Exit celui des Champs-Élysées, supprimé après une décision unanime du Conseil de Paris. Mais la France reste, loin derrière l’Allemagne, le deuxième pays au monde par le nombre de ses marchés de Noël. Un phénomène dont la fulgurante expansion, dans l’espace comme dans le temps, souligne aussi la marchandisation écrasante et rapide de la fête de Noël La chronique du 8 décembre 2017 d’Alain Cabantous
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Le-plus-grand-marché-de-Noël-de-France (sic) a été supprimé après une décision unanime du Conseil de Paris, confirmée par le Tribunal administratif ! En dépit des millions de visiteurs qui achetaient peu et des millions d’euros à la fois engrangés par la Ville et la société d’investissement, Loisirs Associés, les Champs-Élysées échapperont aux effluves de friture ou de paella. Finie cette foire où, à côté de la patinoire et de la grande roue, les bars à huîtres et à champagne, de nombreux restaurants s’étaient installés au milieu des centaines de cabanes, louées de 8 000 à 20 000 €, et où s’étalaient d’authentiques produits de l’artisanat russe made in China. On assistait depuis 2008 à une sorte de dévoiement du sens porté par les marchés de Noël.
C’est probablement au cours du XVe siècle que ces marchés ont peu à peu remplacé les grandes foires hivernales dans les villes de l’espace germanique (Nuremberg, Francfort, Strasbourg) et porté ce nom sous l’influence de la Réforme protestante. En effet, après 1570, les luthériens, notamment à Strasbourg, firent déplacer le temps de ce rassemblement de la saint Nicolas, fête honnie désormais, aux trois jours précédant Noël, désigné dorénavant sous le nom de Christkindlmark (le marché de l’Enfant Jésus). Peu à peu, alors que le marché se prolongea entre le 26 décembre et le 6 janvier, le choix des articles proposés ne se limita plus aux bonbons, gâteaux, fruits confits, jouets voire plus tardivement aux sapins, crèches et santons. On put y acquérir de la bimbeloterie, des brosses à dents, de petits meubles, des vêtements et ce en dépit des récriminations des commerçants du lieu qui, face à cette concurrence déloyale, dénonçaient la piètre qualité des objets vendus. Toutefois, le rayon d’attraction demeura local puisqu’en Alsace, par exemple, chaque ville importante (Colmar, Mulhouse, Obernai) pouvait proposer « son » marché.
Mais en France, jusqu’à la fin des années 1980, de pareilles manifestations restèrent circonscrites à l’est du pays et, en vivotant, semblaient ne concerner que les populations locales. C’est en 1990 que la ville de Strasbourg prit l’initiative de relancer cette animation en jouant sur l’authentique et sur la coutume et, dans un premier temps, fixa la durée du marché pendant toute la période de l’Avent. En 1992, pour soutenir son action, la capitale alsacienne s’autoproclama « Capitale de Noël » et le fit savoir haut et fort. Le succès fut immédiat. La recherche de cette « authenticité » hivernale et noëlique draina dès 1995 un million de personnes serpentant à travers 170 puis 200 chalets et même jusqu’à 300 au cours des années suivantes. En 2015, le nombre de visiteurs avait, lui, plus que doublé. Devant un phénomène de cette ampleur, la municipalité, soucieuse de traditions, veilla de plus en plus farouchement à la nature des produits proposés aux chalands. Exit les objets trop exotiques, les panini et les sex toys.
La belle réussite strasbourgeoise, exportée à Tokyo en 2010 puis à Moscou en 2011 sous le label « marché de Noël de Strasbourg », fit très vite des émules non seulement en Alsace mais dans de nombreuses autres villes de France. De Rennes à Châteauroux, de Rouen à Montpellier, les petites baraques blanches, d’une dizaine à une trentaine, fleurissent sur un mail, une avenue ou une place pour proposer des produits surtout locaux. Désormais, la France est devenue, loin derrière l’Allemagne, le deuxième pays au monde par le nombre de ses marchés de Noël ! Alléluia pour les affaires bien sûr grâce à des retombées économiques qui peuvent atteindre, comme à Strasbourg, quelques centaines de millions d’euros. Mais la fulgurante expansion du phénomène dans l’espace comme dans le temps souligne aussi la marchandisation écrasante et rapide de la fête de Noël et l’effacement non moins rapide de l’événement religieux. Comme l’écrivait François Mauriac dans son Bloc-notes du 24 décembre 1957 : les bouchons qui sauteraient « cette nuit en l’honneur d’un petit pauvre né en Galilée » illustraient « d’abord un malentendu qui résume toute l’histoire du christianisme. »
le 8 décembre 2017