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Ombres et lumières sur notre monde – 2

Accueillir l’espérance – Seconde partie
Est-il indécent de disserter sur l’espérance tandis que tant de femmes et d’hommes meurent de violences organisées, d’injustices systématiques, de solitudes imposées ?

Je tente ce partage, sous le regard de nos sept petites filles,
de ceux et celles qui illuminent ma vie,
des bâtisseurs d’espérance.

Des chemins d’espérance

Il ne s’agit pas de tenter de nous rassurer naïvement. Des millions de vies humaines sont en jeu.
Je souhaite repérer avec vous les visages, les mains, les cœurs, les actions et les programmes qui construisent un monde plus humain.

La dynamique des droits humains

Cet outil est aujourd’hui plutôt ringardisé, voire rejeté, y compris dans nos sociétés occidentales. Pourtant, je crois que l’élan proposé par la Déclaration universelle du 10 décembre 1948, peut servir non de remède miracle mais de boussole ; comme elle le fit après la seconde guerre mondiale,… les soixante millions de morts, l’usage de la bombe atomique, les camps de la morts, la Shoah. Le recours aux droits de l’homme permet de dénoncer une injustice, d’ouvrir un débat interculturel, de rechercher des solutions et d’en contrôler l’application effective. S’agissant d’un accord juridico-politique, il permet l’interpellation, non idéologique, de tout pouvoir portant atteinte à la dignité d’une personne ou d’un peuple. Faire référence aux droits humains, favorise une action commune dépassant les différences politiques ou idéologiques. Si nos autorités les dédaignent, les résistants du monde entier y ont souvent recours.

Les actions de solidarité, d’éducation et de défense de l’environnement

De telles actions ne parviennent pas toujours à supprimer la cause de l’injustice. Elles permettent toujours de rejoindre les victimes, et de leur faire savoir qu’elles ne sont pas oubliées. Nombre d’entre elles m’ont confié combien il était vital pour elles de « ne plus se sentir seules ! ». Oui, vaincre la solitude dans laquelle sont confinées les victimes est une lumière formidable dans notre monde. S’unir autour de la défense d’un principe commun – même si c’est pour des raisons différentes -, permet de redonner vie à ceux et celles que l’oppression veut éliminer.

La mise en œuvre des droits de l’homme demande aussi de développer une véritable éducation au respect de la dignité humaine. Et ceci dans toutes les cultures. Les génocides viennent de loin. En particulier il convient de lutter contre tout phénomène de déshumanisation, de discrimination des personnes ou des groupes « qui gênent ». Il est facile d’étiqueter quelqu’un ou une communauté. De les marginaliser pour peu à peu les déshumaniser au point de laisser faire contre elles des actes inadmissibles. « Ce n’est pas si grave, ce ne sont pas des hommes, mais des « … istes » !

Il me semble très important de fonder les revendications en matière d’écologie sur le respect des droits humains. La Cour Européenne des droits de l’homme a ainsi condamné la Suisse pour « inaction climatique » (9.04.024). En effet il y a un lien entre les droits protégés par les textes et la carence de nombreux états dans le domaine écologique. « La question climatique est une menace directe et immédiate pour les droits fondamentaux ».

La pensée sociale de l’Église 

Comment lutter contre la loi du profit maximal ? Non pas en interdisant l’activité économique mais en la soumettant au respect de principes et d’en contrôler le respect par tout entrepreneur. La pensée sociale de l’Église peut contribuer à cette maitrise des activités humaines. Elle s’appuie sur des références acceptables par tous : le respect de la dignité de la personne. La priorité donnée au service du Bien commun. La destination universelle des biens. La priorité à la solidarité. Le lien entre « le cri de la Terre et le cri des pauvres ». L’encyclique Laudato si’, a été reçue par nombre d’autorités comme un texte majeur, pouvant guider la conduite de tous les peuples, au-delà des convictions religieuses. De quoi inspirer nombre de programmes politiques !

François Pape pro européen
Pape François

L’action politique et citoyenne. Un débat multilatéral

Parmi les lumières pouvant sortir l’humanité des ténèbres, il y a notre responsabilité de citoyen. À travers la participation électorale et notre action citoyenne plus généralement. Nous assistons à la crise d’une certaine démocratie électorale : combien de régimes très autoritaires ont-ils été élus par le suffrage universel ? Faut-il alors y renoncer ? Je ne le crois pas. Mais il convient de mettre la priorité sur la formation et la participation permanente citoyenne, le Bien commun et sur la place de la pratique du vrai débat dans notre quotidien. L’on rencontre alors le défi du « pouvoir » médiatique devenu technologiquement tout puissant dans l’art de la manipulation, y compris électorale. La société civile peut jouer un rôle important dans cette formation permanente et la priorité au débat pluriculturel.
Dans le domaine des relations interétatiques, il convient de mettre l’accent sur le maintien d’un certain multilatéralisme ; difficile à pratiquer aujourd’hui entre les gouvernements, mais plus aisé à travers les institutions internationales et les Organisations Non Gouvernementales. Ne laissons pas les vendeurs de certitudes créer un monde où les cloisons prétentieuses l’emportent sur la rencontre avec l’autre. L’Église dans son projet à la fois universel et pluriel peut rendre un grand service à ce sujet.
Comment agir, alors que la nécessité d’un réarmement militaire s’impose face à des agresseurs peu scrupuleux ? Sans doute en insistant sur la légitime défense et ses principes limitatifs exigeants, sans transformer ce réarmement en une croisade de pureté nationaliste. Sans doute faut-il aussi laisser toute sa place au réarmement moral et spirituel, aussi naïf cela peut-il paraître.

