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Questions de prospective. Notre âge : un exercice de lucidité ?

Premier volet des questions de prospective sur l’après cinquantenaire. Comment mieux vieillir ensemble et individuellement ? par Michel Micheau de l’Équipe pastorale

À l’occasion de l’année du cinquantenaire, Saint-Merry Hors-les-Murs s’est engagé dans un travail ambitieux de réflexion autour de cinq thèmes[1], après quatre ans de « nomadisme ».
Mais ces thèmes sont-ils suffisants pour que cette communauté, désormais petite, aborde les évolutions du monde ?  Un article sur le décompte des catholiques en France a dressé un premier fond de cette scène.

Doit-on se contenter de voir à un an ?
La plupart des membres de la communauté ne verront pas 2050,  or c’est peut-être à cet horizon qu’il faudrait s’interroger. Problème : ces questionnements sont innombrables et tous liés les uns aux autres.

On connaît les tendances lourdes qui façonnent le présent : démographie en mutation, transitions écologiques et numériques, recompositions territoriales, crises démocratiques. Autant de variables qui dessinent un futur incertain[2]. Les ouvrages se multiplient dans le champ de la prospective en France[3].

Aussi, en trois articles, pourquoi ne pas tenter de poser des questions de prospective ? Pour ce faire, il a été choisi ici une douzaine de thèmes touchant plus directement ces Saintmerryens[4] ; ils ont gardé leur curiosité et le sens de la critique du monde.

Ce choix limité arbitrairement interroge les représentations collectives, les valeurs partagées par Saint-Merry Hors-les-Murs et les liens sociaux.  Par exemple : quel poids le vieillissement fera-t-il porter sur cette communauté ? Que deviendront les jeunes générations ? Comment se redéfiniront les ménages et les familles ? L’ascenseur social, déjà grippé, retrouvera-t-il sa fonction émancipatrice ? Quelles inégalités nouvelles s’ajouteront aux anciennes ? Ou encore, quelles formes politiques et démocratiques résisteront à la désaffiliation citoyenne ?

Qui deviendrons-nous ?

  1. À l’orée du déclin démographique

La population de la France de 2050 sera de 69 millions d’habitants, soit à peine plus qu’en 2023 (68,3). Si les prévisions reposent sur plusieurs hypothèses qui sont différentes d’ailleurs entre l’INSEE et l’INED[5], le vieillissement global, lui, est sûr et doit être mis en regard de la baisse de la fécondité, tandis que les migrations joueront un rôle essentiel.  

L’apogée se situera entre 2040 et 2050. « Sans changement de la fécondité ni du solde migratoire après 2024, les progrès contre la mort se poursuivant, la population de la France ne devrait pas diminuer avant une vingtaine d’années ; d’ici là, le solde migratoire (immigration moins émigration) positif ferait plus que compenser la baisse, puis l’inversion du solde naturel à venir. » INED 2025

Cette transformation n’affectera pas tous les territoires de la même manière. Paris se vide lentement. Mais les départements 77, 93 et 95 verront leur population maximale atteinte après 2070. Vingt départements français sont déjà entrés en déclin. 

Trois mécanismes démographiques jouent à plein au niveau national : l’apport migratoire, sujet de tous les discours politiques, le vieillissement inéluctable et la stabilisation de l’espérance de vie, le niveau des naissances. Ici jouent le taux de fécondité, et au-delà la baisse du désir d’enfants liée aux perspectives sociales et mondiales. Doute, refus du monde tel qu’il est et sera, changement des rapports femmes/hommes, difficultés d’accès au logement ou précarité professionnelle, évolution des aspirations personnelles sont liés. Les modèles familiaux ont changé, l’Église n’a plus de prise sur eux, sauf à la marge. L’Église subit encore plus la décroissance démographique.

Effet pour Saint-Merry Hors-les-Murs :  cette communauté va-t-elle  bénéficier des transformations en cours sur les ouvertures et fermetures d’églises ? Baisse de la population, déchristianisation et baisse du nombre des prêtres aboutissent au mouvement que l’on connaît, à l’origine de « Paris 2035 », un travail de rationalisation des paroisses par l’évêché de Paris, quinze ans après ce qui s’est passé en région. Mais il faudrait y voir de plus près ! Les églises de l’ouest parisien ne sont pas vides.

Autre effet réel pour Saint-Merry Hors-les-Murs : ses effectifs sont en décroissance[6]. Jusqu’à quand feront-ils communauté ? Après son nomadisme des quatre premières années, quels visages celle-ci va-t-elle choisir ?

2. Espérance de vie. Un petit plus ?

Selon l’INED, l’espérance de vie à la naissance a progressé, depuis le milieu du XXe siècle, de trois mois par an en moyenne en France, passant de 66,4 ans en 1950 à 82,8 ans en 2024, tous sexes confondus. Mais il faut y voir de plus près. Si l’espérance de vie a plus que rattrapé en 2024 son niveau d’avant la pandémie de Covid-19 et s’établit à 80,0 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes, elle progresse désormais plus lentement[7].

