Christoph Theobald, théologien jésuite, nous a partagé le 27 novembre son expérience en tant qu’expert participant à la récente rencontre synodale à Rome, qui vient de donner lieu à un document de synthèse, au cours d’une soirée coorganisée par notre communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs et la revue Projet, avec les Baptisés du Grand Paris, le MCC – Mouvement Chrétien des Cadres et dirigeants, et les Réseaux du Parvis.
Pour revoir le débat : https://www.youtube.com/live/7xVYutPI014?si=07oWGNy8pTrjhyed)
Un esprit de réforme
Christoph Theobald nous propose d’abord de revisionner en esprit l’image célèbre de Vatican II, l’immense nef de la basilique Saint-Pierre avec ses rangées de prélats et de clercs en grandes tenues, étagés en fonction de leur rang, avant de diffuser l’image de la dernière rencontre, où des groupes d’une douzaine de personnes, mêlant clercs, religieux et laïcs des deux sexes, échangent autour de trente-six petites tables rondes, en habits ordinaires : un autre monde. (Notons que les théologiens n’ont pas été intégrés systématiquement dans tous les groupes, comme s’ils faisaient peur ; mais ils ont demandé à être intégrés au travail sur l’Instrumentum laboris.)
Cinq modules thématiques successifs ont été abordés, déclinés à chaque fois en trois étapes selon une méthodologie également très moderne : un premier tour de table où chacun doit rester silencieux et à l’écoute face à la personne qui s’exprime ; puis un débat ou chacun dit ce qu’il a entendu sous forme de résonance ; enfin on dresse une liste en quatre parties : ce sur quoi on est d’accord ; ce sur quoi on ne l’est pas ; les questions qui restent à approfondir ; les propositions concrètes qu’on peut déjà avancer. La liberté commence par le fait de s’écouter les uns les autres, ce qui suppose de s’en donner les moyens : la synodalité commence ici à la base.
Christoph Theobald affirme le potentiel d’auto-réformation de l’Église. Il constate une vraie libération de la parole, l’expérience effective d’une nouvelle communication en Église, après le verrouillage de certains sujets interdits sous le dernier pontificat (comme l’ordination des femmes) ; un climat nouveau permet de respirer et de s’exprimer. Il a également perçu une vraie capacité d’écoute, peut-être même une ouverture à la possibilité de changer d’avis, en tout cas une volonté de « mettre à plat les questions », ce qui d’après lui constitue déjà un début de réforme. Et de vrais moments d’émotion ont notamment pu être partagés à l’occasion de certains témoignages.
Premier bilan
Parmi les sujets qui font plutôt l’objet d’un consensus général, on peut citer la notion de l’égalité de dignité baptismale entre tous les chrétiens, ou une certaine continentalisation de l’Église catholique pour permettre la prise en compte des différences culturelles. Les tensions et divergences sont diverses : sur l’hospitalité eucharistique ; la place des femmes, leur autorité dans l’Église, leur accès au diaconat ; les questions de gouvernance ; le célibat des prêtres, le diaconat permanent, la participation de prêtres ayant quitté leur ministère dans les services liés à la pastorale ; bref, des questions liées à l’ecclésiologie, l’anthropologie, et aux styles de vie, notamment la question LGBTQIA+.
Les femmes
Un éventail de points de vue a été évoqué à propos du diaconat féminin, de ceux qui s’y opposent au nom de la tradition, à ceux qui le justifient au nom de la pratique avérée des premières communautés, en passant par ceux qui y voient un signe des temps. Deux commissions ont échoué à traiter cette question, or il va bien falloir aboutir, comme l’a rappelé Timothy Radcliffe. Il y a en revanche consensus sur la nécessité de faire une place aux femmes dans la gouvernance.
La gouvernance et le droit canon
Les Allemands ont joué là un grand rôle : les délégués de leur synode national se sont très bien intégrés au processus, et ont été applaudis ; leurs apports ont été pris en compte dans la synthèse finale. Ils ont fait avancer le débat sur les questions de transparence dans la gouvernance, d’élection et de contrôle des évêques, du rôle de leurs conseils, de la séparation des pouvoirs – l’évêque étant aujourd’hui à la fois Père et juge, cumulant le pouvoir de l’Ordre et celui de la juridiction. La réformabilité s’est clairement manifestée, et la réforme du droit canonique est sur la table : déjà en route sur les questions de délinquance et de discipline, elle prendra certainement beaucoup de temps, qu’on procède par une mise à plat complète ou par parties successives, car le travail est énorme.
