Le 13 juin 2021, Geneviève PM et Laurent Baudoin de la commission partage (groupe Gaza) ont proposé à Ziad Medoukh et à ses diplômé(e)s de français un Zoom spécial sur les conséquences psychologiques des bombardements intenses subis par les Gazaouis pendant onze jours. Psychologue et psychanalyste, Geneviève a mis ses connaissances et son expérience au service de ces jeunes qui consacrent une partie de leur temps au soutien psychologique des enfants traumatisés. Elle raconte.
Rassurer les enfants : la lourde tâche des jeunes francophones
C’était très émouvant d’entendre les jeunes animateurs parler avec calme et justesse de ces enfants choqués par les bombes, les maisons et les écoles détruites, les morts. Ils réunissent les enfants par groupes de vingt-cinq – c’est trop nombreux mais la demande est très forte – pour leur faire non pas oublier, mais dépasser les horreurs vécues. Ils leur proposent des activités (jeux, dessins, chants, danses) et leur distribuent des jouets et des cadeaux, comme on offre un cadeau à un enfant malade pour le consoler.
Donner chaleur et joie aux plus jeunes, pour les rassurer après ces jours de terreur, suppose une force exceptionnelle. Les animateurs ne sont-ils pas eux-mêmes bouleversés dans leur psychisme ? Pour le dire avec Lacan, « en temps de guerre les adultes redeviennent des enfants. » L’enfant insécurisé que chacun a pu être se réveille en l’adulte. Même en dehors de la guerre, le bébé connaît des moments de peur de l’abandon, de terreur parfois. Le risque de mort réveille en chacun ces temps là, on revient à ses premiers traumatismes. Il faut d’abord essayer de consoler et de rassurer l’enfant qui est en nous et qui ressurgit, reconnaître sa propre fragilité pour la transformer en force de vie.
Une femme nous a raconté comment elle ne pouvait rassurer sa toute petite fille, étant terrorisée autant qu’elle par les bombes qui détruisaient sa maison. C’est en exprimant sa peur à sa petite fille et leur volonté commune de vivre et de s’en sortir, qu’elle aura pu la calmer.
Mais comment l’adulte peut-il reconstruire sa propre maison psychique, et aussi celle des enfants ? Ce sont des centaines de milliers de maisons d’âmes qu’il faudrait reconstruire… « Il y a les traumas de la vie privée, du passé, le blocus israélien, les bombes, il n’y a pas de situation post-traumatique à proprement parler », explique un spécialiste en santé mentale, le Dr Samir Zaqout. La population vit continuellement dans des conditions traumatiques. Pour guérir il faut être en lieu sûr, mais à Gaza il n’y a pas de lieu sûr ! « On peut donc parler d’adaptation, de résilience, mais pas de guérison », conclut ce médecin.
Les visions d’horreur revenant en rêves ou dans la vie éveillée, les cauchemars à répétition ne cessent d’envahir les esprits des enfants et des adultes. Les nuits sont pires que les jours, témoignent beaucoup de rescapés de Gaza et d’ailleurs. Dans la journée on est dans l’action, dans la relation aux autres, mais pendant la nuit, rien ne vient limiter l’envahissement par les images insupportables.
Freud a montré que le traumatisme est un corps étranger qui fait effraction dans le psychisme, sans pouvoir s’y inscrire vraiment. C’est pourquoi il se rejoue indéfiniment. Tout le travail d’une psychothérapie serait de construire le traumatisme lui-même, de le rendre représentable et inscriptible.
L’un des bombardements a dévasté le quartier al-Rimal, dans la ville de Gaza, et pulvérisé l’immeuble de Abeer, la sœur de Ola. Dix heures après la destruction, les secouristes ont extirpé des gravats, comme miraculés, le mari de sa sœur, Riad, et sa fille de huit ans, Suzy. Mais Abeer et les quatre autres enfants du couple n’ont pas survécu. « Je ne cesse de penser à ma sœur et à ses enfants qui sont peut-être restés vivants des heures sous les ruines. Et je suis sous le choc, j’ai peur à présent de perdre mes enfants », confie Ola Ashkantana, qui refuse de prendre des anxiolytiques.
Dans la pièce voisine, Riad tient sur ses genoux Suzy pendant que Hassan al-Khawaja, médecin spécialisé en santé mentale, lui propose d’entamer une psychothérapie. « Je suffoque. J’ai même pensé à aller vivre à leurs côtés au cimetière », lance Riad, resté muet plusieurs jours après le drame, selon sa famille. « Je ne serai plus jamais le même. »[1]
Ils sont très nombreux à vivre cette atteinte à leur vie psychique, effectivement ils ne sont plus les mêmes. Comment les aider à revenir de cet enfer ? Ce ne sont pas des médicaments, utiles parfois provisoirement, ni des méthodes comportementalistes, mais un très long temps de reconstruction avec un psychothérapeute, ou peut-être un travail d’écriture, qui pourrait leur permettre d’en sortir, si les attaques meurtrières ne revenaient pas sans cesse.
D’autre part, la reproduction du traumatisme en augmente les effets désastreux. Plus ça se répète dans la réalité pour chacun et plus les atteintes sont destructrices. Un traumatisme renvoie à un autre plus ancien en le redoublant, et cela l’augmente à la puissance n1 plus n2, et ainsi de suite…
De plus le traumatisme se transmet dans l’inconscient d’une génération à l’autre. Les effets d’effraction s’accumulent depuis que les guerres se succèdent à Gaza. Les jeunes adultes d’aujourd’hui ont à porter ce qu’ils vivent, qui s’ajoute à ce qu’ont vécu leur parents. Quel travail personnel il leur faut faire pour ne pas transmettre à leurs enfants ou à ceux dont ils s’occupent la somme de tous ces traumatismes !
Bravo à ces jeunes étudiants pour leur courage et leur énergie, consacrés à rassurer et à soutenir les enfants ! C’est peut-être aussi pour eux une manière de panser leurs propres blessures, tout en pensant l’avenir.
Geneviève PM
À lire ici la lettre envoyée à Ziad et à nos amis étudiants de Gaza par Saint-Merry Hors-les-Murs
[1] Extrait de L’Orient le Jour, 14 juin 2021.
Geneviève,
Merci de nous avoir partagé ton témoignage, une aide qui a été sûrement appréciée par celles et ceux qui accompagnent tous ces enfants traumatisés par tant de violence, à Gaza et dans toute la région.
Jacqueline.C