Cet essor est dû principalement aux succès dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent de plus en plus les décès. En effet, la mortalité des enfants, dont la baisse avait beaucoup contribué à l’augmentation de l’espérance de vie de la fin du XVIIIe au milieu du XXe siècle, n’a pratiquement plus d’influence aujourd’hui vu son niveau très faible. Au milieu du XXe siècle, c’est le recul des maladies infectieuses qui a entraîné une augmentation sensible de l’espérance de vie. Mais la part de ces maladies dans la mortalité totale a beaucoup régressé et les gains à attendre de la poursuite de leur recul sont faibles[8], en dépit de toutes les promesses de la médecine et de l’IA. Ce qui est enjeu c’est l’espérance de vie en bonne santé, cela passe par les progrès en prévention, la « trajectoire de santé ». Comment en mesurer la qualité ?

À partir d’un certain âge, l’indicateur scruté est un peu différent. Ainsi en 2020, une femme de 65 ans pouvait espérer vivre 12,1 ans sans incapacité et 18,1 ans sans incapacité sévère ; un homme, 10,6 ans sans incapacité et 15,7 ans sans incapacité sévère. Depuis 2008, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a ainsi augmenté de 2 ans et 1 mois pour les femmes et de 1 an et 11 mois pour les hommes, ce qui est appréciable du point de vue humain et économique.

Le petit plus. Si les déterminants sociaux pèsent beaucoup dans l’accès à la santé et dans l’espérance de vie, une étude américaine de 2018 a montré que les croyantes et les croyants vivaient en moyenne 4 années de plus, car des comportements, caractéristiques d’une vie religieuse, favorisent un allongement de l’espérance de vie: méditation, modération, liens sociaux forts.

On le constate à Saint-Merry Hors-les-Murs, l’attention portée aux plus anciens va de pair avec les anniversaires que les membres se souhaitent. Est-ce que c’est un argument à mettre en avant pour éviter la décroissance ?…

NB : L’INSEE met à disposition un très intéressant outil de simulation des espérance de vie selon votre âge ou votre niveau de vie…

3. Le vieillissement. Une évidence !

Les études prospectives de l’INSEE dressent un panorama de la population française dont les grandeurs doivent rester à l’esprit dans tous les autres débats.

 202120502100
0-19 ans23,9 %21,5 %19,4 %
Plus de 65 ans20,2 %27,2 %32,3 %

L’augmentation sensible des plus de 85 ans interviendrait avant 2040.
Mais dès maintenant, les courbes naissance/décès se croisent.

Du point de vue pastoral, le nombre d’obsèques va dépasser le nombre de baptêmes. On imagine aisément les conséquences en cascade.

Le questionnaire sur les souhaits de locaux de mars 2025, auquel ont répondu les Saintmerryens, est connu. Saint-Merry Hors-les- Murs est de son temps : vieillissement des membres (près de la moitié des personnes ayant répondu avait plus de 75 ans) et diminution de leur nombre (voir ci-dessous).

Extrait de l’enquête auprès des membres de Saint-Merry Hors-les-Murs sur les souhaits de locaux. 2025

Pastoralement, la question n’est plus d’attirer des jeunes, mais plutôt de savoir comment nous allons vivre avec d’autres, peut-être aussi vieux, dans notre éventuel nouveau lieu. Les groupes avec lesquels nous souhaitons nous associer (CCBF, Parvis, etc.) sont-ils aussi vieux et quelles perspectives démographiques ont-ils ?  De son côté, comment l’évêché appréhende-t-il finement cette décroissance démographique dans son modèle pastoral et économique ?

L’enjeu est global. Dans les années 70-90, les personnes sont venues à Saint-Merry, à 30-50 ans, parce qu’elles trouvaient des pairs en âge ou en modèles familiaux. Et à l’avenir ? Nous sommes pairs par l’âge et le statut de retraités. Le modèle de célébration de Saint-Merry Hors-les-Murs ou les titres de nos groupes internes de travail sont-ils suffisants pour modifier ces perspectives démographiques ? Saint-Merry Hors-les-Murs est une communauté de vieux membres avec un beau passé, dirait-on caricaturalement, et dont l’intensité des liens, du fait de l’histoire commune, est fondamentale et réunit les membres autour du partage de la Parole. La solidarité que l’on prône à l’extérieur commence à l’intérieur dans la tonalité de l’amitié, parfois franche.

En fait, le vieillissement n’y est pas homogène.  On connaît toute une gamme de situations entre le troisième et le cinquième âge. L’état de santé, le niveau de dépendance, les capacités contributives à la vie sociale et les niveaux de ressources vont avoir un impact sur les individus, mais aussi sur les territoires.

