Nos rencontres initiées sur Skype il y a quelques années se poursuivent sur Zoom à l’initiative de nos ami-e-s de Gaza. En mars, le thème retenu était « Etre femme à Gaza aujourd’hui », une occasion pour les diplômées de français de l’université Al-Aqsa, formées par Ziad Medoukh, de faire chacune un petit exposé en français.
Nous nous sommes retrouvés à une vingtaine de participants le 27 mars 2021 pendant plus de deux heures. Plusieurs jeunes femmes de Gaza ont témoigné de leur expérience personnelle, puis des échanges se sont engagés à partir des questions des membres de Saint-Merry.
Des témoignages percutants
Amal, Ghada, Lina, Rawan… : elles sont toutes jeunes, mariées avec enfants (parfois 4 ou 5). Elles disent vivre sous l’occupation et le blocus israéliens tout en menant la vie normale des femmes du monde entier. Le pays étant soumis à des bombardements réguliers, toutes les familles comptent des martyrs ou des blessés. De nombreuses femmes à Gaza sont seules, responsables de famille. Elles disent avoir peur pour leurs enfants mais que la vie continue malgré tout. Certaines travaillent au foyer, d’autres à l’extérieur. Elles aident leurs enfants dans les devoirs scolaires.
Lina, technicienne chimiste au ministère de l’agriculture, dit sa joie d’avoir été reçue première au concours. Elle aime son métier dans le développement d’une agriculture durable. Elle témoigne des conséquences du blocus sur les conditions de travail : fréquentes coupures d’électricité, manque de matériel, difficulté des échanges scientifiques au plan international. Elle conclut : « Grandir à Gaza m’a rendue forte ; on doit chercher des alternatives pour résoudre les problèmes. »
Rawan, professeur de français, témoigne des difficultés rencontrées : « Les femmes à Gaza ne peuvent pas faire tout ce qu’elles veulent ; elles ne peuvent pas voyager normalement ; elles ne connaissent pas toujours leurs droits ». Elle dit avoir gagné en initiative et avoir amélioré la participation des femmes à la vie politique, notamment en renforçant la place des étudiantes au conseil d’université, grâce à un programme de formation, à des rencontres avec les médias et des associations féminines.
Échanges directs sur sujets sensibles
Nous leur disons notre admiration pour leur résistance, leur endurance et les avancées pour les femmes qu’elles nous ont présentées : égalité salariale réelle femmes/hommes ; journée mondiale des droits des femmes (8 mars) fériée à Gaza. Ziad confirme que c’est aussi grâce à l’implication, très ancienne, des femmes palestiniennes dans la résistance à l’occupation qu’elles ont conquis de nouveaux droits en même temps que le respect des hommes.
Pour autant, la répartition des tâches hommes/femmes nous semble encore « traditionnelle », ce qui va entraîner une discussion. Par exemple, si un mari meurt en martyr, souvent sa femme ne se remarie pas et cette attitude force le respect à Gaza.
À la question : « En quoi les femmes de Gaza ne peuvent-elles faire tout ce qu’elles veulent ? », il est répondu notamment qu’elles n’ont pas la liberté de déplacement ; il faut la permission du père ou du mari, voire des enfants si le mari est décédé. Cette réponse provoque un certain scepticisme côté français, une intervenante parlant d’une « soumission » qui ne serait pas tolérée chez nous. Nos amies de Gaza ne l’entendent pas ainsi. Pour elles, il n’est pas question de soumission mais de respect. Les hommes autorisent les femmes à voyager mais celles-ci leur demandent leur avis, tout cela par respect mutuel. La grande solidarité familiale, dans lesquelles les femmes jouent le premier rôle, est aussi un élément de contexte. C’est cette solidarité qui permet au pays de tenir dans des conditions impossibles. Ainsi, pendant l’offensive israélienne de 2014, les femmes se sont débrouillées pour nourrir 60 personnes (familles et amis) accueillies dans un immeuble, malgré le manque de tout (électricité, médicaments, etc…). De même, il y a très peu de mendiants à Gaza car les familles ne laissent jamais une personne seule dans le besoin.
Ziad indique qu’en Palestine, plus que dans tout autre pays arabe, les femmes sont reconnues pour leur courage, leur détermination, leur patience, leur dignité, leur attachement à leur patrie, leur investissement pour éduquer une génération déterminée et confiante. Mais il leur reste encore de nombreux droits à obtenir, comme en matière d’héritage.
Ce riche échange – terminé sur un clip musical proposé par nos amis gazaouis – n’a certes pas permis d’unifier les points de vue, mais il nous a offert de mieux nous connaître, ce qui est essentiel. Rendez-vous est pris pour une prochaine rencontre en mai sur les élections législatives et présidentielles en Palestine.
Isabelle Mérian, groupe Gaza (Commission partage)