Alors que le Musée d’art et d’Histoire à Luxembourg pose un acte de culture et de solidarité face à l’invasion de l’Ukraine en exposant « The Rape of Europe » de Maxim Kantor, on peut se souvenir de la dimension religieuse de l’œuvre de ce grand artiste d’origine russe, et notamment le tableau présenté en 2017 à Saint-Merry : Saint Luc peignant la vierge. La chronique de Jean Deuzèmes
The Rape of Europe : on Putin’s Russia (Works 1992-2022) est une exposition montée dans l’urgence après l’invasion de l’Ukraine (Lire Voir et Dire) et consacrée à Maxim Kantor, peintre et écrivain, dont elle entend traduire la vision politique et prophétique.
Mais dans l’exposition « De l’autre côté » présentée à Saint-Merry (9 avril – 19 mai 2017), l’artiste avait mis l’accent sur tout autre chose, la manière dont sa foi catholique, au sens très englobant, irrigue son art à la symbolique si complexe.
À cette occasion, il avait réalisé en quelques mois, jusqu’à l’épuisement, trois grands formats qui étaient autant d’interprétations personnelles de ce qu’est la Résurrection, de la place de l’artiste dans la peinture religieuse avec « Saint Luc peignant la Vierge et l’Enfant » et de la représentation symbolique comme héros de la foi et de la lutte contre les idéologies totalitaires, ici le poutinisme (lire Voir et Dire).
Saint Luc peignant la Vierge et l’Enfant, avec saint Augustin, saint Jean-le-Baptiste et saint Thomas d’Aquin
Patron des médecins, saint Luc est aussi patron des imagiers (peintres et sculpteurs). Aussi le peindre est devenu progressivement synonyme d’hymne à la peinture, notamment dans la tradition flamande.
Au lieu de la représentation classique de l’artiste peignant sur son chevalet une Vierge à l’Enfant, Maxim Kantor donne à voir une Pietà, non peinte, mais dessinée. Ce choix traduit trois dimensions permanentes dans sa manière de concevoir l’art.
- Il crée sur un mode figuratif, car il rejette ce qu’il rassemble sous le terme de post-modernité, c’est-à-dire ce qui relève des avant-gardes. Ses maîtres sont ceux qui expriment le sens moral, philosophique ou religieux d’une réalité, même prosaïque, qu’ils saisissent avec leur inspiration personnelle du moment, dans le cadre d’une symbolique accessible, même s’ils n’en donnent pas toutes les clefs à celui qui regarde.
- Alors que tout est peint par Maxim Kantor, lui en autoportrait dessine, parce que le dessin (disegno) est l’art suprême pour lui, c’est celui des artistes de la Renaissance auxquels il se rattache. Ce tableau blanc au sein de l’univers coloré est ainsi sa profession de foi esthétique.
- Le personnage ne peint pas la Vierge installée sur une estrade bleue, sous un dais bleu épousant la forme supérieure du tableau, une traduction humaine de l’élévation sur un trône céleste, mais une Pietà, à la manière de la prophétie[1] de Siméon (Lc, 2, 35). L’artiste est dans la tradition des prophètes.
Autour de lui, non des commanditaires, mais sa famille, sa femme, l’enfant n’ayant pas le visage de son fils par respect de la figure du Christ, son père (sous la figure de saint Augustin, l’homme qui cherche dans la lecture) et deux amis qu’il aime. Dans ce type de peinture codée, les peintres représentaient leur atelier, Maxim Kantor, lui, peint l’environnement de l’île de Ré dans laquelle il vit une partie de l’année (couleurs, arbres, végétation) et fait de ce milieu insulaire son atelier. Ici, l’artiste réalise plus qu’un autoportrait, ou un tableau de genre, il exprime la place centrale de Marie (et de sa femme) dans sa foi ; sa mère était orthodoxe et son père, formellement agnostique, mais secrètement croyant. En plaçant ce dernier à la droite de Marie, toujours dans la figure du lecteur, il l’installe dans la communauté des croyants.
[1] « Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Merci Michel ! oui, Maxim Kantor nous a beaucoup appris. Je me rappelle cette très belle interview où il nous a fait part avec simplicité de sa foi et son art. C’est rare qu’un artiste se livre ainsi pour s’expliquer…
Merci à Jean Deuzèmes pour cette amorce de lecture qui peut être l’amorce d’un échange plus large, simple et sincère avec ceux et celles que ces dessins tranchants et ces couleurs qu’ils jugeront “acides” tiennent éloignés de la possibilité d’une enrichissante méditation . Appel à eux pour qu’ils se manifestent!