La démocratie serait-elle muselée par la défaillance de notre vigilance collective ?
Qu’en est-il de la responsabilité des peuples ? La coconstruction de notre société ne participe-t-elle pas de la démarche synodale ?
Le conflit Israël-Gaza, conséquence inévitable des démocraties défaillantes ?
En ce temps de guerre Israël-Hamas, de multiples prises de position, des publications nombreuses dans les médias de tout type expriment l’émotion, le refus du terrorisme et la mise à mal inacceptable des populations civiles.
Les peuples d’Israël et de Palestine ne seraient-ils pas pour partie responsables de cette situation ? L’élection démocratique, à la fois de B. Netanyahu via son parti le Likoud et celle du Hamas en Palestine, sont le fait de leurs électeurs majoritaires. Certes le Likoud, pour diriger le pays, a fait appel aux partis religieux ultraorthodoxes, et le Hamas politique est lié inévitablement au Hamas militaire, situations que la totalité des électeurs du Likoud et du Hamas n’ont pas forcément souhaitées. Mais la délégation de responsabilité les conduit à entériner cet état de fait, disposant toutefois de modalités de «correction» pour tenter de modifier la situation. Difficile à mettre en œuvre, quand le gouvernement actuel d’Israël tente de rendre inefficace la Cour Suprême (un très grand nombre d’Israéliens s’y oppose toutefois), et que le Hamas utilise le vécu plus que difficile des Palestiniens et l’appropriation continue de leurs terres, conforté en sus par l’apparente inefficacité du Fatah. De part et d’autre, une fraction de ces populations refuse ces états de fait, sans que leur influence soit pour le moment décisive. Qui plus est, l’urgence de la situation complexifie la possibilité de faire changer les lignes, alors que le laisser faire des acteurs locaux et internationaux, impliqués depuis bien des années, a conduit aussi à cette détérioration inévitable.
La responsabilité collective des peuples
Mais n’oublie-t-on pas cependant trop souvent la part de responsabilité collective des peuples, qui votent et conduisent au pouvoir des dirigeants qui s’inscrivent dans des modalités autocratiques, et négligent leur responsabilité collective ? N’est-ce pas aussi le cas en Russie, en Iran, en Turquie, au Soudan et dans de multiples autres pays où le détenteur du pouvoir central, élu démocratiquement, cadenasse ensuite les oppositions politiques et humanistes, parce que le peuple ne s’y est pas opposé au préalable ? Cela conduit à ce que ces populations soient alors privées de démocratie. Dramatiquement, trop souvent les religions ou plutôt limitativement leur manipulation, dans ce que je perçois comme une dérive, encouragent, voire sacralisent, ces prises de position et les actes qui en découlent.
La responsabilité du collectif qu’est le peuple, atténuée parce que dépassée, est pourtant un fait. Cette responsabilité collective absente, ne l’est-elle pas tout autant dans les pays épargnés par ces types de conflit, y compris dans le nôtre ?
L’importance d’établir et de consolider des contre-pouvoirs n’est-elle pas une barrière de sécurité à laquelle il faut rigoureusement veiller, parce que lieu d’interrogation et de possible discernement face à la non-connaissance des enjeux, face à l’émotionnel et au risque sécuritaire largement exploités par tout pouvoir qui veut rester en place ? D’autant que dans certains pays, les élections sont truquées ou manipulées pour assurer un succès de façade, qui assurerait leur légitimité.
Ne resterait-il alors que des soulèvements populaires pour reprendre les choses en main ? Mais il est plus que difficile de prendre en compte les explosions de colère, partagées par de vastes foules, ancrées dans ce qui peut paraitre irrationnel, émotionnel, mais est souvent une tentative d’exprimer par la force ce qui n’a pas été entendu.
La démocratie, non seulement garante de la libre expression, mais surtout lieu du « construire ensemble »
Face à ces situations, ne faut-il pas réinterroger le concept de démocratie ? Trop souvent celui-ci se résume à la possibilité d’exprimer ses opinions, d’avoir le droit à la parole (une étape d’importance), et trop peu au fait de construire ensemble, puis de respecter les règles du jeu définies en commun pour vivre au mieux en société. A défaut, le concept de démocratie n’est-il pas alors vidé de sa force participative et inventive, au profit du combat qui a pour objet d’imposer ses idées ?
