Ce troisième épisode sur Paul de Tarse à partir du livre de Daniel Marguerat, nous fait redécouvrir, à partir de la Lettre aux Galates, la primauté du don gratuit de la Promesse sur la Loi. Occasion, aussi, d’apprécier à sa juste valeur l’invention paulinienne du principe d’universalisme : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme : car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Ga 3, 26 et s.). Par Guy Aurenche
« Mettez de la pagaille ! »
« Je veux de la pagaille dans les diocèses ! », conseillait à la jeunesse du monde le pape François peu après son élection en 2013. Les Galates ont-ils suivi par anticipation cette recommandation pontificale pour mériter une telle admonestation de la part de Paul ? Comme d’habitude, il n’y va pas par quatre chemins en ajoutant, à destination des nouveaux convertis qui revenaient à la circoncision, qu’ils feraient « mieux de se mutiler pour de bon (se castrer) » (Ga 5,12). Quel humour dépité devant l’infidélité de « ses enfants » ! On imagine la colère de Moïse, revenant de sa rencontre avec le Seigneur sur la montagne sainte, brisant les Tables devant la sottise idolâtre de son peuple.
La question n’est pas d’abord celle de l’ordre ou du désordre mais celle de la fidélité aux exigences évangéliques. L’apôtre avait évangélisé les Galates, peuple d’origine gauloise (près des Pyrénées) vers 49/50, lorsqu’ils résidaient près d’Ankara (en Turquie) ; peu après le demi-échec du concile de Jérusalem, ces nouveaux chrétiens avaient rapidement adopté un « autre Évangile » : retour aux rites, à des pratiques judaïsantes codifiées par la Loi et ses succédanées. C’est plus simple et vraiment identitaire. Au moins, on sait ce qu’il faut faire pour plaire à ce Dieu-comptable que les hommes se fabriquent facilement. Ces pratiques religieuses, imposées à tous, permettent au groupe de se distinguer des autres entités « impures ». Étonnante similitude avec certaines propositions intégristes modernes qui transforment le christianisme en une « contre-culture » pure, codifiée, vouant la modernité aux enfers.
La foi contre la Loi ?
Nous retrouvons le combat que mène notre trublion depuis son « renversement ». L’amplitude de sa colère n’a d’égal que l’intensité du feu qui le consume. Alors, comme d’habitude, Paul radicalise, généralise ses propos afin de faire jaillir la primauté de l’action de Dieu dans la démarche chrétienne. « Paul va bétonner cette exclusivité de la foi ». Se souvenant de la primauté de l’alliance gratuitement conclue par Dieu avec Abraham, puis du don de la Loi fait à Moïse, le prédicateur Tarsiote veut marquer la priorité théologique de la promesse sur la Loi. Non pour mépriser celle-ci, mais pour en faire un outil pédagogique qui vient en second. Notre « renversé » sur le chemin de Damas tente de le démontrer : la croix révèle la faillite du programme de performances proposé par la Loi. En effet, celle-ci déclare « maudit » celui qui est crucifié. Elle ne conduit donc pas à reconnaître en Christ, mort sur la croix et ressuscité des morts, le fils aimé du Père. « Une fois encore, Paul joue avec la fierté d’Israël d’avoir reçu, avec la Torah, une barrière, une clôture protégeant la pureté du peuple saint ; ici la clôture devient prison… L’homme de Tarse frôle l’abîme » (D. Marguerat). La grâce reçue et accueillie, permet seule de reconnaître en Christ, le fils de Dieu. Nous sommes loin d’un simple conflit identitaire ou d’un rejet formel de la Loi à laquelle Paul s’était soumis volontairement. Il dénonce une erreur qui, hier comme aujourd’hui, fait oublier que la Bonne nouvelle, pleinement accueillie en nous, est don inconditionnel de la grâce de Dieu. « Accepter d’être accepté par Dieu, en dépit du fait que l’on se sente inacceptable ».
Le cadeau d’une fraternité universelle
Dans sa lettre aux Galates, Paul propose l’essentiel d’un message dont les conséquences sont immenses pour la vie de chacun comme pour celle du monde.
« Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ … Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme : car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Ga 3, 26 et s.).
On a parlé de l’invention paulinienne du principe d’universalisme. « La filiation divine octroyée par le baptême réduit à néant tout exclusivisme fondé sur l’origine, qu’il soit ethnique, social ou sexuel ». (Marguerat).
