Suite à la publication d’un article de Michel Micheau, Combien de catholiques en France ?, et à la réaction de Jean-François Barbier-Bouvet, publiée ci-dessous, Michel Micheau choisit de rebondir et d’ouvrir le débat, en cherchant à débusquer les réalités cachées derrière ou devant les chiffres. Car « même erronés, les chiffres sont signes d’exactitude » (Jean-Claude Clari).
« 29 % de catholiques… ? »
À propos d’un article de Saint-Merry Hors-les-Murs du 12 novembre 2025 (à lire ICI)
Le fait de soumettre à Chat Gpt une question d’ordre sociologique complexe me pose problème.
La sociologie religieuse est suffisamment développée en France pour qu’on puisse s’appuyer sur ses travaux et ses hypothèses, et pas seulement sur une lecture positiviste de statistiques d’origine variable.
Trois remarques :
1. Quantitative : Si la tendance générale (baisse de l’appartenance catholique, de la croyance en Dieu et de la pratique religieuse) est juste, les chiffres et donc la taille des populations concernées sont inexacts.
On dispose d’une série d’enquêtes répétées dans le temps, et de sources diverses – sondages privés, sondages publics (par exemple des baromètres européens), recherches universitaires – qui sans toujours aboutir aux mêmes chiffres renvoient toujours aux mêmes ordres de grandeur : aujourd’hui entre 42 et 46 % des français selon les sources, soit un peu moins d’un sur deux, se déclarent catholiques. Et non 29% (chiffre qui, après vérification, est obtenu à partir d’une enquête portant sur les seuls 18-59 ans, qui exclut les 60 ans et plus, dont on sait qu’ils sont beaucoup plus nombreux à être catholiques). Erreur redoublée par l’extrapolation qui est faite à l’ensemble de la population française – 68 millions, nourrissons compris…- et non à la seule population adulte sur laquelle portent toutes les enquêtes.
2. Qualitative : la pratique de la messe est un indicateur intéressant, mais limité. Surtout si on en reste aux chiffres.
La notion de régularité est réductive. Ce qui émerge aujourd’hui avec la modernité est un autre rapport au temps dans la relation aux institutions, qu’il s’agisse de la sphère religieuse, syndicale, associative etc. On constate un mouvement de dilution des cycles réguliers et de la ritualisation sociale, au profit d’une logique du sur-mesure : quand j’en ai envie, ou quand l’occasion se présente, ou quand un temps fort advient (personnel dans sa vie, ou collectif dans la société, manif ou JMJ…).
On aurait tort de penser que parce que la pratique religieuse est irrégulière et moins fréquente elle est désinvestie et reflète une prise de distance ou une relative désaffection. C’est même souvent le contraire car elle est alors choisie et non imposée. Cette religiosité intermittente correspond souvent à un temps investi. On a parlé longtemps des croyants avec leurs périodes de doute ; on pourrait parler aujourd’hui des doutants avec leurs périodes de foi…
3. Sociétale : la sphère d’influence du catholicisme aujourd’hui, voire son adhésion à ce qu’il représente, ne se réduit pas à l’appartenance de ses fidèles. Plusieurs indicateurs en témoignent.
. Le contact direct : 59 % des français disent avoir dans leur entourage familial ou amical des « chrétiens pratiquants ou impliqués dans la vie de l’Église ».
. L’image : 69 % disent avoir une bonne opinion (11% très bonne, 58% assez bonne) des catholiques. En revanche l’opinion sur l’Église catholique elle-même, en tant qu’institution, est sensiblement plus basse.
. L’action : 56 % pensent que l’Église peut jouer un rôle positif dans la société française dans le domaine de la solidarité.
Jean-François Barbier-Bouvet

Au-delà d’une querelle de chiffres
L’article initial « Combien de catholiques en France ? » part d’un contexte et de trois interrogations.
Un contexte :
L’IA est une révolution ambivalente à laquelle la communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs prête trop peu d’attention. Le cinquantenaire ne serait-il pas un temps où l’on peut se poser des questions d’avenir [1]?
Trois questions :
- Pourquoi l’excellente série d’Isabelle de Gaulmyn sur France culture (Catholiques de France, la tentation radicale, à écouter ICI) omet-elle toujours d’aborder les aspects quantitatifs du monde catholique en France, sauf au travers d’un 6 % lâché subrepticement ?
- Où aller chercher cette information ?
- Quelles sont les institutions qui comptent les catholiques et comment procèdent-elles ?
Faut-il être sociologue des religions pour accéder à cette information que l’on imagine facilement accessible dans un monde où Internet est un outil de travail ouvert à tous ? Pourquoi les institutions catholiques n’assurent-elles pas ce service, pas plus que la presse spécialisée ?
Alors, pourquoi ne pas interroger ChatGPT en faisant extrêmement attention.
- Toute réponse obtenue dépend de l’énoncé de la question et du nombre de caractères demandés en réponse. Il est fort possible qu’en reformulant autrement la question on obtienne une réponse différente, a fortiori avec une autre IA…
- La deuxième condition était d’exiger de nommer les sources utilisées permettant d’aboutir aux conclusions de la réponse ; ChatGPT l’a fait.
- Le troisième élément de réflexion résidait dans le repérage des « raisonnements » de l’IA.

