Malgré le contexte électoral, essayons de sortir du court terme et d’imaginer une république vraiment orientée pour le bien commun. Sur quels principes serait-elle bâtie ? Le texte d’introduction de Jacques Debouverie à la Messe en Plein Monde du 29 juin dernier.
Malgré le contexte électoral, essayons de sortir du court terme, essayons d’imaginer une politique au sens large, ce que serait un jour une république vraiment orientée pour le bien commun, sur quels principes serait bâtie une telle république ? Vers quoi aimerions-nous porter nos efforts pour construire une cité meilleure pour nos enfants ? Évidemment, il s’agit d’être un peu utopique, mais à la manière de Luther King en 1963 qui, sous couvert du « I have a dream », appelait solennellement la fin du racisme. Ou à la manière du pape François à Marseille en 2023, qui avec seulement trois images définissait le futur souhaitable du monde méditerranéen. Ou quand le même François énonçait quatre rêves dans son exhortation suite au Synode sur l’Amazonie en 2020. Ça serait quoi, la république dont nous aimerions rêver et que nous aimerions promouvoir ? Cinq expressions pourraient nourrir nos échanges, parmi d’autres possibles. Elles sont tirées de la pensée sociale de l’Église ou de la « république de la miséricorde » qu’imaginait Jean-Marc Bourdin pour nous le 30 mai dernier, en suivant l’inspiration de René Girard.
1 – Culture de la rencontre
Dans Fratelli Tutti, François parle de la « bonne politique ». Ce qui paraît frappant, c’est que pour lui la bonne politique ne ressemble pas à un programme, mais plutôt à une manière d’être ensemble, d’être en relation. Il parle d’une culture de la rencontre, culture du dialogue et du discernement ensemble. D’ailleurs le « bien commun » ne se présente-t-il pas davantage comme une visée que comme un programme précis, une marche vers la vérité qui laisse toujours de la place au dialogue ? A propos de « bonne politique » François nous invite à nous méfier du populisme comme du libéralisme, mais à aimer le populaire et le peuple. Le peuple n’est pas un concept ou une catégorie, mais un processus, un projet commun en devenir, en construction. En quoi cette idée de la culture de la rencontre est-elle un repère pour nous ?
2 – Amitié sociale
Benoît XVI avait parlé de « charité politique », François aussi mais il a ajouté l’idée d’amitié sociale. Le christianisme ne cesse de parler d’amour et de charité, mais de préférence dans les cadre des relations personnelles. Pourquoi ne pas l’appliquer aussi aux macro-relations et aux rapports institutionnels ? Pourquoi l’amour, la bienveillance, la charité, la tendresse à l’égard de la fragilité humaine seraient-elles absentes du champ politique, non seulement chez les élus et le personnel politique mais aussi dans ses objectifs ? Le programme de l’amitié sociale selon François, c’est de construire un « nous » habitant une maison commune, écoutant autant la « clameur de la terre et la clameur des pauvres » et pratiquant l’hospitalité. Traduire l’amour chrétien dans le champ social au-delà du champ individuel, serait-ce une manière intéressante de reconsidérer le politique ?
3 – Sortie du ressentiment
Girard et d’autres nous font prendre conscience de la violence omniprésente dans toute la vie sociale : rivalité, compétition, haines recuites entre les personnes mais aussi entre les États. C’est un problème majeur d’éducation pour construire la « bonne politique ». J.-M. Bourdin parle de l’urgence de la désintoxication des rivalités, de la débrutalisation de la parole publique, de la sortie du principe amis/ennemis qui consiste à fabriquer sans cesse des ennemis et des adversaires. Le prophète Osée met dans la bouche de Dieu : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice », et Jésus demande fermement « d’apprendre ce que ça signifie » en Matthieu 9,13. Faire en sorte que le désir et la convoitise ne virent pas à la rivalité ne suppose-t-il pas de concéder un peu plus d’humilité, un peu plus d’admiration mutuelle, un peu plus d’offres de réconciliation ?
4 – Déprivatisation des biens communs
L’Église parle de « destination universelle des biens ». Les biens communs sont autre chose que le bien commun. Girard nous explique que tout ce qui n’est pas partageable, par exemple avoir la première place ou avoir le pouvoir, est source de rivalité. Il y a des biens qui sont en principe partageables comme l’air, l’amitié, la joie, etc. Selon J.-M. Bourdin, la « république de la miséricorde » devrait avoir pour objectif de déprivatiser progressivement certains biens matériels ou immatériels pour les rendre mieux partageables et éviter tout accaparement. Par exemple en ce 21ème siècle : l’eau, les ressources naturelles, la biodiversité, la culture, le savoir. Ne serait-ce pas porteur d’un changement radical du politique pour les générations qui viennent ?
5 – Fraternité davantage qu’égalité
François dit que « la fraternité est la nouvelle frontière de l’humanité ». Notre société réclame toujours plus d’égalité alors que la pensée sociale de l’église met en avant les principes de « dignité de la personne humaine », de « justice » et « d’option préférentielle pour les pauvres », principes qui ne contredisent pas le besoin d’égalité, aussi juste soit-il, mais lui donnent une autre perspective. Car l’égalité est aussi bien souvent source de rivalité. Elle est un puits sans fond, comme disait Coluche : « Il y en a toujours qui sont plus égaux que d’autres ». Paul dans la lecture tout à l’heure (2Co 8, 13-15) évoque justement l’égalité débarrassée de la rivalité. En définitive, le seul droit valable à l’échelle de l’humanité n’est-il pas celui de la fraternité universelle, l’intérêt accordé au dernier des plus petits et à sa dignité ?
Voilà cinq expressions peut-être évocatrices de la « république pour le bien commun » ou de la « république de la miséricorde ». Il y en a d’autres bien sûr, peut-être encore plus importantes à nos yeux. Qu’en pensons-nous ? Si nous essayions de définir cette république du bien commun, quels fondements, quelles couleurs, quelles saveurs aurait-elle ?