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L’après-midi du christianisme – Un livre de Tomás Halik

Voici, par un théologien majeur de notre époque, les clefs pour penser le christianisme du IIIe millénaire, c’est ainsi que les éditions du Cerf présentent le dernier livre de Tomáš Halik dont Guy Aurenche nous propose quelques échos.

« Allez au large et jetez vos filets »

Tomáš Halik, théologien et philosophe tchèque, reprend cet appel et nous embarque dans une passionnante réflexion. Il bouscule notre manière de recevoir et surtout de partager la Bonne Nouvelle de Jésus. Il a de bonnes raisons pour le faire. 

Nous ne vivons pas une époque de changements, mais un changement d’époque

Pape François

Au-delà du jeu de mots, avons-nous perçu le défi que décrit cette boutade du pape François ? Elle rejoint la parole du galiléen, il y a 2000 ans : « Voici que je fais toute chose nouvelle » ; et la situation de Saint-Merry Hors-les-Murs.

La provocation évangélique ne date pas d’aujourd’hui, mais elle est à réfléchir et surtout à vivre, dans un monde où les mots : athéisme, déchristianisation, sécularisation, religion, foi, croyance, doivent être profondément recontextualisés. L’auteur pense que ces moments sont dépassés et que l’Église, tout spécialement l’Église catholique, qui vit la « crise des abus », est une fois encore appelée à faire sa « révolution ». Non par plaisir, ni pour proposer une « contre-culture » à un monde esseulé, mais pour être fidèle à la vigueur du message original.

Après-midi

L’auteur retient cette expression en s’inspirant du psychanalyste Jung qui découpait la vie en plusieurs moments : le matin, moment où l’individu reçoit et accueille de multiples idées, propositions, désirs… Vient le midi, temps de la remise en cause, de la crise avec ses joies et ses peines, du découragement ou de l’enragement. L’après-midi propose une période d’approfondissement, de sagesse, de mise en ordre et de mise en route, pour pouvoir avancer vers le crépuscule qui offrira la joie de percevoir la première étoile dans le ciel.

Plus que jamais la foi n’est pas une série de propositions, dogmes, institutions, principes moraux ; elle est chemin, à la suite d’Abraham, Moïse, Jésus. Chemin … avec… Chemin qui doit tenir compte du contexte et des mentalités nouvelles. Tomáš Halik évoque la fin de la chrétienté, l’effondrement des grandes idéologies, la relative défaite de la raison (après des 2 grandes guerres mondiales), un 3ème âge des Lumières méfiant à l’égard des organisations politiques et économiques qui formatent un individu sans religion mais non sans spiritualité.

En recherche spirituelle

L’auteur décrit les caractéristiques d’une société post-moderne, post-sécularisée, dans laquelle la « chrétienté s’effondre ». Au cœur du capitalisme l’auteur perçoit le « Monnaie-théisme » dominateur et inspirateur de nouvelles règles de vie mais aussi d’appétits spirituels nouveaux. Le concile Vatican II a tenté d’opérer une mue, mais Halik s’interroge sur sa pleine réception par le peuple catholique. L’auteur voit le retour au traditionalisme comme une « maladie infantile de l’Église » sans avenir évangélique fécond. L’identitarisme conduit à des comportements intolérants et violents.

La religion comme proposition spirituelle organisée, institutionnalisée et réglementée a fait son temps, à tous points de vue. Mais aujourd’hui « L’avenir du christianisme dépendra de la mesure avec laquelle les chrétiens entreront en relation avec ces personnes « en recherche spirituelle ». « Je me tiens à la porte et je frappe » disait Jésus, lui-même aux cotés de bien des « marginaux » ignorés des grandes institutions.

La foi des non-croyants, fenêtre sur l’espérance

Foi et scepticisme, pré-confiance et doute, interrogations critiques et incertitudes se mêlent d’une manière peu confortable. Un séjour plus ou moins long dans certains monastères, les propositions spirituelles orientales, sans oublier la commercialisation, la banalisation ou la manipulation de la spiritualité, invitent à dépasser la distinction entre croyants et athées. Ceux-ci « ne savent plus en quel dieu ils ne croient plus ». Tout est plus complexe. Nos contemporains rejettent « l’infantilisme de certaines approches de la religion » tout autant que la « barbarie sans dieu ». Ils ne sont pas dénués d’élan spirituel ni d’une certaine quête de son origine. « Pourquoi la soif devrait-elle mettre en doute l’existence de la source ? ». Le doute n’interdit pas de croire. Au-delà de l’ambiguïté du mot dieu, douter n’empêche pas d’avoir l’audace de croire au : « Peut-être que la mort n’aura pas le dernier mot ». Les chrétiens découvriront la foi des « non-croyants » et s’y intéresseront au point d’en faire une richesse pour l’accueil de la Bonne Nouvelle chrétienne, sans viser le prosélytisme mais avec confiance et espérance.

