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Immigration… toujours ?

La campagne électorale pour les élections européennes a été très fortement marquée par la question migratoire. En France, Monsieur Bardella en a fait son cheval de bataille pour que « l’Europe revive ». Ne déclarait-il pas, il y a quelques semaines (25 avril 2024) que la lutte contre « l’immigration massive sera le principal enjeu de ces élections », rejoignant ainsi les discours de tous les partis de l’extrême-droite en Europe et de quelques autres. Ce thème fondateur fut aussi l’occasion de faire des propositions concrètes au niveau de l’UE dont certaines sont déjà largement expérimentées ici ou là. Le renforcement des frontières extérieures par l’érection de murs…déjà édifiés dans une douzaine de pays (Pays Baltes, Grèce ou Pologne), la restriction des opérations de sauvetage en Italie, la fermeture des frontières intérieures et l’externalisation des demandeurs d’asile vers des pays-tiers comme le pratiquent le Danemark et l’Italie, voire pour les dirigeants de Reconquête en France ou de l’AfD en Allemagne la remigration pour éviter le prétendu grand remplacement. À ce sujet, il est assez piquant de lire la prose de Georges Vacher de Lapouge qui, en 1909, écrivait déjà dans Race et milieu social : 

« La population française telle que je viens de la présenter ne durera, en effet,
pas toujours. L’immigration a introduit depuis un demi-siècle plus d’éléments étrangers que toutes les invasions barbares. Les éléments franchement exotiques deviennent nombreux. On ne rencontre pas encore à Paris autant de jaunes
et de noirs qu’à Londres mais il ne faut pas se faire d’illusion.
Avant un siècle, l’Occident sera inondé de travailleurs exotiques ».

Comme quoi l’hyper-politisation de cette question, jamais résolue, ne date pas d’hier.

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Frontière de la Macédoine, 2015, photo Dragan Tatic – Wikimedia

Pour en comprendre la genèse, il convient de remonter aux premiers temps de la IIIe République.
Au cours des années 1880, le régime se consolide, il développe, comme d’autres pays, l’idée forte de l’État-nation auquel il faut intégrer les classes populaires. Dans cette optique, il adopte des lois sur la liberté de la Presse qui vont favoriser le « fait-diversion » (Gérard Noiriel) qui, en mobilisant les émotions des lecteurs, forge leurs convictions à partir d’un événement souvent unique mais facilement généralisé (voyez l’onde xénophobe après l’assassinat de Paul Doumer en 1928 par le Russe Paul Gorgulov). Simultanément, depuis les années 1860, l’essor industriel avait recours à une immigration massive, pour répondre au développement avant que ne lui succède une série de crises après 1882. C’est alors que l’immigration devint un problème politique majeur, comme l’évoque clairement Christophe Pradon, député de la Gauche radicale en février 1888 :

« C’est une remarque piquante que les peuples les plus attachés
aux idées de progrès, de libéralisme, de démocratie se sont, les premiers, préoccupés de faire des lois sagement protectrices contre l’immigration ».

C’est au sein de ce cadre politique que s’alimentent les mêmes déclarations depuis bientôt cent cinquante ans. Les migrants ne veulent pas s’intégrer, ils menacent la sécurité nationale et l’identité du pays qui les accueille, ils aggravent le chômage des Français et maintiennent les bas salaires des ouvriers en se contentant de peu : « Prenez garde aux Asiatiques, prévient Paul Leroy-Beaulieu en 1881, ces rivaux qui ont pour idée de bonheur une écuelle de riz ». Cet ensemble d’affirmations nourrira un combat parlementaire intensif destiné à valoriser la préférence nationale. Par exemple, avec la loi d’octobre 1888, les travailleurs étrangers devront obligatoirement se faire enregistrer sur leur lieu de résidence, point de départ de la carte de séjour ; ou encore en 1899, une série de décrets fixe les quotas des travailleurs étrangers. Dès lors, si la défense de la Nation avait été longtemps une valeur de gauche, la progressive affirmation des nationalismes, le « danger » potentiel que pouvait représenter la présence d’étrangers, la moindre influence de l’Internationale ouvrière favorisèrent largement l’accaparement de « la préférence nationale » par des partis de droite qui y voyaient aussi le moyen de capter le vote populaire.

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1899 – Wikimedia

On pourrait reproduire de semblables schémas, à quelques variantes près, pour la période qui court de 1920 à 1940, spécialement les décrets-lois de mai 1938 sur les conditions d’entrée et de résidence des étrangers et toujours au nom des valeurs républicaines, avant que le régime de Vichy multiplie les discriminations criminelles. Et faire encore un constat identique avec le retour en force du « problème de l’immigration » au seuil des années de crise de la fin du XXe siècle. De 1980 à décembre 2023, le Parlement français aura voté 29 lois sur l’immigration sans compter les décrets, les arrêtés ou les ordonnances. Mêmes dénonciations et même contexte ? Pas tout à fait, dans la mesure où il y a aujourd’hui une extrême mobilité des hommes, très nombreux à se trouver confrontés aux graves dérèglements climatiques et à leurs conséquences et victimes de la démultiplication des conflits locaux ou régionaux. De plus, contrairement aux années 1920, la France aujourd’hui n’arrive qu’en quinzième position dans l’OCDE pour ce qui est de la part d’immigrés dans sa population.

Et pourtant, il y a bien une récurrence des mêmes propositions afin de « limiter » voire de combattre l’immigration. Et si, malgré les obstacles quotidiens auxquels se heurte le vivre ensemble des uns et des autres, si en dépit des risques de communautarisme, le fameux problème n’était pas là ? D’autant que « l’acharnement contre les immigrés » ne résoudra pas les difficultés de Français, des Néerlandais ou des Danois et que l’immigration peut aussi être une chance. Et si nous, comme citoyens européens, nous décentrions au moins notre regard hors d’Europe ?

Enfants Heureux Ecole Primaire
Enfants à l’école primaire. Par @rawpixel.com sur freepik.com

Ce petit texte doit beaucoup aux travaux de Gérard Noiriel et en dernier lieu :
Noiriel, G. (2024, mars), Préférence Nationale, leçon d’histoire à l’usage des contemporain. Tracts Gallimard n° 55, 60 p.

Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

  1. Choupa says:

    Intéressante perspective historique mais qui néglige totalement de se poser les vraies questions qui interrogent les francais actuellement: le lien entre immigration et insécurité/ violence, la maîtrise de nos frontières …

  2. michelecabantous says:

    L’objectif de ce petit texte était simplement de mettre en relief la permanence, voire l’obstination de la même rhétorique depuis cent cinquante ans au sujet de l’immigration et de la “préférence nationale”. Rien d’autre. Pour le reste, je renvoie lectrices et lecteurs au programme de leurs candidat-e-s préféré-e-s.

  3. michelecabantous says:

    La réponse à Choupa, attribuée par erreur à Michèle Cabantous, a été écrite par l’auteur du texte.

  4. Chabert says:

    La photo finale me rappelle la réponse d’un petit garçon de CE1 auquel on avait demandé s’il y avait des immigrés dans sa classe : – non, dans ma classe il n’y a que des enfants.

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