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Maxim Kantor. « Les Trois Marie ». Se tenir debout devant le tombeau vide ?

Toujours d’actualité. L’œuvre centrale de la chapelle de la Résurrection à Luxembourg, complexe et puissante, offre à nos regards l’interprétation visuelle de la Résurrection par cet humaniste chrétien qu’est Maxim Kantor.
La chronique de Jean Deuzèmes

Cet article publié le 21 mars 2023 traduit une interprétation visuelle de l’Évangile de Marc, lu cette année pour Pâques 2024. Il permet d’accompagner la semaine.

Un retable

Le tableau Les Trois Marie de grand format (3 x 3,3 m) occupe la partie centrale d’un ensemble de 14 tableaux réalisés en 2021, tel un immense retable sur les murs de la chapelle de la Résurrection, nom donné par l’artiste à la chapelle contemporaine de la Luxembourg School of Religion & Society (LSRS). Il est au cœur d’un dispositif artistique et scénographique conçu à partir de récits et de figures bibliques.

Maxim Kantor. Ensemble des tableaux composant le retable

En assemblant des éléments symboliques, connus ou construits par lui, l’artiste produit une complexité d’autant plus intrigante, qu’il n’y a pas de cartel : c’est sa manière spécifique d’interpréter les Textes. Comme toute son œuvre est une vaste réflexion sur l’Histoire, le pouvoir, la culture et la foi, le spectateur se trouve plongé dans l’univers d’un « expressionniste existentiel », il est invité à interpréter à son tour. Rendre vivants les Textes, c’est les interpréter ensemble et sans cesse. Maxim Kantor le fait avec son pinceau, dans les couleurs et les détails, et affirme ici : « Nous sommes tous debout, tous les jours devant le tombeau vide. » (Propos tenus lors de conférence du 16 mars)

Un tableau

Au centre, le tombeau vide, auquel sont confrontées les trois Marie, peintes aux visages de ses proches ; on reconnaît notamment la femme de l’artiste debout au centre, une autre court comme Marie-Madeleine dans les Évangiles. Les femmes[1] ne se lamentent pas, elles s’interrogent. C’est l’artiste qui s’interroge et cherche des perspectives de sens.

Le sarcophage est décoré comme dans les plus anciennes traditions royales ; mais ce sont des figures dessinées[2] de rois portant les masques du pouvoir, de chevaux, d’esclaves, puisées dans les cultures babylonienne, égyptienne, romaine. La dernière est celle d’un homme contemporain qui chemine, une silhouette des tableaux de l’artiste sur l’exil ; elle représente la suite des pouvoirs dans l’Histoire. Devant le sarcophage, un vase fait écho à ceux de la prédelle, en dessous.

1600 Les 3 Marie

Le paysage assemble tous les temps. À gauche, le Golgotha stylisé, à droite une ville contemporaine esquissée. Le reste – gris, bleu, noir– est désolation. Tout est brisé. L’état d’esprit des disciples après la crucifixion.

Deux Traditions De L'icône

Maxim Kantor, de culture orthodoxe, revisite les deux types d’icône byzantine de la Résurrection : l’Anastasis où le Christ, brisant les portes de l’enfer, attire à lui les morts ; et les femmes myrophores qui se présentent au tombeau vide, trouvent du linge plié et font la rencontre d’un ange. Mais, dans ce tableau, il n’y a ni Ressuscité, ni ange, ni linge.

