« L’intérêt que nous portons au climat devrait s’inscrire dans la longue durée. Mais ce sont les scansions brèves de notre existence, le rythme quotidien de nos activités qui nous servent d’étalon impressionniste ». La chronique du 30 décembre 2014 d’Alain Cabantous
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021 lors de la fermeture du Centre Pastoral.
L’année 2014 ? La plus chaude depuis 1900 avec 1° 2 de plus que la normale annuelle et l’une des plus arrosées depuis 1959….. Mais où la durée d’ensoleillement a été de 20 % inférieure à la moyenne en Normandie et en Picardie, où juillet a été pourri un peu partout avec force inondations et chutes de grêle dans le sud-ouest, où l’on s’est baigné sans effort du côté de Saint-Malo lors du week-end de la Toussaint, où la température afficha (les) 15 à 17 degrés sur la Côte d’Azur en décembre. Puis, sans crier gare, deux jours après un Noël pluvieux et doux, la grosse pagaille dans les Alpes en raison de pluies verglaçantes et de chutes de neige… Un peu normal quand même en hiver, non ? Si l’on s’étonne de cette première offensive, c’est d’ailleurs moins à cause de la couverture nivale qui réjouit les hôteliers des stations qu’en raison de la désorganisation que ce brusque coup de froid a créée pour ceux-là mêmes qui partaient chercher la neige dont les gazettes déploraient l’absence avec force soupirs quelques jours auparavant ! Comprenne qui pourra. Si, en météorologie, une année ne représente qu’elle même, on sait pourtant depuis quelques décennies que la tendance lourde est au durable et inquiétant réchauffement climatique et aux excès en tous genres parfois imprévisibles de la part des éléments naturels. Et vu de sa fenêtre, de ses intérêts immédiats, de ses préoccupations propres, tout un chacun peut entonner l’antienne bien connue des conversations de comptoir : « y’a plus de saison » en questionnant amèrement ses souvenirs pour retrouver les vrais hivers vraiment froids et les vrais étés vraiment chauds, disparus eux aussi comme le respect, le service militaire, la morale ou la lampe à huile…
En fait, ces moments bien tranchés, cette succession tranquille et attendue ont-ils jamais existé pour signifier le retour régulier et normal des cycles et ainsi confirmer sans crainte que l’on était en janvier ou en septembre ? Les recherches sur le climat constituent une discipline assez neuve en histoire, et pour cause, mais suffisamment avancée pour nuancer les assertions rassurantes. Les mémoires des contemporains, les dates des vendanges, l’iconographie, les premières et nombreuses notations scientifiques du 18e siècle permettent par exemple de savoir que l’Europe occidentale a connu un « petit âge glaciaire » entre le 14e et le milieu du 19e siècle surtout caractérisé par des hivers longs, pluvieux et froids ou très froids. Parmi plusieurs exemples, aux Pays-Bas, entre 1551 et 1650, « 59 des 100 hivers l’ont été avec une couverture neigeuse de 30 cm ». Au cours de ce temps multiséculaire, quelques années sont particulièrement marquantes. En Bretagne, le grand hiver de 1608 se prolonge jusqu’en mai. À Paris, de décembre 1683 à février 1684 « on mesure une moyenne de -0,8° (contre 3,5° année commune) et cinquante-six jours de gel ». De semblables températures sont relevées en 1694. Mais le pire reste peut-être l’hiver 1708-1709 où non seulement le vin gelait dans les carafes du Grand roi et les pauvres mouraient dans leur lit mais où l’alcool du thermomètre du savant londonien William Derham devenait inutile, « ne pouvant plus grimper dans le tube gradué ». Et l’on pourrait poursuivre la litanie de la rigueur : 1740, 1795, 1799, 1845 puis, au-delà du petit âge glaciaire, 1870, 1879,1942, 1954 ou 1956. Mais tout autant pointer les années terriblement accablantes : 1846, 1895, 1899 ou 1911 où du 5 juillet au 20 septembre la température moyenne fut de 35° 6. Autant d’éléments qui soulignent que les tendances lourdes (refroidissement-réchauffement) n’excluent nullement des anomalies parfois répétitives.
L’intérêt que nous portons au climat devrait donc s’inscrire dans la longue durée si cela nous était possible. Mais ce sont les scansions brèves de notre existence, le rythme quotidien de nos activités et de nos projets qui nous servent d’étalon impressionniste. Pourtant, au-delà des références historiques, c’est bien désormais cette question du bouleversement écologique qui est devenue primordiale, urgente même pour la survie de la terre et du vivant. La prise de conscience des citoyens est réelle et parmi eux celle des chrétiens (avec, par exemple, le jeûne pour la planète). Celle des dirigeants et des décideurs économiques l’est beaucoup moins en dépit des résolutions a minima des conférences internationales… Et celle des consommateurs, que nous sommes (aussi), laisse singulièrement à désirer. Au train où nous allons, dans quelques siècles y aura-t-il encore une voix chagrine pour déplorer haut et fort dans un improbable bistrot ouvert à tous vents « qu’il n’y a plus de saison » ?
P.S. Les passages entre « » sont extraits du livre de François Walter, Hiver. Histoire d’une saison, Paris, Payot, 2013.
le 30 décembre 2014