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Fugueur, perturbateur, provocateur

Suite au partage d’Évangile de ce dimanche 29 décembre 2024, autour du texte de Luc au chapitre 2 (41-52), en cette fête de la Sainte Famille, les participants ont souhaité la mise en ligne de cette homélie de Michel Deheunynck, tirée de son recueil La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent.

Et bien, le petit Jésus de la crèche, il a bien poussé ; c’est déjà un grand garçon et même un sacré garnement ! Un ado pas très discipliné, c’est le moins qu’on puisse dire : fugueur, perturbateur, provocateur… Quand on voit la façon dont il répond à ses parents ! Ses parents qui l’emmènent avec eux en voyage organisé, une sorte de pèlerinage. Et au lieu de se tenir tranquille et de suivre le groupe bien sagement, le voilà qui va mettre l’embrouille, une de ces pagailles… Et encore pas n’importe où : dans le Temple, le Temple de Jérusalem ! Sans compter la frousse qu’il fiche à ses parents. Mais ça n’a vraiment pas l’air de le soucier plus que cela. On a quand même du mal à reconnaître le bébé de la crèche. Mais on reconnaît déjà bien le Jésus qu’on retrouvera plus tard, autour de la trentaine, tout au long des pages d’Évangile qui vont suivre. Eh oui, il est comme ça notre Jésus, il est comme ça notre Dieu. Si on veut vraiment s’inspirer de lui, ce n’est sûrement pas en suivant d’une façon soumise ce que les organisateurs de pèlerinage ou d’autres dignitaires religieux ont décidé pour nous. Même si, concernant Jésus, on nous précise que, sur le chemin du retour, il aurait quand même fini par se calmer…

En venant à Noël prendre place au cœur de notre vie, Jésus a surtout ouvert un formidable espace de liberté intérieure. Et c’est sûrement, pour certains, le plus important, le plus beau cadeau de Noël. Mais cette liberté, encore faut-il la conquérir, d’abord sur nous-même, dans notre vie personnelle, dans notre vie sociale avec d’autres et dans notre vie croyante avec Dieu.

Dans cet Évangile, Jésus, dès l’âge de douze ans, ose cette première expérience de conquête de sa liberté. Il n’hésite pas à faire valoir sa propre pensée et sa propre parole, même devant les autorités de la loi religieuse qui était pourtant censées tout savoir mieux que les autres. Ces fameux docteurs de la Loi en fonction au temple. Ils sont là pour faire des conférences aux pèlerins, du catéchisme aux ados, à l’âge des ricanements dans les coins, des révoltes, des rêves, du désir de changer le monde, mais aussi de la recherche de soi-même. Et ce pèlerinage à Jérusalem où ils vont, tirés par leurs parents ou poussés par leur rabbin, faisait partie de leur initiation religieuse et de la tradition. Les pèlerins défilent dans le temple à longueur de journée, dans les piétinements, les bousculades, la poussière, la fumée des offrandes et des sacrifices, un temple qui plus est en plein chantier de reconstruction. Et au milieu de tout cela, un petit ado qui, lui, a l’air d’y prendre goût, du matin au soir, nous dit-on, et, comme on le connaît, sûrement aussi, du soir au matin… À douze ans ! On peut s’étonner que les responsables du temple n’aient pas cherché à joindre ses parents ou ses accompagnateurs. C’est que cet enfant-là, il ne se contente pas d’écouter : voilà qu’il discute avec eux, encore et encore, et ça n’en finit pas. On ne sait pas ce qu’ils ont bien pu se dire. Mais ce qu’on sait, c’est que c’est lui, Jésus, venu faire son initiation religieuse, qui va initier les docteurs de la Loi. Il va même leur apprendre à faire autrement leur travail religieux. Eux qui passaient leur temps à faire la leçon ou la morale aux autres, c’est eux qui apprennent à donner de la valeur, du sens, à ce que pensent et disent les autres.

Quelqu’un, dans un groupe, avait dit : « Moi, les religions, je n’y comprends rien ! » et l’un de vous avait aussitôt bien réagi en disant : « Ce n’est pas aux gens de comprendre les religions ; c’est aux religions de comprendre les gens ! »

On n’en est encore qu’au tout début de l’Évangile. Jésus n’est encore qu’un enfant, un enfant indiscipliné (il le sera toute sa vie). Nous avons fêté sa naissance il y a à peine quelques jours et il vient déjà bouleverser notre histoire de croyant. Non, en cet enfant, Dieu n’est plus celui qui commande d’en haut. Il est celui qui discute avec nous, qui cherche avec nous. Dieu qui ne réserve pas sa liberté à quelques chefs autorisés, mais qui l’a semée au cœur de chaque homme, femme, ado, enfant, avec les mots de chacun. Alors, à chacun de prendre la parole même quand on n’est pas d’accord, surtout si on n’est pas d’accord ! Dieu ne peut rien faire avec un peuple soumis. Il peut tout avec un peuple libéré ! Alors avec la complicité de son Esprit, expérimentons et goûtons nous aussi cet espace de liberté que Dieu veut ouvrir dans la vie de chacun. C’est ce que nous nous souhaitons pour cette nouvelle année.

CategoriesChroniques
Michel Deheunynck

Médecin retraité de la santé publique, prêtre et ancien aumônier en hôpital psychiatrique ; animé par l’humanisme de l’Evangile, il vit en Seine-Saint-Denis, où il s’est profondément attaché à ces populations en grandes difficultés sociales.

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