« La foi au-delà du ressentiment » : les intuitions de James Alison

James Alison, anglais et gay, converti au catholicisme et devenu prêtre, a décidé de ne plus être le complice du mensonge ecclésiastique. Nous vous proposons deux articles sur son livre La foi au-delà du ressentiment [1]La foi au-delà du ressentiment : fragments catholiques et gays, James Alison, éditions du Cerf, 2021, une preuve magnifique de la vitalité du catholicisme à notre époque.

James Alison
James Alison

James Alison a été expulsé de son poste de professeur de théologie et réduit à l’état laïc, sans pouvoir s’expliquer avec ceux qui ont demandé son expulsion (ses détracteurs refusent de le rencontrer), il a compris que cette décision ne le visait pas personnellement pas mais qu’il s’agissait plutôt d’un mécanisme dans lequel ses détracteurs étaient enfermés, une prise de recul qui lui permet de pardonner ; mieux, il prend conscience de sa propre participation à ce mécanisme de violence, non comme victime mais comme manipulateur (dans sa militance zélée en faveur de l’homosexualité).
« J’avais la certitude que Dieu était derrière la violence réservée aux gays ; il m’était impossible de dire que Dieu nous aime tels que nous sommes. Ma façon violente était d’implorer le monde ecclésiastique de nous reconnaître… J’étais totalement dépendant du système que je combattais… Je tentais de manipuler le monde ecclésiastique pour qu’il m’adresse un oui, une demande pourtant impossible à satisfaire, car il n’y a que Dieu pour prononcer ce oui. »
François, notre pape, avec qui il entre en contact, lui demande de poursuivre, comme prêtre réhabilité, ce cheminement d’adulte à qui il fait confiance (l’écoute des personnes au-delà de la doctrine).

Pour comprendre Alison, il faut se référer à René Girard dont il s’inspire largement

La rencontre avec l’œuvre de René Girard a été déterminante dans son cheminement durant un compagnonnage de 15 ans. Il s’inspire de la théorie mimétique (expliquant nos comportements sociaux) et de celle du bouc émissaire (ciment du groupe par le rejet de membres), pour interroger les fondements de la foi chrétienne, ceux de l’institution et la perception de « la personne de Jésus en tant que Dieu, à la fois insaisissable et extraordinairement solide ».
L’acte d’expulsion visant le bouc émissaire crée l’unité du groupe et permet sa pacification par la victime haïe. Alison montre pourtant que la théorie du bouc émissaire ne peut se résoudre que par l’abandon du ressentiment.
La souffrance, engendrée par le rejet du groupe, peut appeler à l’abandon de la violence mimétique pour un agrandissement de l’amour. Considérer l’autre, au-delà de la logique d’exclusion, permet la construction d’une transcendance fraternelle.

René Girard
René Girard

Une foi qui remet en cause l’ordre établi des choses

« Nous assistons aujourd’hui à l’effondrement de deux ordres sacrés, d’un côté les hérauts bruyants de la restauration d’un catholicisme nostalgique d’un passé, garant de la pureté de la doctrine, de l’autre ceux qui s’enferment dans des postures de victimes, revendiquant un statut sacré d’innocence perpétuelle. L’un et l’autre s’enferment dans l’appartenance à un groupe contre les autres. »
Chez Paul, le sacré s’effondre pour laisser sa place à la résurrection (parler de Dieu au milieu des ruines pour accéder à Dieu). Paul ne s’inscrit pas dans la fondation d’une nouvelle religion, nouvel ordre sacré, mais dans la nécessité de diffuser la Bonne Nouvelle de la présence constante de Dieu parmi nous comme victime crucifiée et ressuscitée. Il nous invite à l’établissement de nouveaux rapports sociaux débarrassés des castes, des barrières et préjugés, pour une fraternité encore inimaginable.
« Ce qui réunit Élie, les exilés à Babylone et Paul, c’est qu’ils se sont trouvés dans l’obligation de faire appel à leurs seules ressources personnelles, sans s’appuyer sur du solide (un principe universel, une instruction précise) pour imaginer comment se reconstruire. Leur seul point de départ est d’admettre que le monde ancien s’est écroulé. »

Jésus dans tout cela

« Dans le récit des disciples d’Emmaüs, le Jésus qui parle est un homme mort, sachant que c’est l’entièreté de la vie humaine de Jésus, y compris sa mort, qui est ressuscitée. Être mort, ce n’est pas seulement retrouver sa liberté par rapport aux lois et structures sociales et engagements personnels, c’est aussi une libération totale du ressentiment, n’étant plus en lutte contre les institutions. Cet homme mort est capable de reprogrammer tout le logiciel avec lequel il a pu considérer sa vie précédente. »

Jésus est trop présenté comme la victime obéissante de son Père, alors que les mots
« envoyer » ou « obéir » sont les indicateurs d’une puissante dynamique
de l’intentionnalité humaine de Jésus.


Mettre en avant le sacrifice de Jésus permet d’affirmer le salut sans rien changer aux conceptions et limites sociales et morales dans lesquelles nous vivons. « Jésus sacrifié » est alors la caution d’une conception préétablie du bien et du mal à laquelle on nous demande d’adhérer. Ceux qui tiennent ces positions leur donnent un statut dangereusement sacré. En fait malgré l’innocence de la victime, le récit ne nous apprend rien sur la création, mais seulement sur la justification des meurtriers. On s’appesantit alors sur la question du péché, oubliant la question de Dieu créateur, de Jésus, présence humaine du Créateur amenant la création vers son possible achèvement.
Or Jésus est essentiellement le frère qui permet de connaître Dieu son Père et notre Père ; Il est celui qui nous invite à la fraternité pour accéder au Père, et poursuivre la création.