Les clercs
En 2015, le pape avait exprimé une thèse de base : la synodalité est une dimension constitutive de l’Église ; et c’est par ailleurs le cadre le plus ajusté pour envisager le cas des clercs et des ministères. Reste la question : pourquoi y a-t-il un ministère ordonné ? Aux maigres réponses du type : toutes les religions ont des prêtres, ou toutes les associations ont des responsables, il est plus intéressant d’y voir le symbole de la convocation par Dieu. Ce qui nous remet néanmoins devant le débat systémique du cléricalisme. L’idée d’organiser des formations communes pour clercs et laïcs a été présentée comme souhaitable. Mais nous sommes au tout début d’un processus de changements gigantesques dont notre génération ne verra sûrement pas le bout.
Échos du terrain
On constate un grand dynamisme en provenance de l’Église d’Amérique latine, comparé à une vraie fragilité de l’Europe. Se pose concrètement la question des ministères : certains catéchètes sud-américains sont gouverneurs de leurs communautés ; on s’y demande si c’est toujours le prêtre qui doit prêcher, et pourquoi pas des laïcs, hommes et femmes ? De façon générale, on peut constater qu’on arrive à faire bouger des choses petit à petit, en utilisant les failles, – pas en faisant table rase -, ce qui implique de s’écouter au-delà des fortes divisions.
En réponse aux échanges, le pape propose de « promouvoir une théologie de l’avenir ». Il suggère une théologie inductive, à partir des expériences : il s’agit de prendre au sérieux le vécu comme lieu théologique, dans les communautés et dans la société ; de penser les expériences, comme on le pratique en Amérique latine.
Gestion des désaccords
Il est clair qu’il y a un risque de schisme avec les traditionalistes, dont certains évêques avaient émis des dubia avant le synode, et dont un organe de presse a publié illégalement une version non définitive du document final pour créer la division. Cette première version de la synthèse finale a ensuite donné lieu à 1.254 amendements, tous examinés (ce qui permet à Christoph Theobald une pique à l’égard du 49.3 de la République française, qui ne brille pas par son esprit de dialogue démocratique face à notre vieille Église pyramidale). Quant au pape, il avait déjà eu l’occasion de dire l’importance qu’il accorde à la « recherche commune de la vérité », et qu’il n’avait « pas peur des schismes ».
Les suites
Il n’y avait pas de vraie représentativité intergénérationnelle à cette session : il a été demandé d’inviter plus de jeunes représentants des nouvelles générations, de même que de renforcer la présence œcuménique, lors de la prochaine session.
Le document final de quarante et une pages ne sera probablement jamais lu en paroisses : Christoph Theobald recommande d’en faire un résumé pédagogique de cinq pages pour le diffuser et le promouvoir. Il propose aussi de faire lire la première partie du document de synthèse, pour y réfléchir dès maintenant dans les communautés paroissiales, selon la méthode de la conversation dans l’Esprit, la synodalité étant une manière de faire Église ; ce qui suppose une conversion des mentalités, qui va prendre du temps, mais « qui est LE critère » (sic).
Il reste à travailler la culture du débat, l’argumentation, pour ne pas tomber dans des discussions qui tourneraient à vide – comme les principes de l’Action catholique (voir, juger, agir), avaient irrigué à l’époque l’esprit de Vatican II. Le rôle des sciences humaines a été clairement accepté dans le processus ; le terme de disciple lui-même fait référence à l’apprenant : l’Église, en effet, ne cesse d’apprendre, ce qui est particulièrement important à reconnaitre en cette période post-CIVISE, et constitue en soi-même un acte de foi.
Comme le conclut Guy Aurenche :
Puisse cette réformabilité de l’Église et une liberté de parole retrouvée
nous porter vers cette théologie de l’avenir, en pratiquant la synodalité
de la base dans l’écoute et la confiance, et nous aider à poser des gestes
dans la coresponsabilité baptismale, en éprouvant la joie de la marche.
Merci pour cette excellente synthèse qui en plus donne une piste pratique pour commencer à plancher !
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