Pour nous aider à poursuivre notre réflexion sur les lois migratoires, à la veille des élections européennes, Jérôme Vignon, conseiller à l’Institut Jacques Delors, a eu l’amabilité de nous permettre la mise en ligne de larges extraits de son article, paru sur le site de Justice & paix, et que vous pourrez consulter dans son intégralité grâce au lien ci-dessous.
Le Pacte européen sur les migrations et l’asile a pour objet d’ordonner les flux migratoires vers l’Union européenne. Ce faisant, il tente de contrecarrer l’argumentaire des partis d’extrême droite qui ont fait de « l’Europe passoire » leur fonds de commerce. Comment apprécier cet immense « paquet législatif » ?
La démographie n’est pas seule en cause
Les Nations-Unies et l’OCDE signalent depuis plusieurs années une accentuation de la tendance mondiale aux migrations. Au cours des 25 dernières années, le nombre des migrants dans le monde s’est accru pour représenter au total 3 % de la population mondiale en 2020. Les transferts sud-nord sont les plus intenses conduisant à ce qu’aujourd’hui la population migrante représente environ 10 % de la population totale, dans l’Union européenne comme dans le reste de l’OCDE. Pour l’UE et pour la France en particulier, cela signifie un accroissement notable de la part des migrants de l’ordre de 2 points en un quart de siècle. Autrement dit, la perception d’un accroissement de la diversité culturelle en Europe n’est pas imaginaire.
L’élévation des niveaux d’éducation et de revenus, les différentiels démographiques entre régions vieillissantes et jeunes, enfin les migrations forcées provoquées par les conflits armés et les catastrophes climatiques ou naturelles continueront de jouer un rôle pour entretenir une mobilité spontanée importante.
L’espace européen commun de l’asile sous forte tension
Le nombre des demandeurs d’asile a nettement rebondi au cours des deux dernières années, porté par un nombre lui aussi croissant des entrées irrégulières. La moitié seulement de ces demandes se voit reconnaître un droit à la protection. Les demandes rejetées correspondent à ceux qui fuient la misère ou simplement cherchent une vie meilleure. Or une faible partie seulement des personnes dépourvues d’autorisation de séjour retournent, volontairement ou non, dans leur pays d’origine.
Les autres rejoignent au sein de l’UE les économies parallèles, ce qui n’est favorable ni à leur intégration sur le marché du travail, ni au climat social et politique. S’ajoute un dysfonctionnement dans le mécanisme de répartition de la charge de l’asile entre les États membres.
Les partis populistes n’ont pas eu de difficulté à dramatiser à outrance cette situation qui apparaît à une majorité de citoyens européens comme désordonnée et déstabilisante.
Le Pacte européen pour les migrations et l’asile :
mieux lier responsabilité et solidarité
La philosophie du Pacte migratoire européen proposé fin 2020 par la Commission européenne vise à organiser une solidarité prévisible, obligatoire, mais flexible. Elle doit s’accomplir de préférence au moyen de « relocalisations » (des pays de première aux pays de seconde ligne), sinon par une contribution financière redistribuée par l’UE. Le soutien financier de l’UE est acquis aux pays de première entrée. En second lieu, une « procédure aux frontières extérieures » est mise en place comportant un système de filtrage, pour déceler précocement les demandes infondées et rendre plus efficaces les retours. En échange de ces dispositions, solidarité et prévention, les pays de première entrée assument la responsabilité effective des contrôles et de l’instruction de l’asile.
Il aura fallu sept présidences de l’UE, trois années de négociations, l’investissement d’une quinzaine de rapporteurs au Parlement européen pour parvenir à un accord in extremis à la fin de 2023 sur l’ensemble du Pacte. Une partie des États membres, singulièrement les États rentrés dans l’UE depuis 2004 et qui n’ont pas de tradition d’accueil de réfugiés, refusaient toute forme de solidarité. Mais la raison principale de la difficulté tenait à la réticence des pays de la coalition centrale à s’engager dans un processus de relocalisation solidaire, alors qu’ils sont eux-mêmes travaillés par une opinion publique estimant que les migrants sont déjà trop nombreux. Pour les satisfaire, il aura fallu alourdir les contrôles, durcir les critères de recevabilité des demandes, diminuer les délais des recours, et d’une manière générale diminuer les garanties d’accès aux protections, tout en restant compatibles avec les Traités internationaux auxquels l’Union a souscrit.
Le Pacte, un optimum relatif, inachevé et fragile
Pour juger du résultat final, il s’agit d’une amélioration, limitée par un réseau dense de contraintes.
Une amélioration, car le Pacte devrait en principe mettre un terme aux querelles récurrentes entre les États de première ligne et les quelques États centraux qui assurent de fait l’essentiel de l’accueil des migrants. Il préserve aussi grosso-modo l’essentiel, à savoir le droit des personnes menacées dans leur vie de venir sur le sol européen y demander l’asile. Rappelons que depuis 2015, cela représente 3,5 millions de personnes auxquelles se sont ajoutées, depuis 2022, près de 4 millions d’Ukrainiens et que chaque année en moyenne près de 700 000 nouvelles demandes d’asile sont instruites…
Cette amélioration se paie, il est vrai, du risque d’un recul de l’accès aux protections élémentaires, du maintien de situations indignes dans des lieux de rétention, si les ressources humaines nécessaires, par exemple dans les lieux de contrôle aux frontières n’étaient pas en place. D’ores et déjà, les principales organisations gouvernementales proche des migrants et des réfugiés, les Églises et en particulier la COMECE ont exprimé à ce sujet leurs vives inquiétudes.
C’est une amélioration inachevée. Car l’Union européenne ne dispose pas des outils d’une véritable régulation qui serait accordée aux besoins de son marché du travail. Et elle ne se prolonge pas suffisamment sur une politique active d’intégration prenant en compte et les anxiétés des populations accueillantes et les responsabilités des migrants eux-mêmes. Un grand chantier est ouvert, éminemment politique.
Pour autant, en tant qu’amélioration limitée et incomplète, ce Pacte mérite absolument d’être défendu,
ne serait-ce qu’en raison des choix dramatiques ˗ externalisation complète de l’asile, dénonciation des conventions internationales, réduction drastique de l’immigration légale ˗ que privilégient les courants populistes dont les espérances de gains de sièges au sein du Parlement européen ne laissent pas d’inquiéter. Voilà, parmi d’autres, une raison impérative de se rendre aux urnes le 9 juin prochain.
Jérôme Vignon, Conseiller à l’Institut Jacques Delors
Pour retrouver l’intégralité de l’article de Jérôme Vignon :
https://justice-paix.cef.fr/migrations/le-pacte-europeen-pour-les-migrations-et-lasile-a-lepreuve-des-elections/