met en exergue cette phrase :
« Des compromis, nous en nouons au quotidien, mais de moins en moins aisément. En politique aussi, les conflits stériles gagnent du terrain.
Et si nos résistances nous montraient le chemin
vers de puissants accords nourris de puissants désaccords ? »
Marie-Claire Bruley, psychanalyste