En conséquence, l’individu ne devrait pas être discriminé en fonction de ses mérites ou non-mérites, de ses performances morales ou réglementaires. C’est bien le don, la grâce de Dieu, reçue et accueillie qui « justifie » l’être humain aux yeux de Dieu. Je n’aborderai pas ici la querelle de la « seule justification par la grâce » à laquelle on a souvent résumé la réforme protestante. Cependant Paul nous rappelle un point fondamental, à creuser sans cesse. « Nous avons cru en Jésus-Christ, afin d’être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la Loi, car par les œuvres de la Loi personne ne sera justifié (Ga 2, 15-16). Ce qui importe ce n’est pas la circoncision ou l’incirconcision, mais la nouvelle création (Ga 6,15) ». Daniel Marguerat ajoute, en parlant des pratiquants de la Loi : « Ils vivent de la Loi. Or on ne vit pas de la Loi, on vit de la foi ».
Le malentendu vient de ce que l’on a souvent conclu de ce principe que la responsabilité de l’homme était totalement gommée et que celui-ci ou certains d’entre eux étaient prédestinés. Il n’en est rien puisque, d’une part, l’apôtre souligne la responsabilité de chacun dans l’accueil de la grâce. Cela donne toute son importance à la démarche d’adhésion personnelle et à l’action d’annonce de la Bonne nouvelle de cette grâce. Le travail « missionnaire » ne relève pas d’un désir de faire du chiffre ni d’un projet de prosélytisme totalitaire déplacé. Mais bien de la fécondité irrésistible de la joie de partager à tous cette fraternité offerte.
D’autre part, les gestes fraternels, qui en découlent nécessairement, ne tiennent pas à une obligation réglementaire, ni au seul esprit de gentillesse. Puisque je « participe » pleinement de cette fraternité comment ne pas désirer qu’elle s’incarne peu à peu, tant dans mon discernement personnel que dans ma participation à la transformation du monde ? « Ce n’est plus moi qui vit. C’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Quelle audace et quelle perspective, dans la pleine confiance !
Paul aux JMJ de Lisbonne
Ni paresse, ni inaction. Nous voici invités à accepter la logique du don d’amour et sa présence vivifiante dans nos vies pour construire notre positionnement vis-à-vis du monde. « Tous vous n’êtes qu’un en Christ (Ga 3,26) ».
« Paul passe d’une identité fermée à une identité ouverte. C’est ainsi que l’Église est convoquée à réaliser une fraternité, une sororité, à l’encontre de tout ce qui sépare ou discrimine » (Marguerat). Paul répète que croire, c’est faire, c’est agir en frères-sœurs. « Par l’amour mettez-vous au service les uns des autres (Ga 5,13b) ». Paul lançait cet appel aux galates qui se divisaient en factions distinctes.
Il me semble que, 2.000 ans après, c’est bien cet appel à vivre la communion, dans la diversité et la synodalité, qui a caractérisé le message du pape François lors des JMJ de Lisbonne (août 2023) : « Tous, tous, tous, c’est l’Église de tous ; Il y a de la place pour tous ! ». Sans oublier le refus, très paulinien, de séparer l’individu et ses doutes personnels, de son inscription dans l’humanité entière. Utilisant son style propre, François a lancé aux jeunes (et aux autres) une double invitation, comme le fit Paul à l’intention de ses galates récalcitrants ou dubitatifs.
« Tant de fois dans la vie, nous perdons du temps à nous demander, qui suis-je en fait ? Demande-toi plutôt, pour qui suis-je ? ». Dieu « a voulu que tu sois aussi pour les autres et il a mis en toi beaucoup de qualités … qui ne sont pas pour toi, mais pour les autres … Votre vision des choses, votre courage, vos rêves et vos idéaux abattent les murs de l’immobilisme et ouvrent des voies qui nous conduisent vers un monde meilleur, plus juste, moins cruel et plus humain (Pape François aux JMJ 2023) ».
Cette invitation à l’engagement dans la société prend racine dans l’universalisme proclamé par Paul de Tarse : à chacun, il revient d’agir, comme il le peut, pour toute la société ; non pas seulement en raison d’une charité active et performante mais à cause, ou plutôt grâce à notre filiation commune en l’amour de Dieu.
Oubliant la colère instructive envers les Galates, nos frères dans le doute et la division, Paul nous donne maintenant rendez-vous avec des Romains raisonnables, … mais pas toujours.
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