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Journée du 20.09.25 Intervention d’Alain Cabantous

La courte et précise proposition de Michel M. invitant ses destinataires à être successivement des analyseurs, des éclaireurs puis des sentinelles me posa quelques problèmes. Ces trois termes ne sont-ils pas interchangeables ? En quoi sont-ils successifs ? Ne privilégient-ils pas l’observation exogène à l’action endogène ? Et si ce n’est pas le cas, comment en proposer une articulation ? Je vais essayer d’y répondre.

L’analyse de ma longue expérience et pratique du CPHB depuis 1982 a été faite : de plusieurs engagements ponctuels (participation aux expositions, à quelques événements importants comme journées sur la tolérance, membre de l’équipe d’orientation) et sur le long terme, une fidélité toujours enthousiaste au service du chant, de la musique et de la liturgie entre l’animation et la création. Laquelle sans la richesse des échanges et du partage lors des préparations dominicales n’aurait pu exister. Elle prit une forme de va-et-vient afin que les chants composés soient un reflet spirituel de la communauté à laquelle, en retour, on les offrirait.

À travers ces quelques expériences, le CHPB puis le Centre Pastoral Saint-Merry m’ont toujours évoqué l’image d’une auberge espagnole. Avec des « tenanciers » qui accueillent, attentifs à ce que chacun peut apporter librement, qui encouragent l’initiative et son expérimentation. Et grâce à cette vie multiple du Centre pastoral, peu à peu ma foi qui s’ouvre au monde, se transforme, s’épure et s’enrichit. Comme une approche lente de la Révélation.

Je me garderai évidemment de dresser un tableau trop idyllique. Conflits de pouvoir, batailles d’egos, déceptions, démissions ne nous ont pas été épargnés. Puisque « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » (François de Sales). Je ne sais pas si je suis ou peux être un éclaireur du présent. L’éclairer mais avec quelle lumière ? Les nostalgies d’hier ? La situation complexe et parfois tendue d’aujourd’hui ? Les attentes espérées vainement? Et pourtant, après « l’infraternel » coup de force de Mgr Aupetit que je n’oublierai pas, la capacité de Saint-Merry Hors-les-Murs à s’adapter, à rebondir et à continuer de faire communauté grâce à la fois à la ténacité encourageante et communicative de beaucoup et aux grandes compétences de quelques-uns. Mais se battre pour exister a un coût. Renoncement (provisoire) à certains marqueurs de notre ADN (accueil, dialogues avec les artistes), innovations liturgiques limitées, épuisement et départs, fragmentations, questionnement sur le soutien des instances diocésaines.

Dans ce sens, l’investissement d’un lieu demeure pour moi une condition indispensable pour répondre à la lettre de mission de Mgr Ulrich et renouveler nos initiatives attractives sans les reproduire nécessairement. Ce qui me conduit à l’image de la sentinelle qui me semble ambivalente. Bien sûr, d’un côté, être attentif aux signes des temps, aux demandes nouvelles et essayer d’y répondre. Mais de l’autre, qu’est-ce qu’une sentinelle ? Sinon une personne qui scrute l’horizon de haut, alerte sans bouger devant ce quelque chose qui se dessine à l’horizon. Et parfois en vain comme dans Le désert des Tartares. Je n’ai pas trop envie de jouer ce rôle de surplomb. À la fois parce que je souhaite poursuivre dans cette communauté un réel engagement à ma mesure et parce que pour être une sorte de lanceur d’alerte, il faut aussi être informé de ce qui émerge comme de ce qui fonctionne ou dérape tant au centre qu’aux périphéries. Mais par quel canal ? Et au nom de quelle mission donnée voire auto-proclamée ? Autant de questionnements, d’incertitude mais de conviction profonde puisque Saint-Merry Hors-les-Murs demeure ma maison d’Église.

Je souhaite conclure grâce à Raphaël Buyse :

Il s’agit juste et encore d’être là.
Pas de regretter le temps passé mais d’être tout entier
dans le présent et de déployer tout son possible. […]
De repérer dans l’ordinaire des jours cette Vie qui se cache dans la vie.
D’entendre dans le flot des paroles qui nous entraîne,
quelques mots simples et fondateurs :
le « ce sans quoi » on ne pourrait pas vivre.

Raphaël Buyse (Rikiki tutti, éd. Desclée de Brouwer)

Alain Cabantous

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Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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