« Les Français et la religion » : analyse d’un sondage

En septembre 2021 est paru un sondage de l’IFOP sur « les Français et la religion » concluant qu’une courte majorité de Français ne croyait pas en Dieu (51 %). André Letowski en présente d’abord quelques conclusions riches d’informations. Les limites de la méthode sont ensuite relevées
par Jean-François Barbier-Bouvet, sociologue : approche trop binaire, difficile traduction des réalités vécues…

Le rapport des Français à la religion : quelques chiffres

  • Les Français croient-ils en Dieu ?
    49 % répondent affirmativement ; mais ils étaient 56 % en avril 2011 et 66 % en décembre 1947.
    Bien sûr les catholiques pratiquants croient pour 95 % d’entre eux contre 62 % pour les catholiques non-pratiquants et 10 % pour les sans-religion.
  • Parlent-ils de religion ou de sujets se rapportant aux religions ?
    38 % en parlent en famille, 29 % avec des amis, mais bien moins qu’en 2009 (20 points de moins) et 18 % avec des collègues. Un sujet réservé à l’intime !
  • Les religions peuvent-elles contribuer à transmettre aux jeunes des repères et des valeurs positives (respect de l’autre, tolérance, générosité, responsabilité) ?
    Les deux tiers l’affirment, notamment les trois quarts des 65 ans et plus (mais aussi les deux-tiers des moins de 35 ans), comme la quasi-totalité des catholiques pratiquants (mais aussi de l’ordre de 80 % des croyants non-pratiquants, alors que les non-croyants sont moins de la moitié à le penser). 
  • Cependant les répondants ne sont que la moitié à affirmer que le message et les valeurs du christianisme sont toujours d’actualité. De fait la moitié des répondants considèrent que les religions peuvent contribuer positivement aux grands débats de société (bioéthique, moralisation de l’économie, famille…).
  • Une opinion à mettre en cohérence avec les prises de parole du pape François, appréciées par 41 % des répondants (mais 64 % en 2016) alors que celles de Benoit XVI ne l’étaient que par 34 %. Les catholiques pratiquants n’ont pas décroché de leur opinion favorable envers François (76 % en 2016 et 72 % en 2021), ce qui n’est pas le cas des catholiques non-pratiquants (62 % puis 37 %), ces derniers ayant pour moitié du mal à se prononcer.

André Letowski

Pour lire l’étude IFOP :
https://www.ifop.com/publication/le-rapport-des-francais-a-la-religion/


« Sonder les reins et les cœurs »

Un sondage de l’IFOP qui vient de paraître fait depuis quelques jours figure de référence.
Il est cité partout (même par des évêques…) : 49 % des Français croient en Dieu, 5  % n’y croient pas. Le total fait bien 100 %, c’est statistiquement rassurant. Mais à y regarder de près, c’est sociologiquement douteux.

Pour deux raisons : d’abord dans les enquêtes il n’existe pas de sujets, qu’ils soient religieux, politiques, de vie quotidienne ou autres, sur lesquels tout le monde exprime une opinion. À lus forte raison sur un thème aussi personnel : face à une formulation aussi radicale il y a forcément eu des non-réponses, des « ne sait pas ». Cette absence ou cette incertitude de la réponse sont, sur un tel sujet, une réponse en soi. Combien sont-ils et où sont-ils passés ? Je soupçonne fort qu’ils ont été sortis du calcul, pratique courante dans les enquêtes de marketing. Sauf que là ce n’est pas du marketing…

Ensuite la question est binaire, comme si c’était une question à laquelle on pouvait répondre simplement par oui ou par non : les personnes interrogées n’ont eu le choix qu’entre être croyant ou être athée, et dans les deux cas sûres de leur choix. Pas de place pour les agnostiques, pas de place pour ceux qui doutent, pas de place pour ceux qui ne se posent pas la question. Cette simplification abusive n’est pas surprenante, elle fait écho à la radicalisation des positions sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux de télé : la nuance n’est pas tendance.

Pourtant il existe des enquêtes sérieuses qui permettent d’avoir une représentation plus approfondie de la foi en Dieu aujourd’hui[1]. Elles montrent en particulier que les réponses positives sur l’existence de Dieu se partagent en fait à peu près à égalité entre « c’est certain » et « c’est probable », et les réponses négatives entre « c’est peu probable »  et « c’est exclu ». Nous sommes loin de l’opposition radicale entre foi et athéisme. Ce qui domine en réalité aujourd’hui, entre les deux, c’est l’incertitude ou le probabilisme dans un sens ou dans l’autre.

Plus intéressant encore, sur longue durée il est possible d’observer deux phénomènes significatifs.

  • Le premier concerne la manière de croire : un déplacement de la foi au plausible. Si on analyse la croyance en l’existence de Dieu sur les quarante dernières années, la croyance avérée (« certaine ») baisse. Mais elle ne baisse pas tant au profit de son contraire (l’athéisme) qu’au profit de l’incertitude, avec la montée des réponses du type « c’est probable, c’est peu probable, je ne sais pas ». Bref d’un entre-deux loin des certitudes.
  • Le second concerne ce en quoi on croit : un déplacement du précis à l’imprécis. De quel Dieu parlent-ils ? On assiste au fil du temps, chez ceux qui disent croire en Dieu, à un déplacement de leur représentation. L’affirmation « il y a un Dieu personnel », qui correspond en fait à la conception chrétienne de la divinité, baisse sensiblement. Au profit de l’affirmation « il y a une sorte d’esprit, une force vitale », moins ancrée dans une théologie et plus ouverte à une approche intuitive et à des influences extérieures.

Finalement la bonne question serait « Dieu croit-il en l’homme ? ». Dieu ne faisant pas partie de l’échantillon (un échantillon d’une seule personne…) nous n’avons pas pu lui poser. Mais nous ne doutons pas de sa réponse.

Et puis la foi ne se réduit pas à la croyance.

« Si, par impossible, à mon lit de mort
il m‘était manifesté avec une évidence parfaite que je me suis trompé, qu’il n’y a pas de survie, que même il n’y a pas de Dieu, je ne regretterais pas de l’avoir cru ; je penserais même que je me serais honoré en le croyant, que si l’univers est quelque chose d’idiot et de méprisable,
c’est tant pis pour lui, que le tort n’est pas en moi, d’avoir pensé que Dieu est,
mais en Dieu, de n’être pas ».

père Auguste Valensin,  Autour de ma foi

Jean François Barbier-Bouvet


[1] Enquêtes périodiques ISSP/CNRS et enquêtes décennales sur les valeurs ESV/ARVAL

 

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André Letowski

Expert en entrepreneuriat, en tant qu’analyste et intervenant conseil, notamment auprès de petites entreprises, l’auteur s’est aussi investi dans le champ culturel (voyages, théâtre…), dans des associations à caractère religieux, s’interrogeant sur la façon concrète de vivre du Christ au sein de notre monde contemporain. Le recul apporté par la sociologie des organisations lui est précieuse pour aborder la question de la gouvernance et des pouvoirs.

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