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« La vérité vous rendra libre»

Jean 8,32

Je me suis longtemps demandé ce que signifiait cette phrase de Jean, et de quelle vérité et liberté il y est question. Voici, modestement, quelques éclairages possibles sur cette question qui me paraît fondamentale pour notre foi et notre vie.

Voulons-nous être libres ?

Une lecture récente constitue un premier éclairage sur le sujet : c’est la légende du Grand Inquisiteur, extraite des Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski[1]Ce texte a été repris par Frédéric Lenoir au début de son livre Le Christ philosophe.. Le texte met en scène le Christ qui décide de revenir sur terre dans la Séville du 16ème siècle. Mais le Grand Inquisiteur veille, l’arrête et le jette en prison : « Pourquoi es-tu venu nous déranger ? » S’ensuit une longue déclaration du Grand Inquisiteur qui met en lumière ces questions de vérité et liberté. J’en cite quelques extraits : « Il n’y a jamais rien eu de plus intolérable, pour l’homme et pour la société humaine, que la liberté ! » Il s’adresse au Christ : « Comment est-il possible que tu n’aies pas pensé que, chargé d’un fardeau aussi terrible que la liberté de choisir, l’homme finirait par mettre en doute et par renier ton image, et ta vérité ? » Le Grand Inquisiteur revient sur ce qu’il considère être la mission de l’Église : « Nous avons corrigé ton œuvre et nous l’avons basée sur le miracle, le mystère et l’autorité[2]L’Église, aidée en cela par le pouvoir impérial romain, s’est considérée comme le peuple élu ; elle s’est appropriée les attributs du pouvoir hiérarchique du peuple juif dans … Continue reading. Et les hommes se sont réjouis d’être, de nouveau, conduits comme un troupeau. »

Ce texte pose une question fondamentale : souhaitons-nous accéder à cette liberté offerte par le Christ, ou préférons-nous faire partie du troupeau ? Sommes-nous prêts à tous les efforts et remises en cause, pour nous mettre en recherche de la vérité ?

Quelle vérité, quelle liberté ?

Est-ce que le respect des règles et des rites ou l’adhésion aux dogmes fixés par l’Église nous conduisent à la vérité et à la liberté ? Je ne le crois pas. C’est la quête permanente pour trouver la bonne réponse au message évangélique qui nous y aidera. Permanente car, pour le Christ, la liberté ne résulte pas d’une adhésion aveugle et irréfléchie, c’est une vérité qui se révèle et s’expérimente sur les chemins de la vie.

En nous appelant à la vérité, et à en vivre, le Christ laisse l’homme libre de sa réponse. C’est une caractéristique qui mérite qu’on s’y attarde : le Christ n’exige pas une adhésion, il invite, il propose une voie : « Va, et ne pèche plus[3]Jean 8, 11. », affirme-t-il à la femme adultère. « Lève-toi, prends ton grabat et marche[4]Jean 4, 43-54. », dit-il au paralytique. Ce que Saint Augustin résume en : « Aime et fais ce que tu veux ». Cette liberté ne nous est donc pas imposée par un pouvoir quelconque, comme le mettent en place toutes les religions (y compris la religion catholique), elle est celle d’une personne libre et responsable qui détermine elle-même ce qu’elle croit, ce qu’elle pense devoir faire, et où se situent ses engagements. Mais cette liberté-là, voulue par le Christ, n’est pas celle de la facilité, elle est, au contraire, d’une exigence extrême.

Comment discerner pour conjuguer vérité et liberté ?

Mais comment peut-on rester vrai (œuvrer en vérité), rester libre et rester, autant que possible, fidèle à l’Évangile ? Il y a, de toute évidence, beaucoup d’écueils à surmonter, qui peuvent nous empêcher de discerner où se situe pour nous la vérité, ou de prendre les bonnes décisions dans la vie de tous les jours : nous héritons d’un ADN qui nous façonne et peut être nous enferme dans des postures, nous avons un ego qui peut nous aveugler ; et il y a toujours la « facilité » qui peut nous détourner de la voie difficile où l’exigence de vérité nous conduirait.

