« Allez par tout l’univers, clamez l’annonce à toute la création » (Mc 16, 15)

Le témoignage discret de notre vécu au quotidien, en adéquation avec le message des Évangiles, suffit-il pour répondre à l’injonction de Jésus d’aller enseigner toutes les nations, alors que Marc et Matthieu lui donnent une place essentielle en clôture de leurs textes ?

Comment répondons-nous, en tant que personne et en tant que communauté, à cette injonction ? Le témoignage discret suffit-il pour annoncer l’Évangile ? Est-ce le rôle des personnes consacrées de ce faire ? Certes, cette injonction dans les Évangiles semble ne s’adresser qu’aux apôtres et pas à tous les disciples (mais sur ces derniers, on ne sait pas grand-chose).

Par ailleurs, cette annonce ne prime-t-elle pas sur nos nombreux combats en interne au sein de nos églises, pour tenter de « rectifier » certaines prises de position en rupture avec les réalités de vie de nos contemporains ? Car ce qui nous fait vivre, n’est-ce pas avant tout cette relation personnelle à Jésus-Christ, plus que le respect des « doctrines », et des règles édictées en termes de comportement ?

Une relation personnelle avec Jésus

Alors n’est-il pas plus essentiel de dire ce qui nous fait agir, la relation personnelle avec Jésus-Christ ? Mais cela est souvent fort difficile à exprimer ; c’est sans doute pourquoi nous nous en tenons à la deuxième partie du commandement, qui est certes aussi essentielle que la première : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ton intelligence. » N’avons-nous pas à dire cette relation personnelle, qui fonde nos vies ? Comme nous pouvons le lire dans les Actes des Apôtres, conduits par le souffle de l’Esprit, ils parlent de cette relation et l’expriment en langues.

Cette annonce du lien personnel, du Souffle de l’Esprit pour prendre du recul avec notre toute puissance et prendre la parole, me parait d’autant plus importante que nos contemporains ont un regard faussé pour entendre l’appel des Évangiles. Bien souvent, ils en sont restés à l’enseignement d’un catéchisme des années lointaines, somme de Vérités souvent « intellectuelles », qui depuis les vécus des communautés chrétiennes (et pas seulement catholiques), de leurs pasteurs et théologiens, en a modifié la compréhension. De fait, ils n’ont pas grandi avec une annonce qui est le plus souvent vérité assénée, devenue lointaine. Choqués par les guerres entre religions, par les guerres justifiées au nom de Dieu (notamment par les fondamentalistes de quelque religion que ce soit) ou encore par des comportements jugés inappropriés de religieux, ils se sont éloignés des religions et de leurs institutions, voire les ont « condamnées ».

Ils sont devenus hostiles ou indifférents, du fait des prises de position de l’institution religieuse jugée trop peu à l’écoute de leurs vies quotidiennes, de leur recherche de sens, alors que ce qui leur semble juste ne parait pas entendu. La « paresse » de certains à entendre des ouvertures au sein de l’institution religieuse vient aussi de cette représentation figée et du peu de temps consacré à prêter attention à ces ouvertures, sans oublier leur formulation dans une langue qui ne parle pas.

Difficile de dire que Dieu est présent dans notre monde contemporain si agité, si l’on ne dépasse pas la cohérence intellectuelle. Il nous faut faire appel à la grille de lecture qu’est la foi. Elle conduit à prendre recul avec ces vérités gelées (nombre de « doctrines »), qui ne sont souvent que l’expression des hommes dans leur incarnation historique, une compréhension inscrite dans la culture d’une époque : des vérités oublieuses des cultures contemporaines en évolution ; l’institution religieuse semble souvent en avoir figé le sens. Ne faut-il pas oser rechercher ce qui est essentiel dans ces acquis historiques, pour les confronter et les intégrer à nos cheminements actuels ?

Le souffle de l’Esprit bouscule les pratiques

Par ailleurs, à la lecture des Évangiles, je suis frappé de ce que Jésus, s’il intervient en direction de personnes marginales en termes d’insertion sociale, ou en rupture avec les pratiques bienséantes de la religion juive, ne le fait que parce qu’il y a de leur part une demande sincère pour bouger, pour sortir d’une insatisfaction profonde de leur situation. Il n’intervient pas en direction de repus, d’autosuffisants, ou de personnes figées dans leurs pratiques ; il bouscule plutôt leurs pratiques d’une religion figée qui a oublié le sens de l’alliance de Dieu et de son peuple, pour privilégier la rente sociale que leur statut d’hiérarque leur procure, comportement qui risque de détourner le peuple de son Dieu.

Le souffle de l’Esprit n’a-t-il pas besoin d’une brèche, d’une faille pour être accueilli ?  N’est-ce pas vers ces personnes que nous sommes appelés, peu importe leur situation, pourvu qu’il y ait interrogation et demande ? Encore nous faut-il trouver les paroles qui les touchent, pour que par nous, le Souffle de Dieu fasse son chemin. Paul n’est-il pas un bel exemple de cet homme passionné du Dieu de son peuple et cohérent dans ses engagements ? Mis à terre, il lui aura fallu une période de quatorze ans pour intégrer cette mise à terre et devenir l’apôtre des goïms (c’est à dire les non juifs) selon Daniel Marguerat. 

Mais encore, quelle place notre communauté a-t-elle dans cette annonce ?
Pourquoi privilégier la communauté comme lieu visible de l’annonce de l’Évangile ? 

Elle est le lieu où s’élabore la compréhension du message, à partir des expériences de ses membres, dans une relecture commune qui ne manque pas d’interroger et de s’ajuster (cf. la démarche synodale proposée par François). Si nous revenons à Paul, selon Marguerat, ses textes sont « le fruit d’un parcours de vie tumultueux et passionné » au sein des communautés qu’il a suscitées.

Elle est le lieu de la célébration de notre foi, lieu où l’on fait l’expérience de Dieu comme l’a formulé Léon XIV à l’occasion de la 75e Semaine liturgique nationale à Naples (26 août 2025) où il a invité les fidèles à participer à l’élaboration de la liturgie.

Elle est le lieu visible de l’amour entre frères, comme l’expriment les Actes des Apôtres.

Alors, fort de ces vécus, nos communautés, et la nôtre particulièrement, trouvent-t-elles le langage et les paroles adaptées aux demandes et interrogations de nos contemporains ? Comment allons-nous vers ceux qui sont en demande ? Comment le risque de l’autre (titre de l’ouvrage d’Anne-Marie Pelletier), notamment en rupture avec notre Église, nourrit-il notre foi et contribue-t-il à l’annonce du message de Jésus-Christ  ?

Autant de questions qui nous conduisent à dire la relation personnelle que nous avons avec Jésus et le souffle de l’Esprit à nos contemporains.

André Letowski

Expert en entrepreneuriat, en tant qu’analyste et intervenant conseil, notamment auprès de petites entreprises, l’auteur s’est aussi investi dans le champ culturel (voyages, théâtre…), dans des associations à caractère religieux, s’interrogeant sur la façon concrète de vivre du Christ au sein de notre monde contemporain. Le recul apporté par la sociologie des organisations lui est précieuse pour aborder la question de la gouvernance et des pouvoirs.

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