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Paul, enfant terrible du christianisme 2

À Corinthe, Paul veut proclamer avec force la présence du Christ en chacun ainsi que son incarnation dans l’amour. Cet hymne splendide ne résume pas un programme d’actions. Encore moins des directives morales. Plutôt une invitation à accueillir la radicalité de la présence de l’Esprit. Un second épisode sur Paul de Tarse à partir du livre de Daniel Marguerat, par Guy Aurenche.

Quand François encourage Paul

En partance pour Corinthe, notre « enfant terrible du christianisme » eut été heureux de lire le message que le pape François a envoyé (juillet 2023) au nouveau préfet pour la doctrine de la foi, organe réputé pour son obsession à condamner les déviances théologiques. « Il est bon que votre tâche exprime que l’Église encourage le charisme des théologiens… À condition qu’ils ne se contentent pas d’une théologie de bureau, d’une logique froide et dure qui cherche à tout dominer ». François confirme son attachement à « une pensée capable de présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne et qui sauve ». Cela pourrait inspirer notre voyageur vers Corinthe ainsi que nos démarches d’aujourd’hui.


Une Église à la maison

En 52, Paul rejoignit Corinthe, capitale régionale, grand marché religieux. Il s’employa à créer une communauté en rupture avec un certain laxisme moral. Ces chrétiens faisaient Église à la maison. « Ce choix de la maisonnée relève de la stratégie missionnaire de l’apôtre… Paul en fait la cellule souche de l’évangélisation », précise Daniel Marguerat. Une piste pour la réforme de l’Église ? Hélas, cette dispersion favorisait les divisions. Dans la première Lettre aux Corinthiens, écrite vers 54, l’auteur dut répondre aux questions vitales que se posait cette communauté, traversée par des courants contradictoires. Il réaffirma la liberté première de chaque personne, tout en précisant que « Tout est permis mais … tout ne sert pas à bâtir » (1 Co 6,12). Affirmation précieuse pour construire une Église où « le cercle des baptisés est la demeure de Dieu ». Lors de l’eucharistie, le repas du Seigneur, chacun doit être attendu et accueilli, quel que soit son rang dans la société. Une démocratie ? Certains rôles se précisent déjà dans cette communauté naissante. L’esprit hiérarchique prendra rapidement le dessus.

La croix, scandale et folie de Dieu

Rembrandt, Apôtre Paul, 1657

Le Dieu que révèle Jésus-Christ est là où on ne l’attend pas. C’est une aberration de regarder un crucifié.
À travers son « renversement » Paul a éprouvé, en lui-même, la faiblesse radicale de Dieu. En totale contradiction avec la sagesse grecque et toute démarche religieuse où l’homme prétend savoir localiser Dieu et les signes de sa force. « Le Dieu de Paul est un Dieu d’une totale surprenance… Paul a consenti à l’effondrement de ses certitudes pharisiennes pour devenir l’apôtre faible ». Non par modestie, mais parce qu’il éprouvait la sagesse de Dieu dans cette impuissance. « Seule la déconstruction de l’imaginaire religieux permet d’accueillir la sidérante nouvelle d’un Dieu présent dans l’extrême de la faiblesse » (Daniel Marguerat). Faiblesse donc acceptation passive ? Paul de Tarse en tire une conclusion, problématique à nos mentalités modernes : que chacun demeure dans la condition où « il se trouvait ». (1 Co 7, 17–24). Affirmation utilisée pour entériner les injustices sociales au nom d’un prétendu conservatisme socio-politique paulinien.


Les corinthiennes posent le voile

Notre prêcheur trublion fut souvent utilisé pour justifier une injustifiable misogynie. La question du voile le mit dans l’embarras. Les femmes, fussent-elles chrétiennes, portaient le voile. Certaines décidèrent de prier sans voile. Paul sembla gêné et commença par rappeler qu’en priant « la tête non couverte, la femme déshonore sa tête ». Un point de vue patriarcal partagé dans toute la société (1 Co 11, 2–10). Il voulait éviter tout désordre dans les communautés nouvelles déjà mal vues. Ne pas transformer cette réaction impulsive, compréhensible dans le contexte, en un principe théologique universel affirmant l’infériorité féminine.
D’ailleurs Paul dépassait ce positionnement en affirmant juste après : « Comme la femme vient de l’homme, ainsi l’homme vient par la femme, et tout vient de Dieu » (1 Co 11,11-12). Dans la pratique, ces communautés étaient « inclusives », une grande nouveauté pour l’époque, perpétuant « l’attitude pionnière de Jésus en la matière ».
L’apôtre fut-il victime « d’une sur réaction face aux avancées perturbantes des chrétiennes  de Corinthe ? » Accordons-lui le bénéfice du doute ou reconnaissons-lui le droit à l’erreur.

La mort de la mort

L’enfant terrible du christianisme consacra le chapitre 15 de sa Lettre aux corinthiens à la résurrection, à la lumière du message de la croix. Il argumentait toujours avec la même passion, rappelant que le message de la mort–résurrection du Christ constitue le socle du christianisme. « Nier la résurrection va jusqu’à la négation de Dieu lui-même, car c’est mettre en doute son pouvoir de créer la vie au-delà de la mort ». Et la résurrection de Jésus est la garantie de la résurrection de tous les croyants. Ce qui, ajoute Daniel Marguerat, « devait paraître aussi bizarre à un esprit grec qu’à la culture sécularisée du XXIe siècle ». Pour Paul, pas de doute, la résurrection des morts est bien le signe de ce que l’esprit habite tous les humains. L’espérance de la résurrection est la mort de la mort.

Andreï Roublev, Icone de saint Paul, vers 1407,
galerie Tretiakov, Moscou

Si je n’ai pas l’amour

Paul n’oublie pas les réalités chaotiques de la communauté de Corinthe. Ce groupe ne fut pas toujours à la hauteur de ses espérances. Il parlera même de « brocanteurs de Dieu » (2 Co 2–17). Paul ne négociait pas avec ses adversaires. Son discours fut souvent tranchant. Aussi sera-t-il récupéré par ceux qui, au long de l’histoire de l’Église, ne supportent pas les différences et encore moins les déviances.
L’apôtre veut proclamer avec force la présence du Christ en chacun ainsi que son incarnation dans l’amour (1 Co 13, 1 et s.). Cet hymne splendide ne résume pas un programme d’actions. Encore moins des directives morales. Plutôt une invitation à accueillir la radicalité de la présence de l’Esprit. « Aujourd’hui, il y a la confiance, l’espoir et l’amour, mais de ces trois, le plus grave, c’est l’amour ». De la parole aux actes, Paul fit l’expérience de la difficulté à relever ce défi.

Le prochain épisode commence mal : « Galates stupides ! Qui vous a envoûtés ? ».
Ce troisième épisode est à lire ICI

Voyages_Paul-1
Voyages de Paul : Après Corinthe, la Galatie

Si vous n’avez pas lu le premier épisode, vous pouvez le lire ICI

Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

  1. Jacques Clavier says:

    Le chercheur de Dieu qui élabore une théorie (ou une vision) n’est un « vrai » chercheur de Dieu que s’il est convaincu que celle-ci doit être critiquée, qu’elle le sera et qu’une autre théorie la supplantera dans l’avenir afin de « présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne et qui sauve ».

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