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L’Église : une ambiguïté à déjouer

Les articles qui ne pourraient être considérés comme l’expression de la communauté sont publiés dans cette rubrique Tribune, ouverte aux expressions et prises de position individuelles.

Tout un ensemble d’expressions laissent entendre que l’Église est au cœur de tout ce que les chrétiens sont appelés à vivre, expressions telles que : « l’Église a besoin de tous pour accomplir sa mission », « nous avons à construire l’Église du Christ », « il s’agit d’entrer dans la foi de l’Église, il faut réparer l’Église »,  ou les mots de ces jours-ci de François  s’adressant aux  prêtres : nous sommes dans « les temps de purification de l’Église », « le Seigneur est en train de purifier son Épouse, il souffle son Esprit pour redonner beauté à son Épouse surprise en flagrant délit d’adultère »… jusqu’à cette pub nous invitant à donner qui a déclenché mon indignation et ma réflexion : « je crois en l’Église, je lègue à l’Église » (pub dans La Croix du samedi-dimanche 29 et 30 juin 2019) !

L’Église n’est pas un être, une personne : elle est la foule innombrable des croyants.

Jésus qui habite son peuple, voilà l’Église, une façon de vivre des disciples du Christ à la lumière de l’Évangile,  qui peut paraitre étrange, utopique, différente de celle du profit, de l’argent, du pouvoir, du chacun pour soi ; image d’éternité peut-être…

Sans les hommes et les femmes qui la composent,  l’Église n’a pas d’existence, pas de réalité par elle-même. Dire : « l’Église pense que », « demande que », « ordonne que », «interdit que », n’a pas de sens. La seule chose que l’on puisse dire c’est : « les croyants en Christ assemblés en tel lieu, à telle époque donnée et dans des conditions d’existence données,  pensent que, disent que… »

Il n’y a pas de paroles définitives, il n’y a pas d’options irréformables, il y a des hommes et des femmes croyants  aux prises avec les réalités de la vie d’aujourd’hui pour construire le monde d’aujourd’hui. L’Église ne peut pas être une vérité à croire, une réalité intouchable, une quasi personne.

Or, au cours de l’histoire, l’Église s’est érigée en absolu…

Jésus n’a pas fondé une Église. Ce sont ses disciples qui ont pensé lui être fidèles en prenant les commandes. Des hommes ont usé et abusé du verset « tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Avides de bien faire sûrement, ils ont voulu organiser, contrôler, ne pas se laisser déborder : ils se sont emparés de ces quelques mots pour s’autoriser à créer une structure, une organisation, qui s’est institutionnalisée pour régir la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus…

Les  communautés  se sont choisi des responsables, elles leur ont reconnu un pouvoir sacré, et peu à peu une hiérarchie s’est installée et a régi l’Église. Les évêques, les clercs, les théologiens, le pouvoir civil même, ont imposé des règles de fonctionnement, des affirmations dites intangibles, des institutions qui leur ont paru adéquates, et tout cela s’est appelé  l’Église, à la fois, indissociablement et inextricablement, Assemblée de croyants et Institution. Et c’est le piège !

L’Église s’est  installée dans une situation d’ambiguïté  permanente et de domination.

Hiérarchie, théologiens et religieux ont sacralisé cette Église, son organisation, ses affirmations, ses décisions, ses commandements, tout en se donnant bonne conscience et en rappelant que, bien sûr, l’Église c’est l’ensemble du peuple croyant. Mais l’Église s’est ainsi érigée en objet de foi, de vénération, de domination sacrée.

Au lieu de considérer toutes les innovations et formulations comme des besoins d’une époque ou d’un lieu, le pouvoir hiérarchique a eu tendance à additionner, universaliser, sacraliser les affirmations dites irréformables aussi bien que les “inventions”, les “trouvailles” de fonctionnement et d’organisation. Le pouvoir hiérarchique et théologique a statufié, figé dans le dogme et la tradition, au lieu de savoir relativiser, remettre en cause en fonction du temps, des avancées humaines et scientifiques, des prises de conscience de ceux qui sont le tissu même de l’Église, les croyants vivants de leur foi dans leur temps.