Ci-dessus : Youssef Al-Musawwer, Icône de L’Anastasis, 1645, 81x 63 cm (Collection Abou Adal) ©Narthex et L’apparition de l’ange aux femmes Myrophores, fin du XVe siècle – début du XVIe,  81 × 62,5 cm, Musée russe, Saint-Pétersbourg, © Zheny Mironosicy u Groba Gospodnja

Les ruines sont celles d’un temple grec[3] symbolisant la culture, et les débris ceux d’une sculpture de Mercure, dont la tête cassée a le visage de l’artiste.  Il y a là une allusion au temple de Mercure qui se trouvait à Rome au centre du Circus Maximus, le prénom de Kantor… Ce qui est brisé – le pied, la main, le caducée – , ici, c’est la fonction médiatrice entre les dieux et les hommes. Jésus était non pas le médiateur de Dieu, mais son fils.
Cette tête au sol est ambigüe. Elle traduit la reconnaissance par l’artiste de faire partie de cette grande culture et peut-être une mise en perspective de sa mort. Les bâtiments contemporains sont l’expression de l’histoire du temps présent appelée à être détruite.

La flore est très particulière, ce n’est pas le jardin printanier des tableaux traditionnels de Pâques, c’est la végétation de l’Île de Ré, où réside actuellement Maxim Kantor, avec l’arbre soufflé par le vent et ayant une étoile à son sommet – une allusion à celle au-dessus de la crèche ? –, la lande, les chardons que l’on trouve dans tous ses tableaux. L’île, son véritable atelier, est le cadre du tombeau vide ; il y pousse cependant une fleur de longue tige d’espérance – le lys ?

Dans cet espace de la stupéfaction surgissent des signes. En effet, le tableau intègre trois figures essentielles que l’on ne voit pas immédiatement.

1000 Extrait
Les Trois Marie. L’enfant et le chardonneret

Un jeune garçon, Peter le fils que le peintre aime tant. Un agneau devant lui, qui se fond dans le paysage, loin des représentations triomphales, y compris de celle du tableau du Buisson ardent dans ce retable. L’artiste a bien choisi la représentation symbolique du Christ, mais celui-ci se fait très proche, ordinaire. Il faut le remarquer.

Raphaël, La Vierge Et Le Chardonneret, 1506

Et troisième figure, sur la main de l’enfant, un chardonneret. Cet oiseau est associé à la crucifixion puisque la légende dit qu’il a cherché à retirer avec son bec les épines de la couronne du Christ et qu’il s’est blessé jusqu’à garder des taches rouges dans ses plumes. Parmi les artistes qui ont introduit ce symbole, on peut citer Raphaël et La Vierge au chardonneret (1506) : en offrant le chardonneret à l’Enfant Jésus, Jean-Baptiste enfant prophétise son tragique destin.

Toute la symbolique de la Résurrection est ici revisitée. Dans un temps de perte d’espoir apparaît un signe d’espoir. Ce n’est pas l’ange qui l’annonce, mais le garçonnet dans les vêtements de son âge, le chardonneret sur la main. Si la destruction de l’Histoire laisse le monde vidé, le chardonneret devient le symbole de la foi et invite à aller de l’avant.  

Une prédelle

D’une grande richesse, la prédelle est liée au tableau par la symbolique des objets et paradoxalement évoque la résurrection, sous l’angle de la culture.

Three Marys Predella
Les Trois Marie, Prédelle

Sur des vases sont peints des épisodes de la passion avec des fonds noirs dans le style de la poterie grecque du Ve siècle :  du repas à la déposition en passant par la montée à Jérusalem et celle au Golgotha. La date est donnée par le buste de Tibère, dont le nom est inscrit sur le socle. Des signes de mort : le crâne humain, mais aussi celui que l’on retrouve dans de nombreux tableaux de l’artiste, le crâne du taureau ou minotaure, symbole du reste de la culture méditerranéenne donc occidentale  Lire V&D. Mais deux animaux sont symboliques de Pâques : le lièvre ou le lapin, celui qui apporte les œufs, qui exprime le renouveau du printemps et surtout le paon, oiseau solaire, dont les plumes de couleur réapparaissent au printemps et dont la chair a été considérée comme incorruptible. Cet animal a été souvent utilisé dans les représentations chrétiennes.