Paternité, fraternité

Jésus nous enseigne qu’il n’y a rien sur terre d’analogue à la paternité de Dieu et que nous ne pouvons entrevoir cette paternité divine qu’à travers une relation fraternelle avec Lui. « Les paternités terrestres ne le sont pas au sens divin ; ce sont seulement des relations fratricides déguisées en paternité ». Définir notre identité en référence aux paternités humaines, c’est ignorer leur principe structurant, le meurtre fondateur d’Abel par Caïn.
« La paternité biologique n’est rien d’autre qu’une fraternité intergénérationnelle, susceptible d’être exercée de façon constructive ou destructive. Pour cette raison, les rapports inégalitaires ne peuvent être de véritables relations d’amour, l’amour étant une relation d’égal à égal. Un abus d’autorité paternelle n’est en fait qu’une relation fraternelle dévoyée. »
Pour Jésus, l’accès à la vérité et à la liberté ne dépend pas d’une adhésion identitaire à une loi, mais d’une capacité d’écoute fraternelle, cherchant à imiter et reproduire la vie fraternelle qu’Il enseigne. Ce n’est que par ce type de relation que nous pouvons entrer en contact avec Dieu. D’où le propos de Jésus « vous n’avez qu’un seul Père, le Père céleste », et encore « ne vous faites pas appeler Rabbi car vous n’avez qu’un maitre et vous êtes tous des frères ».

Envers l’institution

Rester dans l’église pour les gays (notamment en relation de couple), exige de dissimuler et d’adopter un double comportement favorisé par le discours de l’église (vous ne posez aucun problème tant que vous ne mettez pas l’édifice en danger ; vous êtes respectés tant que vous respectez les règles du jeu ; sinon, vous êtes exclus). D’où 2 réactions : la dissimulation ou la fuite. C’est la sauvegarde du groupe social qui est toujours privilégiée par l’institution ecclésiastique.
Alors comment réagit-on ? Agir contre l’institution intransigeante ou agir avec une juste colère contre l’injustice pour nos frères empêtrés dans le combat contre l’institution ? Il lui semble qu’une discussion réelle sur l’enseignement de l’Église ne deviendra possible que quand nous aurons réussi à élever notre écoute et notre parole à un niveau fraternel, sans se soucier de qui refuse le dialogue.
Jésus nous enseignait comment ne pas être scandalisés par les autorités religieuses en les traitant plutôt sur le plan fraternel, tout comme nous pourrions le faire. Nombre d’autorités religieuses sont elles-mêmes cadenassées dans leur écosystème. Certains en ont conscience ; d’autres le refusent, notamment parce qu’ils ne considèrent pas les personnes impliquées mais leurs actes, qui sont incompatibles avec l’enseignement.
En réalité, le vrai scandale des évangiles ne tient pas aux paroles dures qu’on y lit, comme cela est souvent dit, mais dans le fait que Dieu lui-même devient présent au milieu des humains tels qu’ils sont, ne s’inscrivant pas dans le schéma prévu.
En fait rien de ce qui est humain n’est simplement « naturel », mais c’est une construction sociale. L’effondrement du « naturel » n’est pas l’effondrement de la croyance, mais un moyen de dépasser le message divin emprisonné.

La conversion

Alison décrit sa « conversion » en trois étapes :

  • la reconnaissance que Dieu n’est pour rien dans le rejet qu’il a connu
  • la conscience de sa propre implication violente dans laquelle il s’est laissé enfermé
  • le oui de Dieu au prix de l’écroulement de toutes les structures mentales et psychologiques qui le protégeaient.

Il était dans l’incapacité de comprendre qu’il n’est pas nécessaire de se forger une place sur terre, d’y rechercher la sécurité, de se protéger avec violence contre la violence. Le moi ressuscité ne se manifeste qu’après la mort de l’ancien moi.

La foi ne nous est pas donnée
pour nous rendre digne d’appartenir à l’Église
mais pour que nous puissions comprendre
et aimer notre condition d’être humain.

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Lorsque nous nous découvrons héritiers, naît en nous la conscience d’être intégrés au projet de la création, de pouvoir y prendre une part active ; alors nous n’avons plus besoin d’entrer en rivalité pour à tout prix être reconnu par le groupe social ou religieux. « Quand nous arrivons à nous détacher de telles fixations, quelque chose de mystérieux se fait jour. » Une forme de compassion émerge en direction de ceux qui nous rejettent.

« Quand nous célébrons l’eucharistie, nous célébrons la présence réelle de Jésus crucifié et ressuscité qui nous insuffle le pouvoir de devenir pénitent, le pouvoir de nous défaire de nos liens avec la puissante paternité du monde, le pouvoir d’être capable de nous relier les uns aux autres comme frères et sœurs faibles, humbles, portés par l’amour créatif du Père. »

« Mon témoignage est un voyage inachevé dans la découverte de l’être. »

Nous vous proposons de lire le second article sur les intuitions de James Alison en suivant ce lien.

CategoriesSociété

Notes

Notes
1 La foi au-delà du ressentiment : fragments catholiques et gays, James Alison, éditions du Cerf, 2021
André Letowski

Expert en entrepreneuriat, en tant qu’analyste et intervenant conseil, notamment auprès de petites entreprises, l’auteur s’est aussi investi dans le champ culturel (voyages, théâtre…), dans des associations à caractère religieux, s’interrogeant sur la façon concrète de vivre du Christ au sein de notre monde contemporain. Le recul apporté par la sociologie des organisations lui est précieuse pour aborder la question de la gouvernance et des pouvoirs.

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