Je rentrais chez moi en bus.
Depuis une demi-heure, nous étions bloqués dans un monstrueux embouteillage dû à la préparation des jeux olympiques. L’agacement gagnait. Du coup, chacun s’est mis à parler à son voisin. Étonnant de voir tant d’inconnus échanger entre eux. Ma voisine, pourvu d’un accent ensoleillée prononcé, revenait de son travail. Elle s’est crue obligée de me préciser qu’elle était Française d’origine marocaine avant de m’affirmer qu’elle n’avait jamais vu une telle pagaille. Elle n’avait « jamais vu ce pays dans un tel état de violence. » (Nous étions en période électorale.) Elle s’inquiétait, m’expliquant qu’elle avait été élevée par une maman qui n’avait jamais levé la main sur elle mais dont les yeux disaient tout. Elle était choquée par l’agressivité des gens et la brutalité ambiante.
Comme pour illustrer ses propos, la conversation de deux passagères assises juste derrière nous est devenue plus vive. La peau de l’une était blanche, celle de l’autre, noire. Toutes deux parlaient anglais mais il n’y avait pas besoin de pratiquer cette langue pour comprendre que ça tournait au vinaigre. L’une encourageait l’autre à marcher à pied pour perdre sa graisse et lui laisser davantage de place. L’autre disait à l’une que son anglais était vulgaire et qu’une étrangère mécontente n’avait qu’à retourner dans son pays. Le ton montait. Les injures fusaient. Chacune lançait de nouvelles invectives, de plus en plus fort jusqu’à hurler. Ma douce voisine a quitté le bus. J’ai changé de place, craignant que les deux énervées n’en viennent aux mains. Des passagers leur ont demandé de se calmer, en vain. Alors, le chauffeur a stationné son bus qui, enfin, roulait normalement. Ce jeune noir élancé s’est planté devant les deux femmes et, en anglais, leur a ordonné, sur un ton posé, d’arrêter immédiatement leur querelle sinon il appellerait la police. Puis il les a séparées, comme on sépare deux enfants chamailleurs à l’école. Le silence s’est fait.
Le lendemain, un dimanche, je traversais le parc Montsouris. Un monde fou s’égayait dans les allées et sur les pelouses au bord de l’étang. Des groupes plus ou moins déshabillés bronzaient. Une famille fêtait un anniversaire. Une promeneuse de chiens tentait de reprendre la main sur des laisses emmêlées. Un joueur de djembé mettait de l’ambiance. Des enfants riaient en se poursuivant à pied et à trottinette. Des canards cancanaient. Un vieil homme est arrivé, d’origine asiatique, une casquette sur le crâne, une longue flûte de bambou à la main. Il s’est approché de la rive et a commencé à jouer. Très vite, les colverts se sont approchés, mâles, femelles et jeunes de ce printemps, puis des perches, puis, je n’en croyais pas mes yeux, une grosse tortue. Des gens se sont avancés, comme moi, tout près des canards qui n’ont pas frémi d’une plume Petit à petit, le bruit alentour s’est atténué, même les murmures se sont tus. Soudain, plus rien n’a bougé, ni humains, ni animaux. Une communion de vivants dans un ample silence, juste le son grave de la vibration de la flûte à bec. Chacun absorbait la beauté du moment, la buvait à grande goulée comme pour garder en soi ce qu’il se passait là.
Stagner dans les encombrements avait fait de gens qui, par hasard, voyageaient sur la même ligne ce jour-là, une éphémère communauté de bavards. Un conducteur de bus capable de calmer deux furies avait tranquillisé tous ses passagers. Un flûtiste ami des canards avait mis du bonheur au cœur des promeneurs d’un parc. Antidotes aux noirceurs qui nous agrippent et nous crispent.
On parle de clans, de défiance, de violence. Il reste pourtant des moments merveilleux où nous sommes capables de communiquer, partager et vibrer ensemble aussi différents que nous soyons. Et la vie avance.
Fraternel merci chère Joelle pour ces images de vie au coeur des tumultes. Elles rejoignent le modeste Édito que je viens de confier au Site sur le temps du “repos-source”. Et que vivent les moments simples de vie Guy A