Du 1er au 3 juin 2024, dans le cadre de la Nuit Blanche, exposition d’une peinture des profondeurs où la lumière/l’espérance point. Cette grande peinture a valeur de psaume. La chronique de Jean Deuzèmes
Imaginez aujourd’hui un élève du Caravage, fasciné par la grande peinture lyrique de Georges Mathieu des années 1960, ayant été l’assistant de Pierre Soulages, pendant quelques mois, dans les années 2000. Vous avez les principales références pour entrer immédiatement dans la peinture figurative d’Ivan Martel, jeune artiste né en 1993 qui expose pour trois jours seulement à l’église Saint-Louis-d’Antin à l’occasion de la Nuit Blanche 2024. Trop peu bien sûr, mais c’est une grande première pour cette église tournée vers la piété populaire.
Une quinzaine de tableaux de grand format ont la dynamique des icônes : regarder et se laisser vibrer, jusqu’à la prière. L’ambiance des multiples points lumineux de cierges allumés, y contribue, la muséographie ordinaire est mise en accord avec ceux qui fréquentent le lieu. Les œuvres sont simplement déposées sur des tréteaux d’atelier, de plain-pied, accessibles, entre lesquelles on glisse. Une « efficacité spiritualiste » ?
Alors que le thème de la Nuit Blanche est Outre-mer, cette exposition sans nom tranche. Alors qu’à Saint-Eustache, la crucifixion de Pol Taburet fait référence à une tradition religieuse puisant dans le vaudou caribéen, les tableaux d’Ivan Martel puisent dans l’expérience humaine. D’abord la sienne, pour avoir connu de graves problèmes de santé, celle de tout homme qui plonge dans les ténèbres de l’angoisse, de la douleur et qui clame son désir d’en sortir. C’est le contexte des psaumes que l’artiste connait bien.
Peinture psalmiste car du noir du drame humain, surgit le blanc de la délivrance. Pour cela, l’artiste n’utilise que deux types de peinture à l’huile (et non à l’acrylique) le noir et le blanc. Les tableaux sont à 40% totalement noirs, puis la peinture au couteau emplit les formes de matières successives, leur épaisseur témoigne d’une quasi-lutte entre l’artiste et la toile, accrochant la lumière comme dans l’Outre-Noir de Pierre Soulages. Progressivement un peu de blanc se mêle au noir jusqu’à ce que quelques rares dernières touches en blanc achèvent le tableau. L’artiste aime le ténébrisme et renouvelle ce grand courant de la peinture.
Si 8 heures séparent le commencement de la nuit du début du jour, c’est aussi le temps nécessaire à l’artiste pour faire son œuvre dans sa totalité. Une peinture cathartique, de l’émotion spirituelle qui est à relier avec la lecture des Mystiques, que pratique l’artiste, et à leur nuit. Une peinture des prémisses de l’espérance. Une peinture dont la technique emprunte fortuitement à celle de l’icône, partir du brun pour passer au clair, se terminant par un fond d’or.
Les sujets sont souvent religieux, mais pas seulement et le profane n’est pas loin de la consonance religieuse, avec l’inquiétude puis la joie de la relation humaine : un père et son fils sur les épaules, un homme serrant la tête de son cheval.
Ivan Martel assimile aussi certaines attitudes humaines à des expériences religieuses. Le geste du danseur qui se lance dans le vide est celui d’un crucifié.
Sa crucifixion caravagesque est à la fois classique, du XIVe au XVIIe siècle, dans tous ses codes de la représentation, mais aussi très contemporaine. Si Charles Ray, peintre athée dans “Study after Algardi” son grand Christ blanc (2000) à la Fondation Pinault avait voulu rechercher l’expression du dernier souffle, avec un visage blanc parfaitement visible, Ivan Martel, peintre chrétien, utilise la vision en plongée pour cacher le visage tuméfié. Pas de fascination pour la souffrance, mais une invitation à la réalité et au mystère, une référence à Isaïe et au visage qui n’avait plus de beauté.
« Il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. »(53-02)
Une splendeur d’ouverture à la méditation.
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Des trés belles œuvres !
Bravo!
j’aimerais acquérir le tableau représentant une mère qui tient un enfant dans ses bras. Très beau
C’est magnifique que tu aies pu arracher à la Nuit blanche, jamais si bien nommée, ces images peintures sculptures photos… Quel est pour la vison le mot qui correspond au mot “inouï” pour l’écoute? “Vision” dit déjà quelque chose. Voir et dire. Le Christ, le torturé, la couronne d’épines, la maternité, la méditation…ce que l’on a vu cent fois mais que l’on voit ici pour la première fois. Qui est donc Ivan Martel?