Même si une multitude de femmes, d’hommes, d’enfants de l’Église ont infiniment apporté au monde, il nous faut renoncer à cette idée d’une Église maitresse de pensée et de vie. L’Église dite Institution, en elle-même, n’est rien qu’un outil. Elle n’a pas autorité sur les personnes. La prendre pour référence à laquelle on devrait se soumettre, ce serait en faire comme un absolu. Elle n’est qu’une organisation d’une complexité telle que la réformer semble relever d’un défi insurmontable. Mais « rien n’est impossible à  Dieu » !

Ce n’est pas l’Église-Institution qui a la solution face aux problèmes qu’elle rencontre en ce XXIe siècle, même si c’est avec elle aussi qu’il faut chercher.

C’est aux chrétiens d’aujourd’hui d’inventer la façon de vivre du Christ et de sa parole en notre temps.

Face aux grandes remises en cause actuelles de l’institution Église liées au pouvoir, à la sexualité, à l’argent, ce n’est pas à la “machine-Église” de décréter du haut de sa hiérarchie : « maintenant il faut faire ceci, il faut se réformer comme cela, il faut mettre en place telle institution, supprimer telle autre…”

C’est à nous tous, les croyants en Jésus-Christ, laïcs, clercs et religieux ensemble, de nous retrousser les manches et de reprendre conscience de ce que nous sommes, de notre responsabilité par rapport à la Bonne Nouvelle. A nous tous d’être à l’œuvre, individuellement et avec les autres, pour inventer comment, en ces années 2020, vivre pleinement la parole de Jésus dans ce monde tel qu’il est avec ses découvertes, ses angoisses, ses richesses, ses recherches, ses aspirations.

Le renouvellement de l’esprit chrétien, de la vie chrétienne aujourd’hui, ne me semble pouvoir se faire que si nous acceptons de ne pas nous focaliser sur l’Église-Institution, les transformations à y faire, les modifications à apporter, le visage à  lui donner. L’Institution, par ses clercs et ses théologiens, n’est rien qu’un outil au service des croyants ; ce n’est pas à elle de décider ce que nous devons faire.

Ce sont nous tous, baptisés, sans distinction aucune, mais à l’écoute de l’Esprit ensemble, qui devons trouver les solutions ; ce sont nos communautés chrétiennes, avec leurs clercs si elles en ont, qui ont à se confronter  aux problèmes et à mettre en place des solutions pour le temps que nous vivons et là où nous sommes. Ce n’est pas aux prêtres de décider ou de commander, sous peine de retomber immédiatement dans le cléricalisme, mais c’est, à mon avis, aux prêtres de nous garder ensemble dans la richesse de nos diversités, d’avoir soin de chacun et de tous, de nous permettre  d’être debout en reconnaissant notre liberté de pensée et de conscience, de nous rassembler, de nous réconforter et de nous nourrir dans ce chemin d’aventure au service de notre terre !

L’important n’est pas de rajeunir ou de réparer l’Église, mais d’être porteurs de la Bonne Nouvelle, au cœur du monde, d’y être sel et lumière. Et c’est en le vivant ensemble, que ce peuple de croyants que nous sommes offrira de la vie à  notre monde : et par surcroît, il risquera d’offrir un visage vraiment renouvelé de l’Église en notre temps.
Le but, c’est de vivre en croyants en Christ et, comme lui, d’avoir la passion des êtres humains, femmes et hommes, dans ce monde de 2020.

A vin nouveau, outres neuves !

Jean-Luc Lecat

« C’est aux chrétiens d’inventer» : mais qui sont ces chrétiens ? Quel est ou pourrait être leur rôle dans la société et comment s’organiser pour le jouer? Comment pourraient-ils échapper aux inévitables déviances de toute organisation-institution ? 
Nous vous proposons un échange à propos de qui, ou de ce qu’est l’Église : quelle place a-t-elle dans notre vie, dans nos convictions? Que nous apporte-t-elle et qu’allons-nous, chacun de nous, lui apporter?
Comment voulons-nous faire vivre cet « ensemble » des chrétiens ? Quelles propositions positives sommes-nous capables de porter ?
La Rédaction

  1. Ber’ard Fauconnier says:

    Le Christ ne nous a appelés qu’à une chose : nous aimer les un les autres. C’est le centre de tout, Le reste est vanité.

