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L’Évangile n’est pas une parole du passé

L’Évangile n’est pas une parole du passé, à laquelle on pourrait se contenter de se référer comme à un écrit que l’on commente. C’est une parole donnée à tous aujourd’hui, vivante, inspiratrice et fécondante,
qui nous amène à créer à notre tour des mises en œuvre, des paraboles en actes, qui l’expriment et l’actualisent.

L’Évangile est vivant à travers ces moments d’Évangile suscités par les actes inventifs de ceux qui s’en réclament. Il est vivant dans les bonnes nouvelles en acte de nos rencontres, de nos combats. Il est vivant dans les moments de bonheur, d’espérance et d’amour partagés qui ouvrent pour les autres et pour nous un avenir différent. 
L’Évangile est sans cesse à réinventer et à recréer ! Il n’est pas derrière nous, il est devant nous !
Nous sommes encore aujourd’hui au cœur de l’Évangile ; avec les mêmes enjeux, les mêmes questions, les mêmes interrogations, les mêmes incertitudes que celles auxquelles les apôtres se sont trouvés confrontés. 
C’est un terreau, une matière vivante dans laquelle, si nous y sommes bien plantés, bien enracinés, nous allons pouvoir faire pousser des fleurs et des fruits d’Évangile, pour réconforter et nourrir le monde. Ce terreau est donné à tous les hommes, et non à quelques-uns à qui il appartiendrait plus ou moins. C’est un bien commun donné à toute l’humanité. Il est fait pour être partagé, mais aussi labouré et fécondé lors des échanges où le savoir des uns, les intuitions des autres et l’expérience de chacun viennent alimenter la création commune. 

Photo Johannes Plenio Sur Pexels
Photo Johannes Plenio sur Pexels

La bonne nouvelle, une aventure

J’ai souvent le sentiment que la vie nous confronte exactement aux mêmes enjeux que ceux auxquels Jésus et les Douze se sont trouvés confrontés. Nous ne sommes pas « après l’Évangile », mais nous sommes « en plein dans l’Évangile ». Ou plutôt, comme l’écrit Joseph Moingt : 

« C’est l’Évangile, la bonne nouvelle qui est toujours actuelle, 
lorsqu’elle nous dit que la vie triomphe de la mort, 
qu’il faut se confier à son incessant renouvellement par Dieu.
 » 

Pour les apôtres, cette bonne nouvelle, liée au souffle de la résurrection, a été : « Un choc, une aventure toute neuve, … qui les propulsait sur les routes du monde de la même façon qu’elle les avait jadis arrachés à leur famille et à leurs métiers, (une aventure) qui retournait leur passé en avenir en les chargeant de la mission dont Jésus se déchargeait sur eux. Il en est de même pour nous si la résurrection ne demeure pas dans notre esprit à l’état de croyance mais devient engagement de la vie ». (Croire au Dieu qui vient I, p. 286)

Car croire à la résurrection, accueillir son souffle et la mettre en œuvre, c’est renoncer « à la puissance des preuves et des démonstrations comme au prestige des signes charismatiques » et, comme le dit Paul, avec le langage de la croix, « tout de faiblesse et de folie, affronter un monde brutal, qui ne prise rien tant que la force et les armes ». (ib. p. 287)

Etude Du Christ Prêchant Et Esquisse D'une Autre Figure
Anonyme italien XVIIe s., Étude du Christ prêchant,
Musée du Louvre

Car « ce que Dieu veut sauver, c’est toute sa création,
de même que Jésus est mort “pour tous les hommes”, c’est sa création comme totalité, en forme de totalité unifiée par l’amour qu’il lui porte, … » et, en chacun « c’est notre personnalité agencée au tout, articulée à d’autres personnalités en vue de la construction d’ensemble, c’est ce qui se joint à d’autres pour faire corps avec eux, exister en relation à d’autres et au tout… C’est ce que nous donnons, à fonds perdu, de notre être aux autres, pour les aider à être, et aussi ce que nous acceptons de partager de leur être propre et que nous mettons en commun… » 
« En d’autres termes encore », ce qui est concerné et soutenu par le souffle de la résurrection, « c’est l’histoire personnelle vécue dans une visée d’infini, d’universalisable, et construite par un effort commun,
en forme d’histoire humaine totale, en devenir d’humanisation ». (ib. p. 294)
   

