Espère, Éd. Albin Michel, 2025. Non pas des mémoires larmoyantes ou au contraire flamboyantes. Une conversation avec un homme peu ordinaire, d’un certain âge, qui aime le monde qui l’entoure et lui raconte quelques anecdotes vivifiantes.
Un moment d’humanité
En ces temps troublés et troublants il est réconfortant de partager un moment d’intense humanité, à la fois simple et profond. Ne soyons pas effrayés par les 380 pages ; elles se dévorent d’une traite ou à petites doses. Une lecture à taille humaine et surtout enracinée dans une certitude qui affleure aux divers tournants de la vie d’un homme surement tout à fait remarquable et pourtant si proche de nous : « La tendresse n’est pas une faiblesse : c’est une véritable force. C’est la voie qu’ont parcourue les hommes et les femmes les plus courageux… Suivez-la, luttez avec tendresse et courage … Je ne suis qu’un passage », écrit-il en guise de conclusion.
Le pape raconte de nombreux épisodes de sa vie et en profite pour mettre en lumière certains choix éthiques, sociaux et politiques indispensables pour grandir en humanité. Pas un cours de morale religieuse comme nous pourrions le craindre de la part d’un tel personnage. Plutôt une conversation avec un grand père qui semble vraiment prendre plaisir à échanger avec nous, quel que soit notre âge. Une conversation simple et directement connectée avec les grands rendez-vous de la vie. Sans oublier l’humour et la conscience qu’a l’auteur de ses propres limites.
Espère

En choisissant ce titre, en nous lançant une telle invitation au cœur des nuits du monde, le pape interpelle croyants ou non-croyants en Dieu. Nous pourrions craindre un discours volontariste, « engagé » et donc écrasant. Il n’en est rien. Le pape ressemble à un proche qui devine notre trouble, voire nos peurs, et qui nous prend doucement le bras, comme il le fit dans un avion, au-dessus du Chili, en mariant un steward et sa compagne depuis onze ans. « C’était l’espérance. Espère, espère, et espère encore. La force discrète de l’espérance… Nous marchons main dans la main avec une petite fille, (allusion au poème de Péguy), dont nous portons le nom. Car Dieu nous a faits espérance. » Tout au long de cette autobiographie j’ai pensé à la rencontre qui se produisit, sur la route d’Emmaüs, au cœur de la nuit d’un espoir perdu, il y a près de 2000 ans. La fin de l’histoire n’est pas une « happy end » inévitable, mais un émerveillement qui fait repartir vers la vie et vers les frères en attente.
Les plus « petits »
Le pape François aime l’inattendu, non comme une source d’excitation factice mais comme le propre de notre existence. Pourtant la vie pontificale devrait être réglée comme une belle horloge. Le livre nous décrit nombre de rencontres cocasses, inattendues, entre l’évêque de Rome et ceux ou celles que la vie malmène. Tant pis pour les exigences du service d’ordre ou du protocole ! Sans oublier la Providence : le 11 octobre 1927 les grands parents et le père du pape devaient quitter l’Italie et prendre le bateau pour migrer en Argentine. Le navire fit naufrage, mais au dernier moment les membres de la famille Bergoglio n’avaient pas pu embarquer ! L’on comprend pourquoi François consacra son premier déplacement pontifical à Lampedusa au cœur du drame des migrations. « Impossible d’ignorer l’appel pressant de la Parole de Dieu sur les pauvres… Jésus n’a pas craint de s’identifier à cette foule innombrable. Se soustraire à cette identification revient à mystifier l’Évangile. » Lors du conclave, le pape raconte que lorsque son élection devint certaine, le cardinal Hummes « se leva et vint m’embrasser. N’oublie pas les pauvres, me dit-il. » Il ne les a pas oubliés.
« Dieu aime particulièrement les questions »
Et le pape d’ajouter : « Il les aime davantage que les réponses. » Ceci explique que François parsème son autobiographie de multiples références culturelles. Grand lecteur il se complait dans des ouvrages littéraires qui n’ont pas la réputation d’être des manuels de catéchisme traditionnel (cf. son livre Louée soit la lecture !). Ou dans la découverte de films subversifs, en particulier italiens, qui exposent la vie humaine dans toute sa crudité et sa complexité. Il aime tout particulièrement les jeunes : « Mon espérance grandit toujours quand je rencontre les jeunes. Éduquer c’est aimer les questions. Ce n’est pas domestiquer… C’est accompagner, c’est apprendre à transformer les rêves que l’on a reçus, à les faire grandir, à en former de nouveaux. » Sans embellir les choses ni oublier notre « époque de passions tristes… qui pousse (les jeunes, et pas qu’eux) à percevoir le monde comme une menace et à se renfermer, à s’isoler. »
Alors notre auteur risque un conseil : « À l’ère de l’intelligence artificielle, nous ne pouvons oublier que pour sauver l’humain, la poésie et l’amour nous sont indispensables. » La rencontre également.
Un petit conseil pontifical avant de se quitter :
« Le vent de l’Esprit n’a pas cessé de souffler.
Faites bon voyage, frères et sœurs. »
> Pour lire l’introduction du pape François (“Tout naît pour fleurir“) : cliquer ICI
> Pour lire le présentation du livre par l’éditeur : https://www.albin-michel.fr/espere