La guerre à Gaza fait surgir des termes qui blessent notre humanité et notre foi : génocide, sociocide, urbicide, scolasticide, culturicide, sporticide, écocide. Les identifier permet de mieux les dénoncer, comme nous y invitent les chrétiens palestiniens : « Dites la vérité ! Nommez les choses par leur nom ! »
Génocide
« Le processus génocidaire est ce que le genre humain a inventé de plus cruel et de plus pervers : le mal y est érigé en bien, absolutisé et justifié pour la sauvegarde de la race ou la pureté de la nation » (Mounir Chamoun, psychanalyste libanais). La convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide le définit ainsi : « tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » . Si l’intentionnalité est difficile à établir, la Cour internationale de justice a reconnu, le 26 janvier 2024, un « risque sérieux de génocide » à Gaza, sur la base notamment des intentions, non démenties, de dirigeants israéliens et d’actes de déshumanisation des Palestiniens, alors qu’Israël interdit l’accès de Gaza, empêchant la presse mondiale d’informer.
Sociocide
Sans être un concept du droit international, il vise à saper les bases de la société : sécurité, capacité à produire les biens et services nécessaires à sa durabilité, culture, identité. Le sionisme a très tôt préconisé une colonisation de la Palestine impliquant la violation des droits humains et politiques des autochtones. Le premier stade, brutal, fut la Nakba (1948). Le second, plus lent et continu, fait disparaître le souvenir de la société palestinienne ; il défait le tissu social en éliminant les élites (fonctionnaires, juges, journalistes…), les archives, etc., afin d’empêcher l’établissement à Gaza d’une société civile et politique viable. Le sociocide inclut plusieurs « cides ».
Urbicide
Écrasement délibéré et généralisé de l’environnement urbain (pas seulement des cibles stratégiques), il a caractérisé les guerres en ex-Yougoslavie, en Syrie et aujourd’hui en Ukraine. À Gaza, il renvoie aux dommages irrémédiables infligés aux villes par les bombardements israéliens. Selon l’ONU, 55 % des constructions étaient détruites fin mai 2024 : logements, structures de santé et d’éducation, bâtiments commerciaux et industriels, systèmes de distribution d’eau, d’électricité, de traitement des déchets, routes et ponts, etc. Le niveau de dévastation est tel que même un retour durable à la paix ne garantira pas une vie décente aux Gazaouis. « Le dessein israélien est de rendre la bande de Gaza inhabitable et de provoquer un nouvel exode des Palestiniens, ce qui est, depuis le 7 octobre, l’objectif central de l’opération militaire. » (Alain Gresh)
Le martyre d’une ville vise à empêcher le retour des « ennemis ». À Gaza, ce sont tous les habitants de l’enclave qui sont visés. « B. Netanyahou avait affiché deux objectifs : détruire le Hamas et libérer les otages. Quand on utilise des bombes d’une tonne, on ne cible rien, on dévaste un environnement et pas une cible militaire. On ne libère pas des otages ainsi. Le but affiché est faux depuis le début. » (Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française)
Scolasticide
C’est l’anéantissement systémique de l’éducation par la destruction des structures éducatives et l’arrestation ou l’assassinat d’enseignants, d’étudiants et du personnel éducatif. L’ONU voit dans la destruction de plus de 80 % des établissements scolaires de Gaza « un effort intentionnel visant à détruire complètement le système éducatif palestinien. » En six mois, 5 479 étudiants, 261 enseignants et 95 professeurs d’université ont été tués, et des milliers blessés ; 60 % des établissements, dont 13 bibliothèques, ont été détruits ; 625 000 élèves n’ont plus accès à l’éducation. Les écoles de l’ONU abritant des civils déplacés sont bombardées, y compris dans les « zones de sécurité » désignées par l’armée. Selon les experts de l’ONU, « ces attaques visent à détruire les fondements de la société palestinienne et privent une autre génération de Palestiniens de leur avenir. La communauté internationale doit faire comprendre à ceux qui s’en prennent aux écoles et aux universités qu’ils devront rendre des comptes. » Les dommages à l’éducation, primordiale en Palestine, mobilisent beaucoup d’universitaires et d’étudiants dans le monde. « On ne peut plus croire qu’il s’agit d’un effet collatéral de la guerre menée contre le Hamas. Il s’agit clairement d’une action ciblée et intentionnelle, visant à l’éradication de l’une des conditions de survie essentielles de la société gazaouie ». (Anne-Sophie Nyssen, rectrice de l’Université de Liège)
Culturicide
Autre fondement ciblé de la société palestinienne, la vie culturelle intense : assassinats d’artistes à Gaza, raids meurtriers de l’armée dans les lieux culturels en Cisjordanie (Jénine…). L’Unesco et l’École biblique et archéologique française de Jérusalem déplorent la destruction systématique du riche patrimoine culturel de Gaza – 3 000 ans d’histoire, carrefour de religions, de commerçants et d’artistes de toute la Méditerranée.