L’espérance de Navalny

Lorsqu’en 2021 Alexeï Navalny, après son empoisonnement en Sibérie, son traitement et sa convalescence en Allemagne, a choisi de retourner à Moscou, comment ne pas faire le rapprochement avec ce passage de l’Évangile de Jean (11, 7-8) :
     « Jésus dit aux disciples : “Revenons en Judée”. 
     Les disciples lui dirent :
     « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? ». 
     Jésus ajoute cette phrase mystérieuse : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ?
     Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ».
     Les apôtres font tout pour dissuader Jésus d’y retourner, mais lui, « le visage déterminé,
     prend la route de Jérusalem ». (Luc 9, 51)

Alexey Navalny 20 Feb 2021 By Evgeny Feldman
Alexeï Navalny, 20 février 2021, par Evgeny Feldman

Quelle foi soutenait Navalny, quelle conviction profonde ? Il ne s’est pas souvent expliqué là-dessus, préférant souligner que « on ne défend pas une cause de l’extérieur, mais de l’intérieur. » Mais il avait déclaré, face à ses juges, lors de son procès en 2021 : 
« Le fait est que je suis un homme de foi. […]
La plupart des gens sont athées, et j’étais moi-même assez militant. Mais maintenant je suis une personne de foi, et cela m’aide beaucoup …
Je ne connais pas ma religion aussi bien que je le voudrais, mais j’y travaille. » 
Navalny avait cité l’évangéliste Matthieu : « Heureux ceux qui ont faim et soif
de la justice, car ils seront rassasiés ». (Mt 5, 6)

Et il avait ajouté : « J’ai toujours pensé que ce commandement particulier était plus ou moins une instruction d’activité. Ainsi, même si je n’apprécie pas vraiment l’endroit où je me trouve (la prison), je ne regrette pas d’être revenu en Russie, ni ce que je fais. Tout va bien, parce que j’ai fait ce qu’il fallait » (cité dans Challenges, 15-25 mars 2024). « Pour Navalny », ajoute l’auteur de l’article, « face au mal qui est partout, c’est l’expérience personnelle, physique, intime, de communion avec la passion du Christ qui fourbit force et armes contre cet empire du mal. » 
Avec une espérance folle, il proclamait, dans un appel au peuple russe en 2022 « La Russie sera heureuse ! ». Sa mort, en mars 2024, est là pour nous rappeler combien l’espérance est fragile et insondable la capacité de nuisance des hommes. Face au mystère du mal, si l’espérance est, comme le disait Bernanos, « un risque à courir », elle est indissociable du risque de perdre sa vie. 

Dans nos pays qui, depuis plus de soixante-dix ans, se sont habitués à la paix, la plupart ont oublié de quel prix cette paix a été payée et quel a été le coût des réconciliations qui en ont été la source.
On oublie les risques encourus, sans lesquels il n’y a pas d’espérance véritable.
On oublie ceux qui ont payé de leur vie leur combat pour la justice, leur engagement évangélique et leur ténacité. Y compris ceux que nous avons rencontrés et soutenus, en Amérique Latine et ailleurs.

Oui, nous ne vivons pas « après l’Évangile »,

il est d’aujourd’hui et nous en sommes les contemporains. 

J-C. thomas
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Jean-Claude Thomas

Co-fondateur du Centre Pastoral Halles-Beaubourg, avec Xavier de Chalendar, de 1975 à 1983.
Président de l'Arc en Ciel depuis 2003, il a invité fréquemment Joseph Moingt et a animé avec lui plusieurs sessions, de 2006 à 2013.

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