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Rencontre islamo-chrétienne à Notre-Dame de l’Atlas 

« J’étais partie pour une aventure inédite pour moi. Croyez-moi, j’ai été servie » : confie Laurence, pasteure. Cet avis était partagé par la plupart des six retraitants partis du 1er au 8 septembre à Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt au Maroc. Parmi les cinq autres participants, Amina et Sulliman, musulmans, Thierry, Jean-Louis et Jean-Marc, catholiques, les deux derniers étant saints-merryens-hors-des-clous. Ils se sont connus au Forum 104, rue de Vaugirard à Paris, à l’atelier « Itinéraires spirituels » animé par Khaled Roumo, poète musulman, Français et Syrien, ou par internet. 

Dès l’arrivée, c’est l’émerveillement : l’hospitalité simple et joyeuse des sept frères trappistes, le monastère à 1.500 m d’altitude, au pied nord du Haut-Atlas, un lieu de beauté, de silence, ouvert à tout vent… et à l’Esprit ! Parmi nous et autour de nous, quatre cultures : berbère, arabe, indienne et européenne.

Amitié, humilité, écoute

Le but de la retraite est triple : s’entre-connaître, nourrir et sculpter sa propre foi dans un contexte d’émulation spirituelle, conjuguer foi et action dans une démarche citoyenne. Ce programme ambitieux permettra l’accueil mutuel des « retraitants », la rencontre avec les moines, les invitations prévues et imprévues, la découverte de la forte nature environnante.
Les temps de rencontre se sont révélés un bon équilibre entre une approche de la spiritualité de Christian de Chergé à travers plusieurs textes et une invitation au voyage intérieur grâce au « bibliologue », outil d’animation, inconnu de cinq participants.

Refectoire-des-hotes
Réfectoire des hôtes. De gauche à droite : Laurence, Sulliman, Jean-Marc, Frère José Luis, hôtelier, Amina et Thierry.
Jean-Louis prend la photo.

Le premier volet de notre rencontre commence par une analyse commune du testament de Christian de Chergé. Échanges riches, nourrissants, stimulants. Des propos quelquefois vifs car passionnés ont pu tester la solidité de l’amitié tissée et de la confiance offerte. L’écoute bienveillante et la prise de distance par rapport à ses propres formulations, perceptions permettent ensemble de se mettre d’accord sur les points communs aux trois confessions, comme de se mettre d’accord sur ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord. Nous étions invités à découvrir la beauté et le travail de l’Esprit chez l’autre, à l’exprimer et encourager l’autre sur ce chemin. Prendre conscience de ce que nous avons en commun – et ce que nous avons à faire en commun – se révèle hautement plus important que ce qui nous différencie. Et paradoxalement, la différence n’est-elle pas bénédiction voulue par Dieu ? Voir l’épisode de la Tour de Babel (Bible : Gen, 11, 1-9 et Coran : 40,36) ainsi que la sourate de « La Table servie » (5, 48) : 

« Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté unique.
Mais IL a voulu vous éprouver en Ses dons…
Surpassez- vous dans les bonnes actions.
En Lui, tous vous ferez retour.
IL vous informera alors de ce que vous divergez. »

Le second volet de notre rencontre sera introduit par Laurence et son outil d’animation, le « bibliologue ». Il fait appel à la connaissance biblique de chacun – ou non -, coranique – ou non -,
à l’imagination, et surtout « à quitter la tête et parler à partir du cœur ». La parole respectée car non jugée se libère et permet des échanges authentiques qui se poursuivront dans les temps de détente, repas, balades… Ce fut une découverte féconde, un instrument pour sculpter sa propre foi et poursuivre le dévoilement de celle de l’autre.

Foi, raison, hospitalité réciproque

La rencontre interreligieuse est un chemin de vérité, chemin exigeant, fécond et apaisé.
« Dire Dieu autrement, ce n’est pas dire un autre Dieu » selon C. de Chergé [1]Christian de Chergé, L’invincible espérance, Paris, Bayard/Centurion, 1997, p. 128 . 
Avec la conviction que nous sommes une même famille,
que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous différencie,
que l’amour et la miséricorde d’un « Dieu plus grand » est un chemin de vie, de liberté,
de croissance en humanité ; la connaissance de l’autre est besoin, désir, voie et choix de bonheur (Deut, 30, 19).