Propos de Maxim Kantor au sujet de son œuvre

On peut rapprocher cette interprétation du tableau de certains propos de Maxim Kantor, lors de la rencontre du 16 mars 2023

Commentaire 48,46 minutes – 53,34 minutes

La première partie de cette vidéo comprend deux splendides contributions/méditations sur “La Résurrection pour nous, aujourd’hui” de Dominique Hernandez, pasteure, et François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin.

Le Christ s’est rebellé contre la culture qui dissout les individus…
Jésus se rebelle non pas contre le système politique, mais contre l’algorithme  général de la force…
Jésus n’était pas un homme politique. Il contestait l’algorithme de la croyance…
L’essence de l’action de Jésus est qu’il traduit le symbolique dans le réel. Il traduit le conditionnel dans la vie…
La loi de Jésus est dans l’amour qui est plus fort que l’idéologie. Mais à quel point cette foi est-elle durable ?
La force de ce Dieu est qu’il ne se soumet pas à la règle, à la norme générale
Le corps de Jésus disparaît vraiment…
Voilà trois femmes qui s’approchent de la tombe ornée de rois et d’esclaves, Jésus n’est pas là. Nous devons laisser ouverte la question de ce miracle, car chacun vivra la compréhension de ce miracle…
Nous sommes tous debout tous les jours devant le tombeau vide.

Ces mots pourront déstabiliser ceux qui sont en attente d’une représentation glorieuse de la Résurrection, de la grande peinture classique aux vitraux contemporains abstraits, mais les propos (visuels et oraux) de Maxim Kantor ne sont pas éloignés de ceux d’un éditorial de Pietro Pisarra :

L’espérance des chrétiens est là : la mort n’aura pas le dernier mot, le Christ, premier des vivants, nous ouvre la voie. Illusion ? Consolation à bon marché ? Non, car « la joie chrétienne est une joie tragique, une résurrection à travers la mort », ajoutait Athénagoras. « Le Ressuscité garde la marque des clous à ses mains et à ses pieds. »
Tout sera transfiguré. « Tout ce que nous semons dans l’ordre de la beauté, de l’amour, de la création artistique, portera du fruit et c’est ça, la résurrection », nous disait frère François Cassingena-Trévedy lors du débat de Saint-Merry Hors-les-Murs du 16 mars que l’on peut revoir sur YouTube. Une résurrection qui passe par un tombeau vide, par l’ordinaire et la banalité de nos vies. Et qui bouleverse le cosmos. Pietro Pisarra

Peut-être pourrait-on imaginer un autre nom à cette chapelle de la Résurrection, où le ressuscité n’est pas représenté : la chapelle d’Emmaüs, car si les pèlerins n’y figurent pas, les quatorze tableaux de Maxim Kantor livrent par la peinture ce qui constitue sa culture et sa foi, laissant chacun libre d’écouter et d’interpréter tous ces signes visuels dans leur complexité : « Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. » (Luc 27-24)

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Maxim Kantor, La Chapelle de la Résurrection, 2022

[1] Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et une troisième appelée Salomé, chez Marc, Jeanne chez Luc, rassemblées symboliquement sous le nom de Marie par Maxim Kantor. La tradition orthodoxe parle de trois Marie, qui sont célébrées le troisième dimanche de Pâques.

[2] Le dessin peint est un trait majeur de l’esthétique de Maxim Kantor (cf. Merry Cathedral), en référence à l’art de la Renaissance, un fondement de l’artiste.

[3] Sur le fronton, une silhouette portant sur ces épaules une poutre ; un esclave ayant construit le temple ou une allusion à la montée au Golgotha ?

  1. Blandine AYOUB says:

    Merci Michel, pour nous permettre d’approfondir ainsi notre belle soirée du 16 mars et la rencontre avec Maxime Kantor, et plus généralement nos possibilités d’appréhender la question de la résurrection à travers l’art et la réflexion théologique en images que Maxime nous propose.

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