    Merci pour cet article au coeur du sujet.

  2. Christiane Joly says:

    Merci, ce texte sonne très juste ! n’est-ce pas ce qui cherche à se jouer en ce moment avec le Synode ? prions pour que les coeurs de ceux qi se réuniront en Octobre soient pleinement ouverts à l’Esprit Saint qui veut souffleer librement dans note monde et y déployer des “énergies nouvelles !”

  3. DRISIN Philippe says:

    Je partage totalement votre opinion. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu -en écrivant mes deux ouvrages “Pour un nouveau Christianisme” et “Dieu a-t-il un plan” chercher à ne conserver du Catholicisme que l’amour du prochain et la compassion, en m’interrogeant sur les “oukases” de la hiérarchie religieuse, en particulier en matière de sexualité et de fin de vie . Je ne pense pas que l’on déroge à la mission fondamentale du Christ sur terre en cherchant à s’adapter aux conditions de vie de son époque.

  4. internetreally0edf980d63 says:

    Cet article est fort intéressant. Il pose la question de la “reconstruction” de l’église catholique. Faut-il partir de la communauté des fidèles ou de l’institution ? Jean-Luc Lecas choisit clairement “la base” plutôt que l’institution. Le pape François lui-même a en quelque sorte validé ce choix en appelant à se méfier du “cléricalisme”. Cette déclaration a pas mal déstabilisé l’institution qui a réagi de façon diverse à tous les niveaux (curés, évêques…): tantôt en ouvrant le jeu, tantôt en reprenant la main de façon parfois autoritaire pour éviter le risque de “révolution” et d’anarchie. Dans l’absolu, il faut à tout prix que le “peuple chrétien” se mobilise: personne ne peut le nier. Mais cette mobilisation doit s’effectuer sans rupture avec l’institution, ce qui ne signifie pas que cette dernière doive contrôler le mouvement. En pratique, on assistera à une variété de situations, allant de la reprise en mains autoritaire à l’émergence d’initiatives partant de la base. C’est ainsi que le Catholicisme a jusqu’à présent réussi à s’adapter aux changements du monde. Cela n’ira pas sans secousses plus ou moins graves et sans une certaine durée.

  5. Jacques Clavier says:

    « Dans le Symbole des apôtres, nous faisons profession de croire une Église Sainte . . . , et non pas en l’Église, pour ne pas confondre Dieu et ses œuvres et pour attribuer clairement à la bonté de Dieu tous les dons qu’Il a mis dans son Église. » (Catéchisme de l’Église Catholique – page 165 – n° 750)

    « Je sais bien qu’il est inévitable que l’Église soit aussi une chose sociale ; sans quoi elle n’existerait pas. Mais pour autant qu’elle est une chose sociale elle appartient au Prince de ce monde. C’est parce qu’elle est un organe de conservation et de transmission de la vérité qu’il y a là un extrême danger pour ceux qui sont comme moi vulnérables à l’excès aux influences sociales. Car ainsi ce qu’il y a de plus pur et ce qui souille le plus, étant semblables et confondus sous les mêmes mots, font un mélange presque indécomposable. »

    « J’ai en moi un fort penchant grégaire. Je suis par disposition naturelle extrêmement influençable, influençable à l’excès, et surtout aux choses collectives. »
    (Simone Weil – Attente de Dieu – https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/simone-weil-attente-de-dieu-221251 )

    L’union faisant la force,
    j’essaie de ne pas confondre l’union et l’unité,
    l’unité qui n’est ni l’uniformité,
    ni la conformité, ni l’unanimité.

    Nous articulons, nous conjuguons,
    dans l’espace et dans le temps,
    nos fidélités et nos libertés.

    Nos fidélités dans des Communautés (koïnonia, en grec), dans l’ordre du consensus
    et
    nos libertés dans des Assemblées (ecclesia, en grec), dans l’ordre du compromis.

    Cette articulation, nous fait devenir « signe et moyen de
    l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain »
    (i.e. des sacrements).

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