Violant la Convention de La Haye sur la protection des biens culturels, l’armée a endommagé ou anéanti 195 sites patrimoniaux, 8 musées, 21 centres culturels (dont l’Institut français), 227 mosquées (dont la Grande Mosquée Omari du XIIe s. et ses précieux manuscrits), les archives centrales (150 ans d’histoire). Et aussi l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre (Ve s.), l’une des plus anciennes de la chrétienté, le Qasr al-Basha (fort Napoléon) et son musée d’antiquités cananéennes, l’antique port grec d’Anthédon. « Israël détruit tout ce dans quoi il est possible de trouver une consolation », disent les étudiants en archéologie et la population de Nusseirat qui tentent de protéger le monastère byzantin de Saint-Hilarion, grand site chrétien du Proche-Orient (15 000 visiteurs par an dont de nombreux scolaires).
En Cisjordanie, l’annexion s’accélère. Une loi permet à l’État de prendre le contrôle de la géographie, de l’archéologie et du patrimoine palestiniens, pour les confier aux colons et les judaïser. « Israël travaille à ce plan depuis plus d’un siècle, poussé par son désir de modifier les caractéristiques des sites historiques ainsi que leurs noms, afin qu’ils correspondent à l’histoire qu’il vend au monde » (Jihad Yassin, directeur général des fouilles et des musées de Palestine). Près de Naplouse, des chasseurs de reliques volent des vestiges du site de Sebastia – où serait la tombe de Jean le Baptiste – pour les vendre à des commerçants israéliens. « L’occupation vole la terre mais aussi l’histoire, dans une tentative désespérée de la falsifier et de créer un récit déformé », dit le maire. Cette dépossession culturelle comprend aussi le pillage des traditions (costumes, broderies, artisanat, gastronomie…). « Au-delà de la dimension territoriale, c’est pour la survie de leur identité que se battent les Palestiniens. »
Sporticide
L’armée anéantit les infrastructures sportives à Gaza et en Cisjordanie, handicape les sportifs pour empêcher la formation d’équipes nationales pouvant représenter la Palestine notamment à l’étranger – sans réaction des instances sportives internationales, contrairement à la guerre en Ukraine (le “deux poids, deux mesures”). Pour les jeunes palestiniens (60 % de la population), cet affront peut mener à la violence.
Écocide
Agriculture dévastée, arbres déracinés, terre contaminée au phosphore, pollutions, déchets : à Gaza, l’environnement est la victime silencieuse de la guerre. « À la place des vergers, des plages et des champs de fraise qui faisaient la fierté des Gazaouis, se dresse un paysage de bases militaires, de cratères et de ruines. » (Reporterre). « Cette catastrophe environnementale engendrera d’autres catastrophes. Lorsque les chars pénètrent sur nos terres, ils en détruisent également la fertilité » (Samar Abu Saffia, militante écologiste). Alors que la plupart des Gazaouis sont au bord de la famine, ces destructions font partie de la stratégie israélienne depuis longtemps. « Nous avons régulièrement observé des avions israéliens larguer des herbicides sur des zones agricoles à la saison des récoltes » (Forensic Architecture). La guerre génère une importante pollution. Selon l’ONU, le montant des débris dépasse celui de l’Ukraine en deux ans. De graves dangers menacent la santé des habitants : gaz à effet de serre, amiante et métaux lourds, poussières et particules fines, déchets toxiques hospitaliers et industriels, corps en décomposition, fumées toxiques, eaux usées empoisonnant la Méditerranée… En Cisjordanie, l’occupation bouleverse le paysage traditionnel : arrachage de milliers d’oliviers, enfouissement de déchets toxiques sur les terres occupées, laideur des colonies détruisant la beauté des paysages.
Il faut soutenir les rares Israéliens qui dénoncent ce sociocide et aident les Palestiniens ; ils sont menacés dans une société de plus en plus extrémiste, qui n’admet pas la fin de son rêve de toute puissance. Et ces Juifs du monde qui, de plus en plus nombreux, refusent la confusion entre le judaïsme authentique, ouvert à l’autre, et le sionisme nationaliste, suprémaciste et dans le déni de l’autre (UJFP, Tsédek, Jewish Voice for Peace…). Ils nous préviennent de nouveaux dangers : sionihilisme et jihadisme juif.
Laurent Baudoin
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Merci laurent,
Ton article est clair et aide à mieux saisir ma réalité en y mettant des mots.