Longtemps je t’ai cru simplement revenu à la vie,
Apparaissant, il y a longtemps, dans une auberge
Avec pour seuls témoins deux compagnons d’errance et d’infortune.
Puis je t’ai imaginé installé en des cieux
Dont le vide interstellaire n’a cessé depuis
De se creuser à nos yeux.
J’ai bien voulu croire que tu avais un père
Et qu’il t’avait choisi pour fils,
Te faisant naître à la dure dans une étable
Avant de te laisser clouer sur une croix.
J’en suis resté longtemps à votre compagnie improbable
Qui avait pour troisième larron, disais-tu, un souffle indicible,
Un vent dont nul ne savait d’où il venait, où il allait.
Mais je demeurais étranger,
Et tout le cosmos avec moi, à votre danse divine.
Vous étiez les héros fabuleux d’histoires que l’on se racontait,
Se transmettait de générations en générations,
Tandis que nos vies suivaient mal ces admirables croyances
Très souvent extérieures, inaccessibles et lointaines.
Et puis, il m’a suffi un jour de me fier au Poème
Et d’habiter dedans
Avec toutes les choses, les êtres, les visages,
L’amour, les joies et les souffrances des hommes et des femmes,
Les arbres, les animaux, les plantes,
Les galaxies, les étoiles
Pour comprendre que ta naissance, dans cette nudité rapportée,
C’est aussi bien en moi qu’elle se jouait
Comme en chacun de nous
Et aussi dans le moindre rocher ou l’immense océan
Offerts au vent du monde;
Qu’il n’y avait pas d’autre corps à relever
Que celui de cette terre que nous avions souillée
Avec tout ce qu’elle contient ;
Que c’était elle dont le front depuis le premier jour
Était oint de cette huile sacrée de toutes bénédictions.
Tu n’avais fait qu’ouvrir la voie vers ce que nous avions déjà sous les yeux.
Et j’ai compris alors que tu ne naissais
Nulle part ailleurs que dans ce réel-là
Dont nous étions tous les membres,
Que tu étais toi-même cette danse cosmique avec nous
Dont le relèvement le troisième jour avait été promis,
Non pas comme celui d’une exception,
D’un individu hors du commun et séparé,
Mais comme celui de la création tout entière ;
Et que c’était sur sa naissance à elle qu’il nous fallait veiller
Comme sur notre propre naissance,
Notre plus vaste secret.
Depuis ce jour, les moindres troncs dénudés,
Les prairies couvertes de brumes et de brouillard,
Les branches cassées, les feuilles mortes froissées sous mes pas,
Ce ciel bas dont s’emmitouflent les derniers feux de la forêt,
Tout ce qui se tient ici et maintenant m’émerveille…
Et tant de vies enfouies qui participent aujourd’hui encore
De ce grand mystère
D’une vie sans cesse jaillissante, redonnée.
Ainsi, je ne te nomme plus
Que par ce nom silencieux qui englobe tout
Et que chacun réinvente à son usage,
Je te célèbre en toute écorce,
En toute blessure qui portent trace de ton visage :
Que tout soit grâce en toi
Et que tout soit béni !
Textes de Jean Lavoué
Pastels de Nathalie Fréour