Le projet européen et les mouvements migratoires

Parmi les lumières du monde : le projet européen. En mauvaise santé, me direz-vous. Le rêve européen a toujours été lié à celui de la paix. « Si l’Europe a besoin de puissance ou de souveraineté, c’est pour défendre l’héritage de Kant en faveur d’une certaine idée des droits de l’homme et de l’individu » (Isabelle de Gaulmyn). Le 5 novembre 1990, Jacques Delors plaida pour « donner une âme à l’Europe ». Peu après il ajoutait : « Si nous ne réussissons pas, … alors tout ce que nous aurons fait jusqu’à présent échouera. »

Nous vivons un tel défi dans la douleur, et surtout dans la confusion. Une fois encore nombre de responsables se braquent sur des petits calculs en oubliant que l’Europe est d’abord un rendez-vous des « convictions ».

Photo Miko Guziuk – Unsplash

Cela se vérifie à l’occasion de la « gestion » des flux migratoires. Cette question est manipulée par des discours démagogiques et racistes ! Il ne s’agit de savoir si l’Europe doit accueillir tout le monde. Mais de poser le problème, honnêtement, au regard de la dignité de chaque personne migrante. Celle-ci est d’abord digne, titulaire de droits et de devoirs, et non pas un tricheur profiteur présumé. La décision prise par le Conseil constitutionnel en 2018, rétablissant le principe de fraternité (notre devise nationale) comme un impératif s’imposant au législateur, n’est pas la manifestation du « pouvoir des juges » mais le simple rappel de ce qui fonde notre vie commune française : l’état de droit, dont nombre de politiques contestent la primauté !

Nous devons chercher ensemble, dans le cadre européen, des solutions réalistes pour nos politiques d’accueil, de coopération et de développement. Ce qui ne veut pas dire, accueillir tout le monde. Ne pas laisser toute la place aux discours qui flattent nos peurs, et réduisent l’autre à un problème, voire à un envahisseur. Je me réjouis du positionnement des derniers papes à ce sujet ; l’engagement intransigeant du pape François lui fut souvent reproché. L’on ne peut pas tricher ni même bricoler lorsque la dignité humaine est en jeu.

Au souffle de l’Esprit

Accueillir l’espérance est bien une démarche spirituelle : mettre l’accent sur la place de l’altérité dans notre vie personnelle et sociale.

Choisir de vivre dans l’ouverture, voire dans l’incertitude plutôt que le repli ;
il est possible de consentir à l’insécurité culturelle, au nom d’un principe supérieur d’humanité… Cette valeur supérieure, c’est l’ouverture du cœur, l’hospitalité.

La fraternité bafouée, Véronique Albanel

Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étrange, se prolonger dans et par lui. On se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre.
Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont.

Jean Pierre Vernant

La Bonne Nouvelle chrétienne a alors toute sa place. L’encyclique Fratelli Tutti prend le temps d’écouter le monde, ses peines et ses joies. Elle analyse les nouveautés du contexte dans lequel le principe de fraternité peut se déployer et la conviction de la dignité inaliénable de chaque personne devenir un projet fondamental commun. « Comment penser et gérer un monde ouvert ? ». Développer « un dialogue et une amitié sociale » ? « En politique aussi, il est possible d’aimer avec tendresse. »

L’esprit de la démarche synodale peut inspirer bien des projets sociaux : marcher vraiment, avec.
Sans oublier la célébration civile ou religieuse du courage dont font preuve les « inventeurs des matins », qui nous entourent. Certes pour les en remercier ; mais surtout pour nous en inspirer au fil des heures, dans la construction de notre monde.

Allez de l’avant ! Soyez courageux.
Soyez un phare de paix pour anéantir, grâce à la culture de la rencontre,
les abîmes ténébreux de la violence et de la guerre !

Pape françois, Marseille, 2023
Photo Brett Jordan – Unsplash

Et que nos actes, aussi limités soient-ils, provoquent chez nos concitoyens la remarque de notre fils Martin, alors âgé de 6 ans, fasciné par les moines en prière : « J’ai l’impression qu’ils veulent réussir » !

>> Pour lire la première partie de cet article vous pouvez cliquer ICI

CategoriesActualité
Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

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