Accueillir l’espérance – Première partie
Est-il indécent de disserter sur l’espérance tandis que tant de femmes et d’hommes meurent de violences organisées, d’injustices systématiques, de solitudes imposées ?
Je tente ce partage, sous le regard de nos sept petites filles,
de ceux et celles qui illuminent ma vie,
des bâtisseurs d’espérance.
Espérer et accueillir : « AVEC »
Avec les créateurs de matins
La question m’est souvent posée : « Êtes-vous optimiste ou pessimiste ? ». Pessimiste, certainement pas. Optimiste, sans doute plus vraiment. Comment le demeurer, après avoir accompagné tant de personnes victimes d’injustices et fréquenté des êtres humains vraiment capables de « faire mal » ?
Je souhaite me tenir aux côtés de ceux qui n’acceptent pas l’inacceptable. Être avec celles et ceux qui, dans la nuit, inaugurent des matins !
Garder foi en Dieu et en l’humanité, garder l’espérance…
François Molins, Procureur lors des attentats de Paris
Quelle que soit l’ignominie du mal dont on est le témoin.
Il ne s’agit pas d’accepter le mal, il faut le combattre,
mais il ne faut pas le laisser changer votre regard sur l’existence,
qui comporte aussi tant de bonnes choses
Prendre le risque de l’espérance
Celle-ci se choisit. Comme l’amateur de champignons consacre du temps à la recherche des « bons » sous-bois, le chercheur d’espérance oriente sa vie et sa quête, vers elle. Il y a bien un choix, plus ou moins conscient, au départ. Il ne s’agit pas d’une affaire de religion, mais de non-maîtrise, de confiance, de foi en la possibilité de percevoir des bonnes nouvelles. L’Évangile de Jésus vibre du choix prioritaire de l’AVEC.
Avec qui partez-vous ?
Pour cet échange, je pars avec Mamadou, jeune défavorisé accompagné en mathématiques, qui disait : « C’est la première fois que l’on s’occupe de moi ! ».
Avec Albert Camus (prix Nobel en 1957)
Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est sans doute plus lourde : elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse.
Avec le prophète Michée :
On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien : aimer la bonté.
Travailler pour la justice.
Marcher humblement avec ton Dieu.

Espérance ?
Elle n’appartient pas à l’idéologie. Elle relève plutôt du souffle qui appelle à vivre, à vivre malgré tout, à vivre pleinement. L’espérance est disponibilité à l’accueil, contre les forces qui incitent au repliement. L’espérance se conjugue avec la joie ; non pas la rigolade mais le sentiment de la gaité, d’une certaine légèreté apaisante. L’espérance est aussi action ; elle se traduit à travers des gestes et l’accomplissement de projets précis. Elle est contagieuse, et se partage plus ou moins volontairement. Elle est vie, avec.
Quelques ombres
Nous voici appelés non pas à l’introspection mortifère mais à la lucidité : de quels maux notre monde souffre-t-il principalement ? L’espérance fait bon ménage avec l’intelligence. Non le monde d’hier n’était pas meilleur. Nous sommes appelés à vivre dans la complexité et donc la lucidité.
Une humanité mondialisée, interdépendante, éclatée et violentée
La mondialisation est aujourd’hui une évidence objective. Notre vie et celle de nos proches sont placées dans l’interdépendance, économique, technologique, médiatique, culturelle ou spirituelle. Pour ou contre la mondialisation ? Peu importe. Nous sommes dedans. Les évènements mondiaux de 1989 et de la chute de l’empire soviétique ont pu me faire croire en une ère nouvelle, harmonisée au service du bien-être de tous. Erreur fondamentale. Nous assistons à l’éclatement, l’archipélisation du monde, son « ensauvagement ». Des attentats de New-York en 2001, à la réélection de Trump en 2025, en passant par la multiplication des conflits locaux ainsi que l’accélération du mouvement migratoire et l’appauvrissement d’un tiers des humains.