Je ne me permettrai pas de critiquer la réponse de JBB, mais je souhaite formuler quelques remarques.
- Quantitatif : Tout échange est construit sur un système de confiance et, quand on aborde des aspects quantitatifs, sur les données utilisées. Quand l’INSEE affirme noir sur blanc qu’il y a 29% de catholiques, je pense que ce chiffre est fondé sur des méthodes. Je fais confiance à cet organisme.
Quand JBB dit qu’il y en a 42 à 46%, je ne sais pas quoi dire, hormis lui accorder ma confiance dans son raisonnement. Mais l’écart étant si grand entre les deux résultats, je m’interroge fortement sur les méthodes utilisées et surtout sur l’absence de débats autour de cet écart. Dates des études (comme tout s’accélère, des études de 2025 ne donnent pas les résultats obtenus en 2012), population étudiée (effectivement, ne pas tenir compte des plus de 60 ans pose problème dans une étude de l’INSEE pourtant rédigée par 3 chercheurs), aspects sociaux ou territoriaux, etc. « À qui profite le crime ? » Le site de la conférence des évêques et les sites des diocèses ou des paroisses accordent plus d’importance publique à la collecte du denier du culte (probablement en utilisant la mémoire positive pour le catholicisme avant Noël ) qu’au nombre de messalisants. Ces chiffres existent bien par paroisse et sont à la base du regroupement généralisé de ces dernières. Mais ils sont précieusement gardés par l’institution. - Qualitatif : Je ne peux qu’être d’accord avec JBB sur la question des indicateurs de la pratique. Mais le raisonnement de ChatGPT pour classer les cathos (sans oublier la note en bas de page sur les « ancêtres de la sociologie religieuse ») m’a semblé clair et surtout quantifié, les écarts des ordres de grandeur étant intéressants. J’aimerais savoir comment quantifier la diversité des groupes de cathos mentionnée par JBB. D’ailleurs, Isabelle de Gaulemyn ne s’y est pas engagée dans ses quatre émissions.
- Le sociétal : Ce n’était pas le sujet de l’article initial, mais la dernière partie de la réponse de JBB me semble intéressante. Sur un sujet aussi sensible, la date des enquêtes et le suivi des résultats me semblent importants et doivent être rapprochés d’autres indicateurs. La France est encore liée au catholicisme, d’une manière ou d’une autre, et les « enterrements à l’église » se portent bien. Il faut toutefois interpréter la hausse du nombre de baptêmes avec prudence, étant donné qu’on sait que les personnes baptisées ou les familles s’éloignent rapidement ou pratiquent de manière aléatoire. La disparition de la population des Trente glorieuses ne signerait-elle pas la fin d’un certain catholicisme « de masse », facile à évaluer ? Par ailleurs, de quoi la courbe des ordinations est-elle porteuse ? Le « Festival des poussières » sortira-t-il de dessous le tapis ?
L’image positive du monde catholique mentionnée par JBB est-elle le terreau d’une pastorale féconde ? On peut en effet s’interroger sur les différents segments de ce catholicisme.
Ainsi, plus fondamentalement, ce catholicisme d’aujourd’hui doit être mis en rapport avec les évolutions politiques et idéologiques. Faute d’avoir gagné « la manif pour tous », des groupes économiques et idéologiques de droite engagent un combat culturel par les médias et par de nouvelles initiatives sociales. Ainsi en va-t-il de la dernière initiative des mouvements conservateurs, l’Observatoire français du catholicisme. Sa transparence, l’appel à des chercheurs et sa scientificité méritent d’être questionnés. Se décompter devient un acte politique et s’intègre dans une visée bien plus large.
Il faudra suivre aussi attentivement les sondages et les résultats des prochaines élections
Le futur du catholicisme aura un tout autre aspect que celui que les Saintmerryens ont contribué à construire et aimeraient préserver.
Les données sur les effectifs de Saint-Merry Hors-les-Murs, qui ont été divulguées dans un autre article (Questions de prospective. Notre âge : un exercice de lucidité ?, à lire ICI), sont brutales et vont plus loin que les statistiques nationales. Il faut les considérer comme un terrain intéressant pour bâtir, sous certaines conditions, une pastorale qui sera nécessairement éloignée de la précédente, rien que par les chiffres.
Il faut remercier le site de Saint-Merry Hors-les-Murs d’avoir ouvert un « dialogue statistique » !
Michel Micheau
Lire aussi le volet 2 de « Questions de prospective : Vieillir et se questionner ? »
[1] D’où un atelier » Art, culture, IA, médias » qui tranche dans ses méthodes et son sujet.

Illustration Catherine-Marie Vernier




