Dans le journal La Croix du 27 mars dernier, un prêtre de la paroisse Sainte-Cécile de Boulogne-Billancourt animée par les Frères de Saint-Jean surnommés les « petit gris »[1]En allant vérifier sur le site internet paroissial, je constate que la référence au fondateur et néanmoins multi-criminel Marie-Dominique Philippeest encore présente en toutes lettres pour … Continue reading, thésard en psychologie, nous est présenté comme un expert ès-abus en milieu institutionnel. Il analyse la situation épouvantable dans laquelle se trouve l’Église, en s’étant intéressé plus particulièrement aux abuseurs plutôt qu’aux victimes. Il suggère qu’on aurait peut-être pu limiter les dégâts à un seul cas par abuseur si on avait agi autrement, notamment en prenant en charge ces personnes pour les accompagner dès le premier passage à l’acte.
Là où je tique vraiment, c’est que pour montrer leur bon fond, et que tout n’est pas mauvais chez eux, il évoque le fait que pour ces prêtres, radiés des cadres de l’Église, « l’identité de prêtre reste très structurante pour eux », et que « certains, des années après, continuent de célébrer la messe dans leur salon, alors que rien ne les y contraint » (sic).
J’avoue que ça me sidère. Je note au passage la notion de « contrainte » qui pèserait sur les autres prêtres pour célébrer l’eucharistie. Mais pour ceux-là, en quoi est-ce un signe de bonté ou de bonne santé mentale ? D’une part, on leur a demandé de ne pas présider de célébrations, donc ça n’est pas pour qu’ils le fassent quand même. D’autre part, quelle est cette nécessité de consacrer du pain et du vin tout seul chez soi, quand le Concile a bien expliqué le non-sens d’une messe sans participants (après l’avoir, il est vrai, organisé tous les jours pour tous ses prêtres pendant trop longtemps) ? Est-ce de la superstition, un rituel magique ? Ou une folie de pouvoir, « moi je peux le faire, et ce n’est pas le cas de tout le monde, alors personne ne m’en empêchera, na ! » ? Qui les empêche d’aller à la messe de la paroisse du coin pour participer comme n’importe quel chrétien à l’eucharistie, si elle leur est indispensable ?
Et ce qui me chiffonne encore plus, ce n’est pas que des personnes coupables de perversités déviantes, voire criminelles, puissent aussi se comporter n’importe comment sur divers autres sujets. C’est que l’un des experts ecclésiastiques trouve ce comportement non seulement normal, mais plutôt bon signe, bénéfique même. Je crains qu’on ne trouve là qu’un signe de plus du cléricalisme qui nous pourrit la vie : le corporatisme clérical, qui fait considérer qu’un « pouvoir surnaturel » reçu par l’ordination placerait certains hommes au-dessus des autres, avec l’indulgence réciproque qui lierait naturellement ces hommes entre eux – vous ne pouvez pas comprendre, vous n’en faites pas partie… Il y a les alcooliques qui ne peuvent s’empêcher de boire, les prêtres ne pourraient pas s’empêcher de dire la messe, même en cachette tout seuls (ou en petit comité ?) chez eux si on les empêche de la dire en public. Mais ça, ça s’appelle une addiction.
Ils ont le chic pour nous mettre le moral en berne. Cela devrait m’être bien égal : en quoi cette histoire de curé abuseur célébrant tout seul chez lui, avec l’indulgence légèrement admirative d’un psychologue expert de notre Église, pourrait-elle me déranger, et même me concerner ? Parce que cela me montre que mon Église n’a toujours rien compris ; que ceux qui sont là pour nous défendre des dangereux éléments en son sein continuent à raisonner en catégories ecclésiastiques, dans une vision microcosmique fermée sur elle-même, et selon des valeurs cléricales, et non chrétiennes.
Dans la suite de l’interview, notre thésard en psychologie évoque également le regard négatif porté par l’institution ecclésiale sur l’homosexualité, qui oblige au secret et faciliterait le passage à l’acte – tout en établissant une différence, heureusement, entre pédocriminalité et abus sexuels d’un côté, et homosexualité de l’autre. Mais il évoque alors dans le développement personnel de ces prêtres abuseurs « une forme d’immaturité affective, [qui] a pu pour un temps s’appuyer sur la vocation sacerdotale, et occulter d’autres problèmes psychiques ». Et alors là, que la démarche de « vocation sacerdotale » ne permette pas, dans le cadre du discernement et de la formation accompagnés par l’institution, de trier le bon grain de l’ivraie, mais au contraire donne carrément de l’engrais à la mauvais herbe, cela doit quand même nous poser sérieusement question.
Notes
↑1 | En allant vérifier sur le site internet paroissial, je constate que la référence au fondateur et néanmoins multi-criminel Marie-Dominique Philippe est encore présente en toutes lettres pour présenter la communauté, contrairement à tous les engagements pris vis-à-vis de l’Église. Ce qui ne facilite pas ma capacité d’indulgence à l’égard des maladresses de cette interview. |
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Quitte à me répéter, merci à Blandine A. pour ses analyses critiques et salutaires. A propos de la présente, faut-il vraiment d’attendre à autre chose de la part d’un petit gris, fut-il “doctorat en psychologie” ?