L’inévitable repli identitaire, agressif
L’individu se révolte contre cette dépendance imposée ; nombre de pouvoirs ambitieux flattent cet esprit de révolte en prétendant nous permettre d’être à nouveau maître de nous-mêmes. D’où la multiplication des propositions « identitaristes ». Nombre d’autorités ne s’imposent aujourd’hui qu’en opposant les groupes les uns aux autres, voire en leur faisant faire la guerre ! Il convient d’entendre ce légitime besoin d’identité originale. L’interdépendance ne nie pas les identités particulières ; elle les limite ; plus positivement elle les invite à entrer en dialogue pour ne pas verser dans le conflit.
Une humanité blessée par les inégalités
Le monde actuel est globalement plus riche et toute une partie de la planète vit mieux, mais au prix d’une aggravation des inégalités économiques, technologiques, … terrifiantes pour des milliards d’humains. Une telle misère, pour le moins tolérée par les puissants, ne peut qu’engendrer un profond sentiment d’humiliation qui à son tour provoque révoltes et violences. Je n’insiste pas sur cette ombre dramatique qui menace l’espérance de tant de frères et sœurs.
La toute-puissance
C’est dans son existence même que notre planète est menacée par les très graves atteintes aux équilibres écologiques et environnementaux. Nous avons atteint le seuil de la toute-puissance. Il ne s’agit pas seulement de simples progrès scientifiques ou technologiques. Un seuil est dépassé : nous pouvons détruire définitivement la vie sur terre. Nos ancêtres ne le pouvaient pas. Jacques Ellul expliquait cela dès 1970. Face à notre capacité de puissance trois choix se présentent : je peux faire cela : je le fais. Je ne peux pas le faire : j’essaie d’y parvenir. Je peux le faire mais je décide de ne pas le faire ! Là est le défi le plus important. Pour quelles raisons vais-je renoncer à exercer ma toute-puissance ? Il me faut m’interroger sur le sens de toute action humaine, de l’économie en particulier. Ne pas condamner le progrès scientifique en lui-même. Il sauve bien des vies. Bien plutôt exercer mon jugement éthique pour refuser certaines pratiques mortifères, encouragées par ailleurs par l’ambition ou le profit.

Un monde déboussolé
Assistons-nous à l’enterrement de toutes les grandes idéologies ? « Les nuits du monde sont enceintes, et nul ne sait ce qui en naitra », Edgar Morin. Le penseur de la complexité dans la société contemporaine ne pousse pas au pessimisme, mais invite à ne pas faire l’autruche face aux nouvelles données de la société. Albert Camus, (New York, 1946), partageait la perplexité de sa génération face au défi de la Résistance : « Nous disions non à ce monde, à sa fondamentale absurdité, à la civilisation de mort… Nous affirmions que ce monde était allé trop loin… Simultanément nous affirmions de façon positive quelque chose qui en nous refusait l’offense et ne pouvait indéfiniment se laisser humilier ». Mais quelle est cette « chose » qui nous guiderait pour agir ?
Depuis plusieurs décennies, les papes dénoncent, chacun à sa manière, le scandale du culte rendu au profit maximal. Le profit, pourquoi pas ? Mais non comme la seule boussole pour organiser notre vivre-ensemble.
Les nombreux dérapages religieux « intégristes » manifestent clairement l’absence d’une vraie boussole au service de la vie commune et attestent d’une radicalisation excluant la diversité d’opinions ou de comportements.
Quid des idéologies politiques ? Les débats nationaux ou internationaux semblent limités aux calculs politiciens et aux échéances électorales les plus proches, sans proposer des perspectives communes pouvant rendre la vie moins difficile pour de nombreux groupes ou peuples.
De récents changements dans la direction des affaires de certains pays me paraissent manifester l’existence, non d’une idéologie unique et globale voulant changer le monde, mais de courants totalitaires peu soucieux d’une véritable participation populaire ; et encore moins orientés par l’intérêt prioritaire pour les plus pauvres. Le « Moi d’abord » se décline, d’une manière inquiétante sous des cieux différents et n’hésite pas à utiliser des méthodes brutales qui rappellent de très mauvais souvenirs. Vraiment il nous faut retrouver, ou au moins rechercher, ensemble, la boussole qui pourrait, non pas éviter les orages, mais nous guiderait vers des cieux plus propices.