« La vérité vous rendra libre » implique donc 
une exigence personnelle d’honnêteté, de lucidité et de discernement.

Facile à dire, pas facile à faire. Quatre facteurs importants peuvent toutefois nous y aider :

  • L’importance du doute : le doute n’est pas ce qui nuit à la vérité, mais ce qui y conduit ; si l’on refuse de se remettre en question, si on est enfermé dans des certitudes irréfléchies[5]On ne peut vivre sans conviction, mais gare aux certitudes irréfléchies !, il est impossible d’accéder à la vérité ; et cela s’applique aussi, et surtout, à la foi.
  • L’importance de la communauté : le regard bienveillant de l’autre, l’échange avec l’autre, la confrontation de nos idées avec celles des autres sont des conditions nécessaires pour accéder à plus de vérité.
  • L’importance de la psychanalyse : comme il a été dit plus haut, notre ADN, notre ego, nos blessures mal refermées, restreignent notre capacité à accéder à la vérité ; la psychanalyse est le meilleur remède pour éclairer ces zones d’ombre qui nous empêchent de faire la lumière en nous.
  • L’importance de la méditation : terme peut être abstrait pour beaucoup, disons concrètement le temps de prendre du recul, le temps de faire silence en soi (de taire son ego ?), pour certains le temps de contempler la beauté de la nature, pour d’autres le temps de s’ouvrir au silence de Dieu[6]1er livre des Rois, chapitre 19 : Dieu n’est pas dans l’ouragan, ni le tremblement de terre, ni dans le feu, Dieu est dans la brise légère, celle qui permettra à Elie de trouver … Continue reading. C’est, me semble-t-il, le sens du mot prière utilisé dans l’Évangile, où l’on voit Jésus partir à l’écart dans le désert[7]Les trois tentations du Christ au désert : Matthieu 4, 1-11 – Luc 4, 1-13 – Marc 1, 12-13. ou la montagne[8]La prière de Jésus au Jardin des Oliviers : Matthieu 26, 39 – Marc 14, 36 – Luc 22, 42. ou le désert précisément pour discerner : « Non pas ma volonté, mais la tienne ». 
Photo Sage Friedman sur Unsplash

Et l’intérêt de savoir discerner, c’est de nous permettre de devenir des hommes et des femmes libres dans nos actes, nos attitudes et nos engagements : libérés de nos penchants, libérés de ce qui nous tire vers le bas, libérés de ce qui nous entrave, libérés de nos frustrations, libérés de nos peurs, libérés de nos aveuglements, libérés de…, à chacun sa réponse !

Michel Bouvard

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Notes

Notes
1 Ce texte a été repris par Frédéric Lenoir au début de son livre Le Christ philosophe.
2 L’Église, aidée en cela par le pouvoir impérial romain, s’est considérée comme le peuple élu ;
elle s’est appropriée les attributs du pouvoir hiérarchique du peuple juif dans l’Ancien Testament,
et s’est dotée d’une caste sacerdotale supérieure, qui se considère sacrée (en lien direct avec Dieu),
et qui justifie ainsi son pouvoir sur le peuple ; cette notion de sacré n’a strictement aucune référence
ou base évangélique, le terme n’apparaît jamais dans les paroles de Jésus.
3 Jean 8, 11.
4 Jean 4, 43-54.
5 On ne peut vivre sans conviction, mais gare aux certitudes irréfléchies !
6 1er livre des Rois, chapitre 19 : Dieu n’est pas dans l’ouragan, ni le tremblement de terre,
ni dans le feu, Dieu est dans la brise légère,
celle qui permettra à Elie de trouver son chemin.
7 Les trois tentations du Christ au désert : Matthieu 4, 1-11 – Luc 4, 1-13 – Marc 1, 12-13.
8 La prière de Jésus au Jardin des Oliviers : Matthieu 26, 39 – Marc 14, 36 – Luc 22, 42.
  1. Sophie MARQUES says:

    Les quatre critères proposés, doute, communauté, psychanalyse et méditation me paraissent tout à fait pertinents pour aider chacune, chacun, à accéder à sa liberté…! Merci Michel. Sophie

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