Ne devrait-il pas se traduire par l’expression la plus claire possible des pensées des électeurs, l’écoute des analyses et propositions des uns et des autres ? Pour définir et décider ensemble ce que nous voulons faire, ne sommes-nous pas conduit à abdiquer partie de nos propres demandes au profit du bien commun ? Voilà qui exige un discernement collectif, au risque de positionner en retrait des intuitions fortes et pertinentes qu’il ne faudrait pas abandonner, pour y avoir recours ultérieurement, tout en refusant les oppositions stériles.
Construire une dynamique locale fondée sur la démocratie
Cette construction, si difficile à élaborer au niveau d’un pays, ne doit-elle pas d’abord être vécue et consolidée dans le quotidien au sein de collectifs locaux modestes ? Où l’on érige des modalités de contre-pouvoir, avec pour règle le fait de mieux discerner la route à suivre au profit de la collectivité. Où l’on veille à ce qu’au-delà de l’écoute, on décide ensemble, à la lumière de nos diversités, notre feuille de route, souvent remise en cause face aux évènements. Où chacun accepte de dépasser son opinion, trop souvent une expression gratuite qui n’engage pas, voire le fait d’une vérité que l’on croit intangible, au profit d’engagements communs. L’exigence d’un vivre ensemble, c’est souvent le fait d’une participation difficile, pour laquelle il faut souvent s’accrocher.
Toutefois, beaucoup ne souhaitent pas s’impliquer, soit par refus quelque fois tripal, voire idéologique du collectif, soit par difficulté à mesurer les enjeux, soit du fait de la difficulté à imaginer quoi faire, voire de son impuissance à faire. Que faire pour les mobiliser ?
Faute de pouvoir changer rapidement les choses au niveau global du pays, l’exercice de la démocratie au sens d’une construction commune, à un modeste niveau local, n’est-elle pas alors un petit ruisseau qui participe à l’écoulement du fleuve et à son amplitude, alimentée par une multiplicité d’autres ruisseaux ?
Construire collectivement notre société, un appel pour tout humaniste, une exigence pour un disciple du Christ ?
Ceux qui croient en notre humanité, les croyants au Dieu de la Bible et en Jésus-Christ, sources de leur implication, ne sont-ils pas appelés à être des militants de la démocratie, des faiseurs de société ?
Les chrétiens ne sont-ils pas sollicités pour s’approprier le long chemin de discernement vécu par les Hébreux, bien plus impliqués comme peuple, dont le ciment est Yahvé, que nous ne le sommes aujourd’hui dans une approche plus tournée vers la responsabilité individuelle – une conquête bien sur essentielle ? Cette insistance a pu toutefois dégénérer en individualisme, (« mon petit salut à moi » pour caricaturer), oubliant la dynamique collective que nous avons responsabilité de faire exister. Quand nous célébrons, c’est, me semble-t-il, une communauté dans la diversité de ses membres qui exprime sa foi en Jésus-Christ, et non d’abord des individus qui rendent hommage à leur Dieu et Seigneur, en tant que fidèles.
Notre pape François ne cesse de nous rappeler la responsabilité de nos communautés d’Église, et celles des communautés humaines, pour agir face aux problèmes de notre société – écologie, immigration… Il nous invite à risquer la démarche synodale, associant idéalement toutes les composantes du peuple de Dieu, à s’écouter pour découvrir d’autres façon d’être, et de croire en Jésus-Christ, pour faire route ensemble sur un chemin que nous inventons au fil des jours.
Nous laisserons-nous museler par les pouvoirs autoritaires quels qu’ils soient – politiques, ecclésiaux, au sein des entreprises et organisations auxquels nous appartenons… -, au risque de voir confisquer la vie de nos collectifs pour le seul profit de ceux qui adhérent à ces pouvoirs autoritaires ? Oserons-nous nous investir plus encore afin que notre vigilance collective ne fasse pas défaut ? Beaucoup le font ; mais il nous faut être plus nombreux encore. Ne faudrait-il pas rendre ces dynamiques collectives plus visibles ?