Les partages en visio sont explicites et sont fondamentaux pour faire communauté à cet âge. Cela suffira-t-il ?

4. Entre vieillissement et dépendance : notre avenir ?

Cinq millions de personnes auront plus de 85 ans en 2050. Combien en situation de dépendance ? Entre trois et quatre millions. Tout va dépendre des traitements futurs des maladies dégénératives mais aussi des comportements des baby-boomers ayant connu une puissante revendication d’émancipation et de liberté individuelle. Comment aborderont-ils leur « reste à vivre » dont la qualité va dépendre de leur capacité à exercer des choix, dont les débats sur l’aide à mourir ont montré les enjeux.

La société des années 2050 déjà traversée par ces questions en connaîtra d’autres sous l’effet de l’IA et de la biogénomie[9]. Les politiques publiques sont contraintes à se transformer.

On construira plus d’EHPAD et de résidences avec services, cela est sûr et le secteur privé s’y engouffre déjà, tandis que beaucoup souhaitent vieillir le plus longtemps possible chez eux. Mais quels seront les liens entre les individus et les générations ?
On parle de « géronto-géographie », car l’évolution des mentalités et de l’organisation sociale aura des effets jusque sur la localisation des actifs et notamment des aidants, dont un grand nombre d’immigrées.

Saint-Merry est déjà au cœur de la question ; cela peut-il se penser ensemble ?

Un graphique en guise de conclusion partielle

Les mécanismes mentionnés ci-dessus, conjugués à la décision de l’évêché en 2021, expliquent largement les évolutions des effectifs de la communauté aujourd’hui « Hors-les-Murs ». Les messalisants ont été divisés par 4,7 entre 2017 et 2025 et les donateurs ou adhérents par 1,47. On remarque les évolutions de la pratique. Avant cet évènement le nombre de messalisants était bien supérieur à celui des donateurs. C’est désormais l’inverse, Saint-Merry Hors-les-Murs repose sur un autre modèle. Ce graphique est un « exercice de lucidité » et pourrait ouvrir à la discussion sur de nombreux enjeux pastoraux et de gouvernance.

Évolution 2015-2025 ; pas de statistiques connues pour 2018-2020.

À suivre…


[1] Les thèmes des ateliers ont été élaborés à partir des sensibilités ou des questionnements actuels de cette communauté, souvent en lien avec les travaux de ses groupes ou la culture saintmerryenne.

[2] « Fractures françaises » analyse bien la montée du pessimisme : « En 2025, les Français affichent un niveau de pessimisme inédit face à la situation politique et sociale du pays. Pouvoir d’achat, déclassement social, déclin national, mais aussi défiance généralisée envers les institutions, les partis et le personnel politique : les indicateurs sont au rouge. »

[3] On peut citer notamment :

  • Sous la direction de Jacques Attali, France 20240, fragments d’avenir, Flammarion, 2025
  • Aurélien Delpirou, Frédéric Gilli, Martin Vannier, La France en perspectives. Imaginer 2050, Autrement ? Le Nouvel Obs, 2025
  • Rapport Ipsos, Fractures françaises, 2025
  • Sans oublier, Giulano da Empoli, L’heure des prédateurs, Gallimard 2025, qui donne un cadre international aux transformations politiques du moment.
  • Guillaume Cuchet. Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? Essai. Points 2021

[4] En lien parfois avec les sujets traités par certains groupes de la communauté (), en privilégiant le territoire où ils vivent, la région parisienne.

[5] Une image contenant texte, Police

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

[6] Tous les mécanismes décrits à l’échelle nationale sont désormais à l’œuvre, alors que les effets de la décision de l’archevêque en 2021 ont été contrecarrés par une créativité pastorale reconnue par tous, mais n’ont pas provoqué de rebond.

[7] Selon l’INED, en 2024 la croissance démographique s’élève à +0,25 %. Elle tient pour 90 % au solde migratoire (+152 000 personnes) et pour seulement 10 % au solde naturel (+17 000). Selon le scénario « 2024 » proposé par les auteurs, le solde naturel deviendrait négatif dès 2027, avec un nombre de décès supérieur à celui des naissances.  L’incertitude est forte sur l’impact de la migration.

[8] « Le ralentissement des progrès de l’espérance de vie depuis une dizaine d’années est peut-être le signe que les retombées de la révolution cardiovasculaire sont en voie d’épuisement. Les progrès futurs pourraient dépendre de plus en plus de la lutte contre les cancers qui sont devenus la première cause de décès. » INED

[9] Lire par exemple le chapitre de Stéphane Bancel « La santé à l’horizon 2040 : vers une révolution holistique du corps et de l’esprit » in Jacques Attali, op. cit.

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