La démarche synodale a franchi une étape importante en ce mois de juin 2022, dont on peut se réjouir. Déjà en mars et avril, le dépôt des contributions des paroisses et autres mouvements avait étonné par la clarté et la convergence d’un grand nombre d’entre elles, appelant une profonde réforme de l’Église. Celle de Saint-Merry Hors-les-Murs a été largement diffusée. Les diocèses ont ensuite produit chacun une synthèse, souvent de façon assez fidèle à la sensibilité qui s’était exprimée à la base et à l’importance des demandes. Puis début juin la Conférence des Évêques (CEF) a produit une « collecte » des synthèses diocésaines de 12 pages, constatant là encore de façon aussi honnête que possible les questions, les tensions et les aspirations que le chemin synodal a fait émerger.
La langue de bois n’a pas pris le dessus dans cette première phase française. Et surtout les catholiques semblent s’être pris au jeu de cette consultation avec le plus grand bonheur. Quand on voit en parallèle la démarche synodale allemande et celle de quelques autres pays dont les échos commencent à parvenir, on sent un vent nouveau souffler sur notre chère Église. François avait demandé de rêver en lançant le processus, serait-il en train de gagner son pari ?
Le pape avait demandé aux évêques de transmettre, en plus de la « collecte », un texte exprimant leur point de vue et les engageant. Pour débattre de ce texte, la CEF s’est réuni en formation élargie à des « invités » des diocèses, les 14 et 15 juin à Lyon. La première mouture était un pâle résumé contestable, et le texte a finalement été complètement réécrit dans la nuit[1]La Croix du 16 juin 2022. Il prend acte des perspectives et des espérances exprimées par les synthèses, notamment sur la question des femmes dans l’Église, sur le « décalage » des ministères par rapport aux attentes et sur la liturgie « lieu de tensions récurrentes et contradictoires ». Il se félicite du « dialogue constructif sans complaisance » qui s’ouvre dans le peuple de Dieu. Il souligne en revanche l’absence de certains sujets comme la vocation missionnaire de l’Église ou son engagement par rapport aux grands enjeux de société, comme l’écologie intégrale et la solidarité internationale.
Les mots ont un sens
Il s’en est donc fallu d’un cheveu que les évêques édulcorent la remontée des avis des baptisés, mais ce n’est finalement pas le cas. Cette première phase « territoriale » se présente au total comme une réussite, près de 10 % des pratiquants réguliers s’y sont impliqués. Bien sûr elle n’est pas exempte de faiblesses. Les jeunes générations se sont par exemple très peu exprimées. Le scepticisme de certains sur la capacité de l’Église à se réformer demeure. Des voix s’élèvent déjà pour estimer que ce synode est confisqué par la frange progressiste du catholicisme. Et la route est longue jusqu’à l’exhortation finale du pape qui conclura la démarche en 2024.
La montagne peut toujours accoucher d’une souris. Mais les mots ont un sens. Ils valent engagement de tout un chacun et disent pour le moins une ferme volonté d’avancer sur un chemin différent. Même si ces mots ne sont pas forcément neufs, rarement une parole aussi fondamentale s’est si vivement exprimée dans l’espace ecclésial. Certes, le temps de l’Église suit une autre échelle que celui des institutions ordinaires. Même si les constatations et les propositions de 2022 ont déjà pu être formulées dans le passé, elles s’accumulent dans l’agenda de l’Église qui devra bien finir par les traiter. Il faut se rendre compte que tout ce qui s’est exprimé ne pourra pas être tenu indéfiniment pour quantité négligeable, ou alors le risque de l’implosion [2]Voir Danièle Hervieu-Léger, Jean-Louis Schlegel, Vers l’implosion ? Seuil, 2022 finira par se concrétiser. Les attentes sont trop fortes pour que l’espérance s’éteigne sans laisser de traces. Après le poids des révélations du rapport de la CIASE, qu’elle y consente ou non, l’Église vit un second choc qui implique la révision du cléricalisme dans toutes ses dimensions systémiques. Va-t-elle aborder de front ce moment de vérité ?
Sortir de l’entre-soi
À Saint-Merry, tant dans la réflexion synodale que dans la formulation du projet communautaire renouvelé, nous avons mis en évidence le besoin de sortir de l’entre-soi. L’expression figure dans la synthèse parisienne, mais pas directement dans la collecte de la CEF. Toutefois, celle-ci insiste fortement sur la dimension de sortie des limites ecclésiales via le « service de la fraternité », la « culture de l’écoute et du dialogue » et la création de « tiers-lieux » d’accueil. Les thématiques de François auraient-elles fini par imprégner les esprits au point de devenir les nôtres ? Peut-être s’agit-il là d’un axe essentiel de la prise de conscience qu’est en train de vivre notre Église depuis trop longtemps centrée sur elle-même alors même que la société et l’époque l’ont extirpée de sa position centrale ?