De gauche à droite : Thierry, Jean-Louis,
Amina, Jean-Marc, Sulliman et Laurence

La découverte, encore et encore, de l’altérité donne de percevoir nos ressemblances et nos différences. Éclairer les différences de nos croyances n’est pas nécessairement source d’opposition ou de division. La recherche de définitions claires, l’explicitation de nos propres perceptions mobilisent foi et raison ; ces dernières, sollicitées à juste dose, permettent d’éviter les pièges du relativisme ou du syncrétisme, de traverser les éventuels conflits ou controverses par le haut et la fraternité. Décoder ce qui est de l’ordre du confessionnel, du culturel, du politique, de sa propre histoire fait partie du chemin. La raison au service de la foi permet à la rencontre interreligieuse de porter du fruit. Le respect, la dignité, le non-jugement, la progression d’un chemin spirituel, la quête de liberté et de vérité sont à ce prix. 
Nous avons fait l’expérience de cette incontournable hospitalité réciproque, de cette bien-veillance, de cette école de la non-violence active, expérience largement facilitée par le rythme quotidien des prières. 

La chapelle du monastère et la mosquée voisine faisaient de nous des « priants parmi des priants » – ainsi se définissaient les moines de Tibhirine, ainsi se définissent toujours leurs frères cadets de Notre-Dame de l’Atlas. Les prières de nuit nous rendaient le corps et l’âme en éveil, plus proches de Dieu. Si le dialogue islamo-chrétien était omniprésent, l’œcuménisme ne fut pas en reste comme en témoignent les échanges entre protestante et catholiques. De plus, Jean-Pierre Flachaire, prieur du monastère, a invité Laurence à commenter l’évangile du jour pendant une eucharistie, et le même soir, au chapitre des moines, lui a proposé de prêcher la prochaine retraite des trappistes…

Chapelle-Notre-Dame-de-lAtlas
Chapelle Notre-Dame de l’Atlas

Croyants, priants et citoyens

Nous partons du monastère, de cette zaouïa chrétienne, encore plus convaincus que les systèmes religieux – comme les systèmes philosophiques – sont des ressources de sagesse, de liberté, de liens fraternels, et que, si « choc des civilisations » il y a, c’est d’abord et avant tout un choc des indifférences et des ignorances qui distillent préjugés et engendrent peurs, haines, violences. L’éducation a un rôle fondamental dans ce combat pour un vivre ensemble par la justice et dans la paix. Le temps nous a manqué pour approfondir notre troisième objectif pourtant bien présent dans les trop brefs échanges sur nos engagements personnels et collectifs. Reste sous le coude l’étude approfondie de documents comme la Déclaration d’Abu Dhabi du 4 février 2019 signée par le pape François et par l’imam d’Al-Azhar, Ahmed el-Tayeb ou l’encyclique Fratelli tutti (Tous frères), signée le 3 octobre 2020 par le pape François, deux textes aux ouvertures théologiques, sociétales et politiques significatives. 

Dans le même ordre d’idée, Christian Salenson, dans son ouvrage L’échelle mystique du dialogue
de Christian de Chergé [2] Paris, Bayard, mars 2016, p. 227, insiste sur l’espérance et l’engagement :

« L’espérance est l’âme du dialogue…
(Elle) devient une force prodigieuse pour les croyants,
pour inventer une vie commune.
Elle est une force politique, en ce qu’elle a une capacité révolutionnaire
de transformation du monde, de l’histoire, des relations.
Chacun sait d’expérience, dans la relation interpersonnelle,
que l’espérance de l’unité accomplie de deux êtres humains
développe prodigieusement leurs capacités à vivre ensemble,
à décliner leurs différences, à inventer des formes inédites de la relation. »

C. salenson

Alors, en 2024, « Midelt Saison 3 » ? Avec des frères et des sœurs juives, bouddhistes, agnostiques ? Mais entre-temps, le cœur rempli de joie et de gratitude, l’oreille intérieure sensible à la petite musique de l’Esprit, du Dieu d’amour et de miséricorde, nous participons humblement et à notre échelle – la plus mystique et incarnée possible ! – ici et maintenant, à l’avènement d’un monde
plus juste, plus pacifié, plus fraternel, plus joyeux.  

Sulliman Banian et Jean-Marc Noirot

CategoriesInterreligieux

Notes

Notes
1 Christian de Chergé, L’invincible espérance, Paris, Bayard/Centurion, 1997, p. 128
2 Paris, Bayard, mars 2016, p. 227
  1. Rigaudière-Real la says:

    Et bien ! Vous êtes des petits vernis d’avoir vécu cette aventure ! Ça met vraiment l’eau à la bouche.
    Et puis quel bel article vous nous donnez à lire ! Et à réfléchir… .
    Merci Sulliman. Merci Jean-Marc 😊
    🌹🍀🌹

  2. Jean Verrier says:

    Merci aux deux saints-merriens hors les clous, Jean-Louis et Jean-Marc, et aux autres retraitants, aux moines, aux ouvriers, aux amis présents à Notre-Dame de l’Atlas… Vous donnez corps à notre espérance.

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