Deux publications récentes dans la presse méritent d’être mises en vis-à-vis : un article de Nicolas Cheviron paru sur Mediapart ce 21 juillet, Droitisation de l’Église catholique : la messe est-elle dite ?, et un dossier dans La Vie du 24 juillet-6 août, Des jeunes en quête de sens.
Dans le premier, la focale est mise sur les courants conservateurs de l’institution catholique, soutenus par les médias Bolloré et les financements de Pierre-Édouard Stérin, ce qui dynamise à la fois leur développement et leur visibilité. Mediapart a recueilli les réactions de « chercheurs et de militants d’une vision progressiste du catholicisme » face à ce phénomène. Si Christine Pedotti, de Témoignage Chrétien, règle l’affaire de l’Église en une formule : « Le fait majeur du catholicisme, c’est sa disparition. L’effondrement est cataclysmique », le sociologue Yann Raison du Cleuziou nuance cette même idée d’un glissement de l’Église dans une minorité qui ne fait plus référence sociétale :
« le catholicisme se recompose autour de ceux qui restent, et ceux qui restent ce sont tendanciellement ceux qui ont le système de valeurs le plus conservateur, c’est-à-dire ceux qui, depuis les années 1960, résistent à la sécularisation interne [de l’Église] »
D’où ces reculs vintages dans les pratiques liturgiques ou cléricales, après les ouvertures postconciliaires des années 70, portées par une génération de jeunes prêtres majoritairement issus de milieux sociologiquement conservateurs. Ce à quoi s’ajoute une fracture générationnelle, entre des plus âgés, habitués à composer avec les valeurs de la société ambiante dans une mentalité plutôt inclusive, et des plus jeunes, qui n’ont connu qu’une situation de minorité, et tiennent à affirmer leur différence, tant avec le monde dans lequel ils vivent que face à un Islam aujourd’hui publiquement affirmé. Et au-delà les traditionalistes, ultra minoritaires statistiquement, sont les mieux relayés dans les médias puisqu’ils font un foin d’enfer, soutenus par les deux mécènes cités ci-dessus, et que l’inculture religieuse générale de la Presse sur ces sujets fait qu’elle reprend naturellement (et paresseusement) ce qui s’agite le plus – comme les liens revendiqués avec la droite extrême.

Quant à la génération des « défenseurs d’une doctrine sociale de l’Église, omniprésents à partir des années 1960 dans les organisations caritatives, d’éducation populaire ou d’aide au développement », ceux qu’on appelle encore parfois « les cathos de gauche » ? L’historien Denis Pelletier est un peu sceptique sur l’emploi de ce terme :
« [Il] renvoie vraiment à une génération, qui a vieilli comme les gauchistes ont vieilli. Mais il y a toujours un petit 15-20 % des électeurs catholiques qui votent à gauche. Ils ont toujours été minoritaires dans le catholicisme et ils continuent à l’être, dans un catholicisme qui lui-même devient de plus en plus minoritaire ».
Il évoque par exemple, dans les jeunes générations, les manifestants contre l’extrême-droite aux législatives de 2024, le collectif catholique Pour un accueil inconditionnel dans l’Église (P.A.I.X.), les groupes Lutte et contemplation ou Anastasis, ou encore le café solidaire Dorothy (qui lie pratique spirituelle, conférences diverses et activités solidaires). L’article de Mediapart cite l’un de ses bénévoles :
« C’est au Dorothy que j’ai vraiment compris l’Évangile et sa parole très révolutionnaire. Jésus dénonce la richesse et le pouvoir – c’est une chose qu’on n’a pas beaucoup en tête quand on vient d’un milieu favorisé ».
D’autres choisissent de faire référence au pontificat de François, depuis la lutte environnementale nourrie par Laudato Si’, jusqu’à l’encyclique Laudate Deum, qui « légitime la désobéissance civile ».
Et si ces ultra-minoritaires au sein d’une ultra minorité étaient le levain dans la pâte – de notre Église et de notre société ?
De son côté, le dossier de La Vie, qui évoque notamment le mouvement rural de jeunesse chrétienne MRJC, la Mission de France ou Taizé, ne s’attache pas tant à catégoriser les jeunes chrétiens dans une grille politique normée qu’à essayer de comprendre ce qu’ils vivent et où ils le vivent. Le dossier évoque les 4.000 catéchumènes de 18 à 25 ans baptisés cette année à Pâques, soit près du quart des effectifs, chiffre quadruplé en cinq ans. « Le fait religieux intéresse, l’univers sacré fascine. Depuis le Covid, beaucoup de jeunes se posent la question du sens », expose Paul Delafosse, un fondateur de contenus chrétiens en ligne sur les réseaux sociaux. Selon une étude IFOP pour l’Observatoire chrétien du catholicisme de février 2025, 45 % des 18-34 ans se disent « en quête spirituelle », (contre 30 % des 50-64 ans). Et la sociologue Isabelle Jouveaux pointe de son côté, dans une enquête menée en Suisse Romande en juin 2024, les thèmes privilégiés pour les 16-30 ans : « déterminer ce qui est bien de ce qui est mal, la vie n’a de sens que parce qu’il y a Dieu/un être supérieur, Dieu a une influence sur la vie des êtres humains… » En revanche, dans toutes ces études de cas, cette « spiritualité » englobe tout aussi bien l’intérêt pour le surnaturel et l’ésotérisme les plus débridés.

Autre caractéristique :
« Être si peu nombreux nourrit l’humilité, on ne s’arrête plus aux étiquettes : […] croiser un autre jeune qui a la foi est déjà un tel réconfort ! »
L’historien Charles Mercier, auteur de L’Église, les jeunes et la mondialisation (Bayard, 2020), qui comprend qu’on puisse lier le côté affirmation identitaire de la foi avec la condition d’ultra-minoritaire, y voit aussi l’effet d’un grand besoin de repères dans un monde qui bouge tant, effet qui caractérise également les jeunesses juives et musulmanes. En tout état de cause, nos vieilles catégories sont obsolètes, les jeunes chrétiens vivent une diversité sans cesse en mouvement, donnant lieu à des hybridations variées – comme le dénommé courant « tradismatique ». D’après Charles Mercier, « ils ne sont pas relativistes mais pluralistes ». Pluralité exprimée à son maximum à travers les messages privés (MP) des influenceurs chrétiens sur les réseaux sociaux, souvent évangéliques, mais pas seulement.
« La plus grande église de France, aujourd’hui, c’est YouTube ! », d’après le pasteur Yann Carluer.
S’ensuit une réflexion sur les communautés en ligne, qui intéresse au plus haut point Saint-Merry Hors-les-Murs : à quel moment, dans notre spiritualité de l’incarnation et notre vie sacramentelle, faut-il sortir du web pour se rencontrer en chair et en os dans une communauté physique ? C’est ce que nous essayons de vivre dans notre hybridité actuelle, en prenant le meilleur de chaque formule (présentielle/distancielle). Ce qui est sûr, pour répondre à ceux qui nous enjoignent d’investir TikTok, c’est que pas mal d’influenceurs qui avaient beaucoup misé dessus sont en train de le quitter pour retrouver « la joie d’une relation mille fois plus riche » sur le terrain.
Les articles cités ne sont pas accessibles gratuitement en ligne :
– L’article Droitisation de l’Église catholique : la messe est-elle dite ? est achetable ICI sur le site de Mediapart
– Le numéro de La Vie 4169-4170 contenant le dossier Des jeunes en quête de sens est achetable ICI en format numérique




