C’était un lundi d’août. J’attendais le tram quand mon téléphone s’est mis à sonner : une amie voulait acheter pour moi des billets de train, elle avait besoin de mon accord sur les horaires et ma date de naissance. J’ignore ce qu’a entendu ou compris le monsieur inconnu, à mon côté, sur le quai. Dès mon téléphone éteint, il me questionne : « Vous êtes avocate ? »
Debout dans le tram bien rempli, nous continuons la conversation. Je lui précise que je ne suis pas du tout avocate. Déçu, il m’explique chercher quelqu’un capable de l’aider à bénéficier du regroupement familial : « Je suis malien, immigré en France depuis longtemps, je travaille et je voudrais que mes proches me rejoignent. Mes papiers sont en ordre mais j’ai raté un examen écrit, des questions sur l’histoire de France et je ne sais plus quoi faire pour mon dossier. » Je lui propose de s’adresser à une association, lui en propose deux dont je n’ai pas les coordonnées sur moi. Il me donne son numéro de téléphone et son nom. Je promets de l’appeler. Arrivé à son arrêt, il descend en me remerciant chaleureusement.
Si chaleureusement qu’un autre voyageur m’aborde : « Je suis tunisien, je parle bien français et je travaille mais je n’arrive pas à obtenir des papiers en règle. » Et il sort de son sac une liasse de lettres de recommandation adressées à la préfecture de Créteil : celle du maire de sa commune, celles de plusieurs conseillers municipaux, celle de l’association Emmaüs où il loge, celle de son employeur, celle d’un prêtre, une autre d’un rabbin… Je n’ose pas lui demander s’il est musulman quand il m’affirme rencontrer des anges tous les jours ! Et je lui recommande les deux mêmes associations qu’au passager malien en les lui notant sur une feuille de carnet.
Ébahie par ces événements, j’ai réfléchi.
La vieillesse est une chance, une chance de rencontre. Ces hommes m’auraient abordée jeune, je leur aurais tourné le dos, persuadée qu’ils tentaient de me draguer. Réflexe féminin de protection. Vieille, je ne crains plus de nouer des relations de passage. Je suis libre de saisir ces contacts qui apprennent tant sur le monde où nous vivons.
Faut-il que ces exilés soient tracassés, obsédés, affligés, découragés pour s’approcher d’inconnus, dévoiler leur intime et plus pressante préoccupation dans l’espoir de trouver une issue ! L’un demandait de vivre en famille, simplement. L’autre souhaitait travailler et vivre en France d’une vie calme et libre. Ces gens nous ressemblent tellement. Ces gens sont nos semblables.
Merci le tram !