La méditation de « l’après-midi » impose « l’autodépassement du christianisme ». Vers une véritable « catholicité-universalité » qui suppose d’intégrer pleinement la diversité et la créativité. Si la foi est « culturellement située », elle se doit de tenir compte des « joies et des peines » des hommes et des femmes d’aujourd’hui et se fixer la rencontre comme priorité absolue.

« L’identité du christianisme »

Elle repose en la confiance dans le témoignage de Jésus sur son Père, sans gommer les nuits de la croix, les nuits de notre société. « L’identité chrétienne de la foi est donnée par son entrée répétée dans le drame pascal de la mort et de la résurrection ». Tomáš Halik invite même à une « ouverture solidaire face à la révélation de Dieu dans la souffrance des hommes de ce temps ». Il souhaite que « notre rapport avec l’humanisme non religieux ne soit pas superficiel » et qu’il accepte de pénétrer vraiment « dans les obscurités de la croix ».

Dieu croit en nous, dans les divers sens de cette expression. Il marche avec nous. Fait confiance à l’homme. Dieu exprime sa présence en vivant en nous son amour ; en nous tous et toutes, y compris en ceux et celles que nous qualifions de non-religieux. En nous invitant à conformer nos actes à cet amour exigeant. Celui-ci se manifeste dans l’amour des hommes, y compris des chrétiens « anonymes ». Tel est le message de l’encyclique Fratelli tutti du pape François. Dieu croit en nous au sens où il grandit en nous. Il convient de prendre le risque de lui laisser un peu de place. De le laisser nous déplacer. Et de répondre consciemment à son appel : « Viens et suis-moi ».

Une communauté en chemin

Le pape François évoquait un hôpital de campagne, non pour minimiser son importance mais pour décrire les nouvelles caractéristiques de la communauté ecclésiale. L’Église a perdu le monopole de la foi et se doit de tenter de répondre aux « nouveaux » appétits spirituels et d’interpréter les « signes des temps », sans triomphalisme et sans complexe. Créer des « oasis de spiritualité », accessibles à tous et qui feront face au « vents de la peur ». L’auteur insiste tout spécialement sur les propositions « d’accompagnement » que l’Église pourrait faire à tous et toutes, y compris en dehors du cercle des « habitués ». Il lui faudra alors prendre les moyens nouveaux qu’exige une communication auprès de ceux et celles qui sont étrangers à sa démarche. En ne tombant pas dans la tentation « d’un catholicisme sans christianisme » répétant des pratiques sans souci des hommes et des femmes qui l’entourent, ni du message de Jésus qui invite à le suivre. En accompagnant les signes d’espérance. En découvrant et témoignant du Christ dans « la Galilée païenne d’aujourd’hui ». En passant de la catholicité comme système à « la catholicité d’ouverture permanente ». En ayant le courage d’avancer avec confiance dans les nuées du mystère. Et de nous plonger, pourquoi pas à plusieurs, dans cet ouvrage dont la lecture nous captivera … bien plus qu’un après-midi.

L’image de l’après-midi ne suggère-t-elle pas la proximité du soir, de l’anéantissement et de la mort ? Dans la conception biblique du temps, le soir est le début d’un jour nouveau. Ne laissons pas échapper l’instant, où, dans le ciel vespéral, brillera la première étoile.

Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

  1. Jacques Clavier says:

    « La seule façon de dire et de faire la même chose, dans un contexte qui a changé, c’est de le dire et de le faire autrement. » (Yves Congar)

    « Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau. » (Alexis de Tocqueville)

    « Seul le chemin est objet de première nécessité » (Jean Debruynne) 
    et avec Jésus, le Chemin devient sujet de première nécessité.

    « Puisqu’il est avec nous
    Pour ce temps de violence,
    Ne rêvons pas qu’il est partout
    Sauf où l’on meurt…

    Puisqu’il est avec nous
    Dans nos jours de faiblesse,
    N’espérons pas tenir debout
    Sans l’appeler… »
    (Didier RIMAUD / © CNPL)

    « Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores
    Etonnons-nous des soirs mais vivons les matins »
    (Guillaume Apollinaire)

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